Des réactions hostiles et des discours de haine contre la communauté LGBT sont de mise en Bosnie-Herzégovine. La pression idéologique vient souvent des sphères religieuses et politiques, la population LGBT y est toujours encore dépeinte comme déviante et non naturelle. La première marche des fiertés du pays marque un évènement majeur dans l’histoire récente du pays.
«La porte s’il-vous plaît!». C’est sous ce slogan que l’on peut aussi traduire par «Je veux sortir!» et dont la version en serbo-croate est utilisée dans les transports en commun, que 2.000 personnes ont défilé ce mois à Sarajevo lors de la première marche des fiertés du pays, un chiffre quatre fois supérieur aux estimations.
La formule est un clin d’oeil à la porte du placard dont les membres de la communauté LGBT sont dit sortir lors de leur coming out. Elle sonne également comme un appel à l’air dans une société très conservatrice. La Bosnie, pays de 3,5 millions d’habitants au coeur des Balkans, est le dernier pays de la région à organiser une telle manifestation.
«Détruire l’État et le peuple»
1.250 policiers étaient mobilisés pour sécuriser cette première marche des fiertés qui s’est déroulée le dimanche 8 septembre, selon une source policière citée par l’AFP. En 2008, 2014 et 2016, des groupes de hooligans et d’islamistes radicaux avaient attaqué des manifestations culturelles LGBT, faisant plusieurs blessés.
En avril, l’annonce de la marche déclencha une déferlante de réactions hostiles, allant du discours de haine aux appels à la violence. La plupart des politiciens brillèrent par leur silence, certains appelèrent à son annulation, quand d’autres furent plus explicites.
Telle la députée Samra Cosovic Hajdarevic, élue régionale du SDA (le plus grand parti bosniaque, conservateur), qui dans un post Facebook supprimé depuis appelait à «isoler et éloigner le plus possible ces gens de nos enfants et de notre société», affirmant que le but de l’évènement était de «détruire l’État et le peuple». Celles-ci entraînèrent une dénonciation de la part du Conseil de l’Europe, par la voie de sa commissaire aux droits de l’Homme Dunja Mijatovic, elle-même bosnienne.
«J’appelle les politiciens du pays à s’abstenir de propos publiques qui discrimineraient ou appelleraient à la haine envers la communauté LGBT », urgea-t-elle dans une déclaration de soutien, rappelant que la Convention Européenne des Droits de l’Homme tout comme la loi bosnienne interdisent toute discriminations basée sur leur genre ou leur orientation sexuelle.
Réclamer l’égalité et la liberté
«L’invisibilité, l’isolation, le manque de reconnaissance, l’exclusion et la violence, aussi bien dans la sphère privée que publique, sont les principaux problèmes auxquels est confrontée la population LGBT en Bosnie», égrènent les organisateurs de la récente manifestation. «La marche des fiertés est ainsi une opportunité importante pour changer ces conditions inacceptables, réduire la peur de la violence et de l’exclusion, informer le public, envoyer un message de diversité et réclamer l’égalité et la liberté.»
C’est dans une ambiance festive et chargée d’émotion, au milieu des drapeaux, au son des sifflets et des percussions, que se sont élancés les marcheurs, salués au passage par des sympathisants du haut de leurs balcons. La manifestation s’est conclue devant le parlement où furent prononcés quelques discours.
Si la plupart des politiciens bosniens brillèrent par leur absence, plusieurs diplomates étrangers en poste en Bosnie s’étaient joints à la marche. De nombreux activistes de toute la région étaient aussi présents.
Sortir du placard en Bosnie
Alen, 26 ans
Originaire d’une petite ville du sud-ouest de la Bosnie, cela fait sept ans qu’il a quitté son pays natal. «Pour les études, mais aussi parce que je suis gay», explique-t-il. Pour lui, la situation politique d’après-guerre alimente le rejet de l’autre. «La Bosnie est un pays extrêmement divisé selon les lignes ethniques», explique Alen. «De ce fait, il y a une grande intolérance envers tout ce qui est différent. C’est encore plus vrai envers les minorités. Tant que nous n’aurons pas réglé ce problème de fond, on ne pourra pas faire de progrès», affirme-t-il.
Aida et Ehlimana-Elma
Ces deux jeunes artistes basées à Sarajevo s’engagent à travers leur projet audiovisuel «Sestre» («soeurs») pour les droits des personnes LGBT, mais aussi pour la cause féministe et pour les droits des travailleurs.
L’une d’entre elles fut agressée verbalement et physiquement suite à l’annonce de l’organisation de la manifestation à Sarajevo. Elles dénoncent les représentations fausses et les discours de haine très répandus dans les médias locaux.
«Le sensationnalisme est toujours en vogue lorsqu’il s’agit de couvrir les thématiques LGBT+. Dû au manque d’éducation, ainsi qu’à la pression idéologique venant des sphères religieuses et politiques, la population LGBT est toujours dépeinte comme déviante, non naturelle, primitive, débauchée, etc. Elle est victime de nombreuses allégations fausses ou biaisées nourrissant les stéréotypes et la discrimination. Ce qui n’aide en aucun cas à faire évoluer les mentalités.»
Kris, 26 ans
Lui aussi artiste, Kris est un jeune homme transgenre engagé depuis son adolescence. Son dernier projet, intitulé «Transition en Bosnie-Herzégovine», s’intéresse à la trans-identité à travers une série de portraits et de textes.
«En Bosnie, il est uniquement possible de changer son genre sur ses papiers d’identité si l’on a effectué une transition médicale», indique-t-il. «Ironiquement, il n’y a pas de possibilité de recevoir les procédures médicales nécessaires à la transition en Bosnie, ce qui signifie que les gens doivent aller à l’étranger pour recevoir les traitements nécessaires, tout cela à leurs frais, bien sûr. Par conséquence, seule une poignée de personnes y ont réussi.»
Sabina, 34 ans
Sabina est bisexuelle et vit à Sarajevo. «C’est une bonne chose que les gens prennent conscience que la communauté LGBT existe, et aussi que ces histoires de familles qui décident de soutenir leurs enfants se propagent. Pas seulement pour les gens qui ont fait leur coming out mais aussi pour tous ceux qui ne l’ont pas fait. Afin qu’ils sachent qu’ils ne sont pas seuls et qu’ils peuvent être soutenus», dit-elle.
Pour autant, Sabina n’est pas très optimiste. «Ces dernières années, j’ai l’impression que la situation s’est détériorée», déplore-t-elle. «C’est triste à dire mais j’ai l’impression que la plus jeune génération est plus violente que ses ainés. Ce qui me désole c’est que les gens qui s’opposent à la tenue de la gay pride n’ont que des arguments religieux. Or nous vivons dans un état laïc.»
Isaac, 31 ans et Dalia, 34 ans
Isaac et Dalia se sont rencontrés il y a une dizaine d’années. Isaac est un homme transgenre, Dalia est lesbienne. Isaac est bosnien mais c’est en Croatie, d’où Dalia est originaire, que le couple vit. C’est là qu’ils se sont unis il y a bientôt un an. La Croatie, dernier état en date à être entré dans l’Union Européenne, a ouvert l’union civile aux couples de même sexe en 2014. Celle-ci leur garantit les mêmes droits qu’aux couples mariés hétérosexuels, sauf l’adoption.
Pourtant, leur union n’est pas reconnue en Bosnie, qui ne prévoit pas cette possibilité. «Cela m’attriste» regrette Isaac. «J’espère que la marche sera le premier pas vers une réflexion sur le sujet, afin d’ouvrir le mariage aux homosexuels. Néanmoins je suis très heureux que moi et ma femme soyons en Bosnie aujourd’hui pour participer à cet évènement historique .»
Comme beaucoup d’autres, Isaac et Dalia ont fait le déplacement depuis l’étranger pour assister à la marche. «C’est un grand jour pour nous », affirment-ils. «Nous avons tout d’abord douté de la pertinence de cette décision, par peur des violences, mais nous nous sommes dit que nous nous devions d’être présents pour défendre nos droits, les droits de l’homme, l’égalité pour tous, pour nous, mais aussi pour tous ceux qui comme nous ne sont pas acceptés tels qu’ils sont.»
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