La Bosnie-Herzégovine a célébré ce mois-ci sa première marche des fiertés. C’est le dernier état des Balkans à organiser une telle manifestation, dans une région encore très patriarcale où l’homophobie et la transphobie sont toujours répandues. Explications.
Pour Aleksandar Brezar, un journaliste de Sarajevo observateur de la vie politique de son pays, le retard de la Bosnie s’expliquerait par la retraditionalisation de la société suite à la guerre sanglante qui déchira la Bosnie à la fin des années 1990. Entre 1992 et 1995, l’éclatement de la Yougoslavie (dont la Bosnie faisait partie) y engendra un conflit suivant les lignes ethniques bosniaque, serbe et croate avec plus de 100.000 morts.
«À la fin du conflit, au lieu d’embrasser des attitudes socialement progressistes, les politiciens ethno-nationalistes ont cultivé une narration hétéronormative, patriarcale et centrée autour de la famille afin de se maintenir au pouvoir», explique-t-il.
«Ces leaders ont utilisé l’instabilité de la période d’après guerre pour exploiter les peurs primaires et pour promouvoir la retraditionalisation de la société bosnienne, c’est à dire les valeurs nationalistes et traditionnelles combattues par le régime précédent.»
Le rôle des figures religieuses
Malgré une dé-criminalisation tardive – en 1974 pour la Slovénie et aussi tard qu’en 1998 en Bosnie – la Yougoslavie communiste de Tito connût une certaine libéralisation dans les années 1970 et 1980, qui se traduisit entre autre par l’apparition d’une production culturelle questionnant les valeurs hétéronormées.
«Cependant nos sociétés n’étaient pas forcément plus ouvertes d’esprit individuellement ni plus permissives en général à cette époque», nuance Aleksandar Brezar. «L’un des écueils de la yougo-nostalgie [nda: la nostalgie de l’époque yougoslave] serait de croire que c’était une société parfaite. Ça ne l’était pas, mais comparé à 2019, c’était un bien meilleur point de départ. Il semble que la communauté LGBT doit maintenant mener des combats qu’elle aurait dans d’autres circonstances pu mener bien plus tôt.»
«Ce que l’on peut dire, c’est que les gens ont retrouvé un intérêt accru pour la religion et en ont internalisé certains postulats. Ainsi, les deux contre-manifestations annoncées pour la veille et le jour de la gay pride sont organisées par des figures religieuses ou des associations avec une appartenance religieuse.»
Une perception générationnelle?
Si la perspective de l’adhésion à l’Union Européenne pousse les institutions du pays à se conformer aux acquis communautaires, dont le respect des droits des minorités fait partie, le chemin semble encore long avant l’eradication des préjugés et de la haine.
Dans une étude de 2017 du Sarajevo Open Center, plus de 60% des répondants affirmèrent craindre pour leur sécurité de par leur orientation sexuelle ou leur identité de genre. Plus d’un quart des répondants affirmèrent avoir été victime de violences. La jeunesse bosnienne est-elle plus tolérante que ses aînés? Difficile à dire.
«Le message qui a été envoyé par la société à la communauté LGBT ces dernières décennies est que si elle continue à ne se montrer que dans ses intérieurs, elle est en sécurité. Je pense qu’il y a au moins une fraction de la jeunesse actuelle qui est plus ouverte d’esprit, et qui correspond également à une partie de la jeunesse LGBT qui est plus entreprenante et encouragée, mais leur voix n’est malheureusement pas réellement entendue à l’heure actuelle.»
«Cependant, les membres de la communauté LGBT en Bosnie ne peuvent pas attendre qu’il se produise un processus lent tel qu’un changement générationnel pour voir leur situation s’améliorer. C’est pourquoi la marche des fiertés organisée cette année est à mon avis un évènement majeur de notre histoire récente. Il est difficile de dire, à priori, si elle donnera des résultats immédiats ou non, mais une visibilité accrue devrait encourager plus de gens à réclamer activement le respect de leurs droits, ce qui représenterait une avancée majeure pour la société en général.»
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