Les victimes de Landsbanki Luxembourg risquent de perdre le bras de fer judiciaire contre la banque. Leur pourvoi en cassation pour escroquerie a peu de chance de succès. Les expulsions et ventes forcées des propriétés gagées vont pouvoir reprendre avec leur lot de drames humains.
«Nous ne sommes pas tous comme Enrico Macias»: le nom du chanteur français de variétés est associé à celui de la Landsbanki Luxembourg dont il fut le client le plus médiatique et le plus fortuné mais aussi l’un des accusateurs les plus virulents. La vedette a toutefois occulté le combat de centaines d’autres victimes, pas toujours très argentées, des pratiques commerciales controversées de la banque luxembourgeoise placée en liquidation judiciaire en décembre 2008. «Nous sommes tous loin de correspondre à l’image de gens très riches dont nous avons été affublés. Il y a derrière l’affaire de la Landsbanki des drames humains et des gens qui finissent sous les ponts. Certains se sont suicidés», explique un ancien client de la banque.
Ce septuagénaire français a souscrit les yeux fermés entre 2006 et 2008 le produit financier «Landsbanki Liberty Equity release», qui avait rencontré un large succès parmi les retraités du pourtour méditerranéen, principalement en France et en Espagne. Le produit consistait en un prêt en devise garanti par la prise d’hypothèques ou de nantissements. La banque versait une petite fraction du prêt et conservait le reste pour l’investir sur les marchés financiers à travers des contrats d’assurance-vie auprès de sa filiale Lex Life, également à Luxembourg.
Les commerciaux de Landsbanki vantaient auprès de leurs prospects les mérites d’un produit miracle dont les rendements (13%) devaient servir à payer les intérêts d’emprunt. Or, des experts ont mis en question le caractère réalisable d’autofinancement du prêt. Théoriquement, le montage ne pouvait pas fonctionner, ont-ils fait valoir. La promesse d’un équilibre financier entre les revenus des placements et la couverture des intérêts de l’emprunt était un miroir aux alouettes. D’où les griefs d’escroquerie retenu par le Parquet financier de Paris.
Miroir aux alouettes
La faillite du système bancaire islandais fin 2008 et la mise en liquidation de la filiale luxembourgeoise le 12 décembre 2008 ont fait s’écrouler le fragile édifice. La valeur des titres en portefeuille destinés à rembourser l’emprunt s’est effondrée, ce qui a entraîné la déchéance du terme de certains prêts, pour la plupart de clients français, britanniques et espagnols.
Me Yvette Hamilius, liquidatrice de la banque, a aussitôt lancé des procédures civiles d’exécution. Ce qui, pour la plupart des clients, signifiait la perte de leur résidence principale. Pour récupérer les actifs, l’avocate a saisi les juridictions luxembourgeoises. Elle espérait faire rapidement homologuer les décisions en France. Ses plans ont toutefois été compromis en juillet 2009 par un célèbre magistrat français, Renaud Van Ruymbeke, du pôle financier de Paris. Le juge va bloquer les procédures à la suite des plaintes de clients étranglés par un mécanisme financier dont ils n’avaient mesuré ni la portée, ni les risques.
Tout le monde était sûr de gagner ce procès, parce que nous pensions détenir des preuves accablantes contre la banque»Une partie civile
Certains emprunteurs ont accepté en 2012 de négocier avec la liquidatrice de la banque, d’autres ont refusé le compromis. «On nous a prêté de l’argent, il n’est pas discutable qu’on doive le rembourser. Mais pas à n’importe quelle condition», explique un des récalcitrants.
Comme des centaines d’autres personnes, il estime avoir été trompé par les fausses informations fournies par la banque luxembourgeoise sur sa solidité financière ainsi que sur les rendements de ses produits. Il accuse en outre l’établissement d’avoir établi des valorisations surfaites de son bien immobilier. «On m’a proposé ce système de financement sur la base d’une surévaluation de ma maison. L’expertise immobilière la valorisait à 400.000 euros, la banque l’a évaluée à plus de 780.000 euros pour booster l’hypothèque», assure l’ancien client.
«Une femme sans humanité»
Initiées par Yvette Hamilius, les réalisations d’hypothèques et ventes forcées des propriétés ont été provisoirement gelées par l’information judiciaire ouverte en France. A ce stade de l’affaire, tout reste encore figé selon l’adage que le pénal tient le civil en l’état. La trève devrait être de courte durée.
Yvette Hamilius s’est aliéné le courroux de centaines de clients en France qui se sont regroupés dans des collectifs de victimes. Le bras de fer judiciaire entre la liquidatrice et les «victimes» de la Landsbanki a parfois tourné à l’affaire personnelle. L’avocate luxembourgeoise a été dépeinte comme «une femme sans humanité». De son côté, Yvette Hamilius ne s’est pas montrée très tendre envers les souscripteurs des produits Equity Release, les décrivant comme des retraités oisifs fuyant leurs responsabilités et ne pensant qu’à siroter leur vin rosé sous les pergolas de leurs villas azuréennes.
Le collectif de victimes s’est méfié des juges luxembourgeois, considérés comme trop proches et dépendants des milieux financiers. Ils ont placé tous leurs espoirs dans la justice pénale française. Mais aux termes d’une procédure judiciaire qui s’est étalée sur près de 13 ans, les résultats n’ont pas été à la hauteur de leurs attentes. Tout avait pourtant bien commencé un an après la faillite, avec la prise en main du dossier par le juge d’instruction Renaud Van Ruymbeke. Il est à la retraite depuis deux ans.
Neuf anciens dirigeants et commerciaux ainsi que Landsbanki Luxembourg ont été renvoyés en 2015 devant un tribunal correctionnel des chefs d’escroquerie et de complicité d’escroquerie. «Tout le monde était sûr de gagner ce procès, parce que nous pensions détenir des preuves accablantes contre la banque», se souvient une des parties civiles dans un entretien à Reporter.lu.
Joly mère et fille en embuscade
Leurs espérances sont toutefois douchées une première fois en août 2017 aux termes d’un procès retentissant et ultra médiatisé, du fait notamment de la présence du chanteur Enrico Macias, parmi les parties civiles, mais aussi de l’avocate Caroline Joly, fille de l’ex-magistrate et députée européenne Eva Joly, pour assurer leur défense. Eva Joly a pris fait et cause pour les parties civiles.
Faute de preuves suffisantes documentant les allégations de mensonges, de dissimulation et de manœuvres frauduleuses portées par les parties civiles contre leur ancienne banque, les prévenus ont été acquittés en première instance. Certains faits étaient prescrits. Le tribunal parisien a ordonné la restitution à Landsbanki des créances détenues sur les parties civiles, déboutées sur toute la ligne.
Aujourd’hui, les enfants prennent les dettes d’avocats de leurs parents pour continuer leurs actions et tenter de conserver leurs biens»Une des parties civiles
Le Parquet de Paris a fait appel. Le 31 janvier 2020 a marqué une nouvelle déception. La Cour d’appel a en effet confirmé la relaxe de tous les prévenus ainsi que la restitution des créances. «Une fois la stupeur et l’émotion passées de cette horrible audience et décision de ce jour, nous nous sommes remis au travail», avait expliqué Eva Joly en marge de l’arrêt de janvier 2020.
Le procureur général près de la cour d’appel de Paris ainsi que 150 parties civiles se sont pourvus en cassation. La décision de la juridiction française est attendue entre octobre et novembre 2021. Toutefois, le rapporteur du dossier a rendu fin juin un avis de «non-admission du pourvoi» et a proposé à la chambre criminelle son rejet. Son avis a de grandes chances d’être suivi par la Cour de cassation française à l’automne. «Nos espoirs sont à un niveau zéro», se lamente un commerçant de Mandelieu qui avait cédé aux sirènes de Landsbanki et risque désormais de perdre sa maison. Ils sont des centaines dans son cas à guetter les huissiers de justice et à attendre des avis d’expulsion venus de Luxembourg.
La crainte des saisies immobilières
«Aujourd’hui, les enfants prennent les dettes d’avocats de leurs parents pour continuer leurs actions et tenter de conserver leurs biens. Nous ne pouvons même pas investir dans des travaux de rénovation car nous craignons que demain, la liquidatrice relance les procédures et que nos maisons soient saisies», explique-t-il.
Dans le document de 51 pages que Reporter.lu a consulté, le rapporteur près de la Cour de cassation se garde bien de refaire un troisième procès de Landsbanki Luxembourg. Son regard porte uniquement sur la conformité des décisions rendues en 2017 et en 2020 au regard des règles de droit: respect du principe du contradictoire, hypothèse d’une erreur d’appréciation juridique de la qualification d’escroquerie que les juridictions successives auraient pu commettre. Le rapporteur considère que la Cour d’appel a fait un sans faute.
Les juges ont eu entre les mains plusieurs rapports d’experts documentant les défaillances de la maison mère islandaise qui avait grandi trop vite et avait des besoins de refinancement trop importants au regard de son endettement colossal. Sa filiale luxembourgeoise lui a-t-elle servi de vache à lait comme l’ont soutenu les parties civiles à grand renfort d’expertises? La Cour d’appel n’a donné aucun crédit à leurs thèses selon lesquelles les produits Equity release ont permis de sauver les résultats du groupe islandais en grande difficulté dès 2006 et reculé sa désagrégation qui interviendra deux ans plus tard.
Objectifs d’autofinancement plausibles
Les plaignants ont soutenu que les produits toxiques vendus par Luxembourg avaient permis de refinancer à peu de risque sur base de valorisations immobilières largement surfaites la maison mère à Reykjavik. Ces accusations ont été rejetées à juste titre par la Cour d’appel de Paris, estime le rapporteur dans son avis. «S’il est acquis que l’activité de la banque luxembourgeoise ne représentait que 7,5% des résultats et que les prêts Equity Release ne comptaient que pour 14,4% de l’activité de prêt de la banque luxembourgeoise, il n’est pas expliqué comment 14,4% de 7,5% ont pu sauver l’activité du groupe au regard de son caractère marginal», note-t-il.
A ses yeux, la juridiction d’appel a eu raison de mettre en cause la pertinence de certaines expertises sur le caractère irréalisable de l’objectif d’autofinancement des intérêts du prêt par les rendements financiers. «Cela a marché», avait assuré un contre-expert à la barre, cité par la défense de la banque. A tout le moins jusqu’en 2006 et pour les contrats souscrits en 2003 et 2004 où les Equity Release ont servi d’assez bons rendements pour payer les prêts.
La banque luxembourgeoise n’a d’ailleurs pas inventé ce type de prêts toxiques qui furent proposés aux Etats-Unis puis dans les pays anglophones dans les années 2000. En France, ils furent commercialisés par des établissements à la réputation irréprochable et même vantés sur le site internet des notaires de France.
La Cour d’appel a rappelé que «ce type de crédit a fait l’objet d’une présentation dans le rapport de la commission des finances de l’Assemblée nationale sur le projet de loi relatif à la confiance et la modernisation de l’économie du 26 juillet 2005». Et, cerise sur le gâteau, «le produit financier litigieux a été validé par les juridictions luxembourgeoises».