La problématique quotidienne des embouteillages aux heures de pointe avait amené le gouvernement à évoquer la création de co-working spaces aux quatre coins du pays, mais surtout près des frontières. Qu’en est-il aujourd’hui du projet et de sa faisabilité ?
Avec une ligne Thionville-Bettembourg-Luxembourg en travaux et une météo caniculaire, il suffisait d’une étincelle pour rallumer le feu de la colère des usagers de la route. Et cette étincelle fut créée par un tweet osé du Ministre du développement durable et des infrastructures François Bausch et une photo d’un traffic «fluide» sur l’A3, le 20 juillet. Mais contrairement à l’illusion d’un cliché pris à 7h21 du matin en période de vacances, les automobilistes habitués de cet axe savent bien que le réseaux routier est en apnée pendant les heures de pointe. C’est pour cette raison que bon nombre d’entre eux n’ont pas hésité à réagir à cette photo usant parfois de l’ironie, parfois de la véhémence.
Cette grogne n’est que le dernier épisode en date de la série «galère du trafic». Face à un problème quotidien que personne n’oserait nier, sous l’impulsion de l’étude de l’économiste et théoricien américain Jeremy Rifkin proposée en 2016, le gouvernement avait évoqué au printemps 2017 l’idée de la création d’espaces de travail partagés à des points stratégiques. Soit près des frontières afin de désengorger le trafic vers la capitale, qui compte à elle seule plus de 10.000 entreprises. Une idée que le rapport long de près de 500 pages préconise dans quelques lignes d’une partie sur le télétravail, une autre piste déjà étudiée.
Lors de son discours sur l’état de la nation en avril 2017, le Premier ministre Xavier Bettel avait annoncé non sans fierté : «Mir plangen un engem Modell vu moderne Bureausgebaier, déi net enger Entreprise eleng gehéieren, mee vun Employéen aus verschiddene Betriber kënne fir eng bestëmmten Zäit am Dag genotzt ginn.» Il avait alors révélé le début d’un partenariat avec des acteurs du secteur privé pour construire ces structures de co-working. Il y a quelques semaines, Xavier Bettel s’était montré un peu plus précis sur les ondes de RTL Radio en déclarant que le premier bâtiment du genre pourrait sortir de terre d’ici à la fin de l’année du côté d’Esch-sur-Alzette.
Les employés ont un casier avec leur ordinateurs et leurs fournitures, tout comme s’ils allaient au bureau, à la différence qu’ils ne perdent pas une heure dans les bouchons avant de venir travailler.“
Mais du côté du gouvernement, peu d’informations officielles ont filtré. Si ce n’est que des réflexions avancées sont en cours et qu’elles mobilisent d’une part le Ministère du Développement durable et des infrastructures (MDDI) et d’autre part le Ministère des Finances. C’est le MDDI, par le biais de son département de l’aménagement du territoire, qui a pris l’initiative d’étudier la construction d’un espace de co-working sur le site d’Esch-Belval. Mais dans les faits, beaucoup de choses restent à éclaircir. Est-ce que c’est l’Etat qui construirait ces bâtiments et les louerait aux entreprises par la suite? L’Etat financerait-il de la construction sans avoir la garantie que les patrons voudront ensuite délocaliser une partie de leurs effectifs à ces endroits? Impossible d’en savoir davantage malgré plusieurs relances auprès aux ministères compétents.
Une source de la société de développement urbain Agora, en charge de la réhabilitation du site de Belval, affirme que pour l’heure, rien n’a encore été signé. Il semblerait donc que le projet annoncé par Xavier Bettel se limite pour l’instant à une étude de faisabilité et que les premières communications seront peut-être faites à la rentrée, la période préélectorale étant plus propice aux annonces officielles.
Les espaces de co-working fleurissent déjà
Certains n’ont pas attendu les conseils de Jeremy Rifkin pour lancer leurs structures d’espace de travail partagé aux frontières. À l’image de l’Urban Office, fondé par Fred Guetti, qui compte aujourd’hui trois sites de co-working à Windhof, Bettembourg et Luxembourg-ville, et qui doit très prochainement en ouvrir deux autres, à Belval et Grevenmacher pour la fin d’année. «Nous proposons des postes flexibles, des postes dédiés et des bureaux individuels, en fonction des besoins de nos clients», explique celui qui a lancé sa première structure il y a environ un an et qui prévoit déjà d’en ouvrir d’autres, tant la demande est croissante.
Les employés adorent et ils sont très demandeurs.“
Et pour cause, si ces espaces qui fleurissent depuis quelques années au Luxembourg (Wishbox, The Office, Silversquare, Nyuko, Bamhaus) étaient jusqu’alors prisés par les travailleurs indépendants, les jeunes entrepreneurs et les start-up, des entreprises d’une plus grande envergure n’hésitent plus à délocaliser des équipes dans ces structures. Notamment des acteurs du secteur financier. Et c’est le cas à l’Urban Office. «Les employés ont un casier avec leur ordinateurs et leurs fournitures, tout comme s’ils allaient au bureau, à la différence qu’ils ne perdent pas une heure dans les bouchons avant de venir travailler», ajoute encore Fred Guetti. «Les employés adorent et ils sont très demandeurs.»
Car au-delà de l’attractivité des loyers, c’est le temps gagné sur la route qui est mis en avant. C’est le principal argument invoqué par l’Urban Office, qui veut encore accroître ses capacités d’accueil en créant un nouvel espace à Windhof d’ici à la fin de l’année 2019 et autre à Belval à l’horizon 2020. «De plus en plus de grandes entreprises réfléchissent à délocaliser des effectifs. C’est assurément l’avenir», dit encore Fred Guetti.

Mais les espaces de travail partagés, s’ils se développent de plus en plus ces derniers temps au Luxembourg, n’ont pas toujours comme fonction de désengorger les routes, mais plutôt d’offrir aux travailleurs un cadre de travail différent et un lieu d’émulation intellectuelle. C’est ce que met avant Silversquare, un groupe qui a fait ses armes à Bruxelles avant d’ouvrir depuis début juin des bureaux de travail partagés de 2.300 mètres carrés dans la capitale, rue Glesener à quelques minutes à pied de la gare. «Les entreprises qui viennent chez nous cherchent le côté dynamique et inspirant de ces lieux de rencontre et d’innovation. Notre objectif est d’accueillir des entreprises de toutes tailles et de tous secteurs», assure Claudine Bettendroffer, responsable de Silversquare Luxembourg.
Une solution pérenne pour réduire le trafic?
Bien que les espaces de co-working ne s’adaptent pas à tous les secteurs, les métiers de la finance, de l’immobilier et des assurances, cependant, sont plus enclin à être séduits par ces nouvelles formes d’organisation du travail. Ces secteurs, à eux seuls, représentent 2.500 entreprises et près de 50.000 salariés à travers tout le pays. Encore faut-il que le management y trouve un intérêt. Est-ce le cas ? «C’est un sujet qui n’est pas polémisé, les points de vue sont plus ou moins les mêmes dès lors qu’il est question de réduire le trafic mais c’est plutôt au niveau de l’organisation du travail qu’il faudra être d’accord.», précise Jean-Paul Olinger, directeur de l’Union des entreprises luxembourgeoise (UEL).
Rassembler des employés qui résident dans une même zone géographique ferait sens, dès lors que cela ne chamboule pas l’équilibre d’une équipe ainsi que la culture d’entreprise, chère à certaines firmes. Comme le rappelle Jean-Paul Olinger, «il faut voir cette idée de co-working spaces dans un contexte organisationnel précis. Elle peut présenter des avantages certains et la mobilité est un aspect dont il faut tenir compte.» Cependant, la mobilité ne doit pas être selon lui le seul paramètre à considérer et il faudrait aussi questionner l’impact que la délocalisation des équipes aurait sur le fonctionnement de l’entreprise.
Une chose est sûre, Jean-Paul Olinger n’y voit pas une solution miracle aux problèmes de circulation. Et pour cause, ce n’est pas la hausse constante du nombre de travailleurs frontaliers qui va arranger les choses. Ils sont près de 189.000 à passer la frontière tous les jours, dont 100.000 en provenance de France. Une augmentation du nombre de travailleurs frontaliers de 33% sur les dix dernières années a été observée par le Statec.
Face à cette augmentation régulière, il semblerait naïf de penser que l’implantation de bâtiments accueillants au mieux quelques centaines de travailleurs frontaliers suffiront à régler le problème de mobilité. «Je pense qu’il y a une panoplie de solutions partielles qui, mises toutes ensembles, vont aider à améliorer la situation. Les transports en commun, le covoiturage, les projets éventuels d’élargissement des autoroutes, le télétravail etc… Tout ceci mis bout à bout peut aller dans le sens d’une réduction de la circulation», ajoute Jean-Paul Olinger. À juste titre. Les prochains mois en diront plus sur les directions que compte prendre le gouvernement à ce sujet.