Cinq ans après le début de la crise des réfugiés venus de Syrie, d’Iraq et d’Afghanistan, un nouveau mouvement migratoire se profile au sein de l’UE. Au Luxembourg, les Vénézuéliens sont aujourd’hui la 4e communauté la plus représentée dans les demandes d’asile. Un processus souvent voué à l’échec.

Par Julie Wagner

Luis est arrivé au Luxembourg en mars 2020 en pleine période de confinement. Il est l’un des 39 Vénézuéliens qui ont déposé une demande de protection internationale au Luxembourg au cours de l’année. Il a été contraint de quitter le Venezuela en 2016. Il y occupait un poste à responsabilité dans une administration communale dans laquelle il dénonçait les conditions de travail. Des critiques perçues comme une trahison par le régime autoritaire du président Nicolas Maduro.

Luis explique que la municipalité travaillait ensemble avec ‚los colectivos‘ pourtant internationalement reconnus comme des bandes criminelles. Ces bras droits du gouvernement se chargent de l’intimidation des opposants au régime. «Ils ont commencé à m’agresser, à s’approprier de ma maison et à m’interdire l’accès à la distribution des aliments qu’ils contrôlaient; non seulement pour mes opinions politiques, mais aussi en raison de mon homosexualité», raconte-t-il.

Luis a tenté de s’établir au Pérou mais il s’est bientôt rendu compte que ses persécuteurs s’étaient également infiltrés dans les pays de la région. Quitter le continent semblait pour lui être l’unique solution, et il décida donc de prendre un avion pour Madrid. A son escale à Amsterdam, les autorités l’ont interpellé: soit il déposait une demande d’asile au premier pays européen où il avait posé pied, en l’occurence les Pays-Bas, soit il serait déporté à Caracas.

Comme de nombreux autres, Luis n’aura pas le statut de réfugié au Luxembourg – il y est toléré, provisoirement.

Les Pays-Bas ont mis deux mois à traiter sa demande d’asile et lui communiquer un refus. Déspéré, Luis s’est alors rendu au Luxembourg pour tenter une deuxième fois sa chance, ignorant les régulations de Dublin selon lesquelles on n’a droit qu’à une seule demande à un seul État membre. L’officier de l’immigration lui demanda à sa surprise pourquoi un jeune comme lui ne considérait pas le retour dans son pays d’origine où les problèmes d’intégration lui seraient épargnés.

D’une crise réelle à un exode de masse

La communauté vénézuélienne compte aujourd’hui 180 personnes au Luxembourg, soit trois fois plus qu’en 2013, sans tenir compte des nombreux Vénézuéliens ayant la double-nationalité. «Même si ces derniers ont un permis de travail, ils ont des difficultés à intégrer le marché de travail, principalement à cause des langues», explique Carolina Lazo, fondatrice de l’organisation «Bienvenidos Venezuela» qui promeut la culture vénézuélienne au Luxembourg depuis 2008.

Les Vénézuéliens qui gagnent de l’argent sont pour leur part nombreux à envoyer des fonds à leur famille restée au Venezuela. Parmi eux Irène, qui soutient son père et ses deux frères. Son père est retraité de la Banque centrale du Venezuela, une retraite qui aurait dû lui permettre une vie confortable. «Avec l’inflation actuelle ce revenu mensuel n’équivaut même plus à la valeur d’un demi kilo de fromage», explique-t-elle.

Selon Tomás Páez,  sociologue et coordinateur de l’Observatoire de la diaspora vénézuélienne en Europe, les fonds envoyés par la diaspora représentent actuellement la seconde source de revenu la plus importante du Venezuela. Un constat qui l’intrigue d’autant plus que son pays était durant 200 ans une terre d’immigration, attirant des professionnels, des étudiants et des familles de l’Europe entière.

Aujourd’hui, l’exode du pays est chiffré à environ 20% de sa population totale, selon les données des Nations Unies. Des chiffres qui peuvent être comparés à la crise migratoire syrienne. 85% des 5 millions de Vénézuéliens qui ont pris la route sont restés en Amérique latine, dont la majorité en Colombie et au Pérou. «Si avant 2013, la migration se faisait vers les États-Unis ou l’Espagne, on se trouve aujourd’hui bel et bien face à une crise humanitaire complexe qui force l’ensemble de la société dont les plus démunis à quitter le pays sans papiers par voie terrestre en direction des pays voisins», explique Claudia Vargas Ribas, professeure de sciences sociales de l’Université Simon Bolivar de Caracas.

Un pays en déclin et une région bouleversée

Les pays d’accueil de la région n’ont ni la politique publique migratoire en place pour répondre à cette vague massive de migration clandestine, ni les ressources disponibles pour recevoir les nouveaux arrivants. La pandémie fragilise d’autant plus les économies et les systèmes sanitaires des pays d’accueil. Comme la plupart des immigrants occupaient l’économie informelle, qui est à l’arrêt depuis mars 2020, 1% du total des migrants a repris le chemin de retour. «A leur surprise, le Venezuela a limité l’ouverture de sa frontière avec la Colombie à trois jours par semaine et à 300 entrants par jour, ce qui va à l’encontre de la Constitution», décrit Claudia Vargas Ribas.

La situation économique et sociale du Venezuela ne peut qu’être comparée à celle d’un pays en guerre. De la 4ième nation mondiale la plus prospère par habitant en 1950, avec les réserves de pétrole parmi les plus importantes, le PIB du Venezuela a décru d’environ 65% depuis 2013 selon le Fonds monétaire international.

Un réveil tardif de l’Union européenne

Pourtant, la crise migratoire vénézuélienne a été prise en compte tardivement par l’Europe pour plusieurs raisons. Le Président Maduro a longtemps nié l’existence d’une crise humanitaire et il a refusé toute collaboration avec la communauté internationale en matière d’échange de données et de garantie de l’accès à l’aide humanitaire par peur d’une invasion américaine. Ce n’est qu’en avril 2019 après une crise s’étirant déjà sur une décennie, et sous pression de ses alliés, qu’un accès à l’aide de la Croix Rouge a pu être négocié.

Je plaide à ce que les pays de l’Union Européenne reconnaissent que nous, les Vénézuéliens, ne sommes pas des immigrants économiques.“Luis

Une autre raison est que le mouvement migratoire irrégulier de masse est majoritairement resté régional et n’a initialement que peu incommodé l’Union européenne. Il est aujourd’hui nécessaire de développer un système d’alerte précoce qui permet d’anticiper et donc de mieux se préparer aux futurs mouvements migratoires, même à ceux qui ne semblent pas toucher le vieux continent à court terme à première vue. Alors que la crise migratoire syrienne perdure déjà depuis cinq ans, l’Union Européenne ne s’est toujours pas dotée d’un mécanisme fonctionnel pour répondre ensemble, de manière coordonnée, aux vagues migratoires: que ce soit en provenance du voisinage ou bien d’autres continents.

Quelle perspective pour Luis? Le jeune Vénézuélien peut provisoirement rester au Luxembourg. Durant le pic de la pandémie, la plupart des retours des «Dubliner» étaient suspendus et Luis attend jusqu’à ce jour son retour organisé aux Pays-Bas pour faire appel de la décision d’expulsion du territoire luxembourgeois. «Je plaide à ce que les pays de l’Union Européenne reconnaissent que nous, les Vénézuéliens, ne sommes pas des immigrants économiques, nous ne fuyons pas seulement pour des raisons économiques, mais pour des raisons de persécution politique, de conditions sociales et sécuritaires désastreuses.» Les immigrés économiques ont des chances bien moindres d’obtenir le statut de réfugié au sein de l’UE.

En 2019, 64 Vénézuéliens ont fait une demande de protection internationale au Luxembourg, 17 personnes se sont vu accorder le statut conféré par la protection subsidiaire. Ce statut peut être accordé aux personnes qui ne répondent pas aux critères d’obtention de la protection internationale mais qui risquent de subir de graves atteintes, si jamais elles étaient renvoyées dans leur pays d’origine et y être exposées à de graves menaces, des traitements inhumains, la torture, ou la peine de mort. En 2019, les Vénézuéliens étaient la première communauté à se voir accorder ce statut de protection subsidiaire au Luxembourg, plaçant le nombre de bénéficiaires de ce statut devant les ressortissants d’Afghanistan. Interrogé sur la question, un porte-parole du ministère des Affaires étrangères affirme que les demandes d’asile des Vénézuéliens sont traités au cas par cas et que les décisions tiennent compte du risque de persécution de chaque personne.