Le conseil de gouvernement a nommé dans la plus grande discrétion trois nouveaux administrateurs au conseil de la Banque centrale du Luxembourg. Deux femmes influentes y font leur entrée. A la surprise générale, l’Américaine Denise Voss a failli y siéger avant que l’exécutif ne se ravise.
La plaisanterie circule dans le cercle des insiders de l’administration publique: le gouvernement aurait puisé son inspiration dans le TOP 100 des personnalités influentes du magazine Paperjam pour remplir les rangs du conseil de la Banque centrale du Luxembourg (BCL).
Le Conseil de gouvernement a en effet entériné le mois dernier les nominations de Michelle Détaille, Sasha Baillie et Claude Wirion au sein de cet organe. Les deux femmes ont été récompensées en décembre par le magazine Paperjam pour leur influence dans l’économie du pays. La première, la cheffe d’entreprise Michelle Détaille, occupe la place de numéro 1 des cent personnalités les plus influentes de Luxembourg et la seconde, Sasha Baillie se hisse en 6e position du classement. Claude Wirion, jeune retraité de la direction du Commissariat aux assurances, n’appartient plus à cet aréopage des 100 décideurs les plus puissants du Grand-Duché. Il en faisait partie dans l’édition 2018.
Retrait de dernière minute
Ces trois nominations n’ont pas encore été documentées officiellement par le gouvernement. Le Mémorial B n’a pas encore acté les arrêtés de nomination.
Selon les informations de Reporter.lu, Sasha Baillie n’était pas la candidate initialement pressentie par le gouvernement pour occuper un des neuf sièges prestigieux du conseil de la BCL. L’honneur devait revenir à l’Américaine Denise Voss (bientôt naturalisée luxembourgeoise), qui après avoir fait presque toute sa carrière dans l’industrie luxembourgeoise des fonds d’investissement et présidé entre 2015 et 2019, l’Alfi, l’organisation qui représente ce secteur, s’est convertie dans le business des administrateurs indépendants. Denise Voss a été nommée en juin 2019 à la tête de l’agence LuxFlag, qui octroie des labels de qualité aux Sicavs dédiées au développement durable.
Le nom de Voss avait déjà été communiqué plusieurs semaines à l’avance aux dirigeants de la BCL ainsi qu’aux autres membres du conseil. Ils ont eu connaissance du changement de candidate, sans aucune explication, à l’issue du conseil de gouvernement ayant acté ces nominations, lesquelles sont proposées de concert par le Premier ministre Xavier Bettel et le ministre des Finances Pierre Gramegna, tous deux DP. Contactée par Reporter.lu, Denise Voss n’a pas souhaité commenter ce qui ressemble à une fausse manœuvre de la part du gouvernement.
No comment du ministère
Le ministère des Finances, également sollicité par la rédaction, n’a pas souhaité s’étendre sur cette affaire, ni se prononcer sur les choix et les critères ayant guidé à la proposition de candidature de Denis Voss. Les services de Pierre Gramegna n’ont pas davantage commenté les raisons de son retrait brutal. «Les relations avec la BCL relèvent de la compétence conjointe du ministère d’Etat et du ministère des Finances», a fait savoir le service presse de la rue de la Congrégation.
Selon le site Internet de la BCL, «le conseil formule notamment la politique d’affaires de la BCL et approuve le budget et les comptes annuels». Il est composé de neuf membres, trois dirigeants de la BCL – dont le gouverneur Gaston Reinesch – (nommés par le Grand-Duc) et six personnalités indépendantes de la société civile nommées par le gouvernement en conseil.
Trois des six postes étaient vacants depuis début août. Les mandats de Romain Schintgen, ancien juge à la Cour de justice de l’UE, de l’assureur Pit Hentgen et de l’expert-comptable et financier Claude Zimmer étaient arrivés à échéance l’été dernier. Seul Romain Schintgen avait exprimé (dès 2019) son souhait de ne pas être renouvelé. Les deux autres administrateurs n’avaient pas manifesté leur intention de quitter le prestigieux cénacle de personnalités choisies pour «leurs compétences spécifiques et leurs valeurs intrinsèques». Ils ont dû partir fin juillet un peu malgré eux.
Féminisation considérable
Les membres du conseil de la BCL doivent offrir, selon ses statuts, toutes «les garanties d’indépendance et d’intégrité » et posséder «l’engagement personnel et la capacité professionnelle requis pour l’exercice de cette fonction». Si rien ne s’opposait à la nomination d’une ressortissante américaine, ce choix aurait été inédit au niveau du système des banques centrales de la zone euro. «Cette nomination d’une Américaine dans le conseil d’une banque centrale participant à l’euro aurait été hors norme», confirme à Reporter.lu une source proche du dossier.
Les membres du conseil de la BCL venant de la société civile sont traditionellement nommés sur un ticket politique. Michelle Détaille est proche des libéraux et Sasha Baillie a officié aux Affaires étrangères pour Jean Asselborn puis à l’Economie avec Etienne Schneider, deux officines gérées par le LSAP.
Avec les nominations de Détaille et de Baillie, le conseil de la BCL s’est considérablement féminisé. Il comptera en effet 4 femmes avec Martine Reicherts, ex-directrice générale de l’Office des publications européennes (qui avait remplacé l’ancien ministre LSAP Jacques Poos), et l’avocate Nadia Manzari, de l’étude Schiltz&Schiltz dirigée par l’ancien ministre CSV Jean-Louis Schiltz. La première femme à avoir siégé au conseil de la BCL est la cheffe d’entreprise Betty Fontaine, qui fut nommée en juillet 2012.
Les mandats d’administrateurs sont rémunérés. Ses neuf membres se sont répartis entre eux 2019 un montant de 167.905 euros, hors impôts, contre 95.558 euros en 2018. Jusqu’à cette date les jetons de présence n’existaient pas. Ils ont été introduits en 2019. Les émoluments versés aux administrateurs devraient être plus importants en 2020 du fait de la convocation de nombreuses réunions du conseil dans le contexte de la crise sanitaire.