Entre 4.000 et 4.500 réfugiés et migrants sont actuellement présents en Bosnie-Herzégovine, selon les estimations. Or, le pays ne dispose que près de 500 places d’hébergement. Dans l’Etat qui peine à fonctionner, les élus fédéraux pointent du doigt la responsabilité de l’Union Européenne.
Dans le parc du centre ville de Bihać, un jeune pakistanais lave son linge à la main sur la rive de la Una, un fleuve limpide, parsemé de rapides, où de petites embarcations promènent parfois quelques touristes. Des vacanciers régionaux, internationaux, et depuis quelques années, un nombre grandissant de voyageurs en provenance du golf persique. Une présence touristique entraînant un contraste intéressant : celui de deux catégories d’étrangers, ceux avec et sans les bons documents de voyage.
La Bosnie-Herzégovine, pays pauvre des Balkans, n’était visiblement pas prête à l’afflux soudain de migrants et de réfugiés qu’elle connait ces derniers mois. Selon l’Organisation Internationale pour les Migrations (IOM), 400 à 500 personnes arrivent chaque semaine en Bosnie-Herzégovine. Une forte augmentation, comparées aux quelques 755 entrées enregistrées sur toute l’année 2017. S’il est difficile de donner un chiffre exact, l’Organisation Internationale pour les Migrations (IOM) estime à entre 4.000 et 4.500 le nombre de réfugiés et de migrants actuellement présents en Bosnie-Herzégovine, arrivés là suivant une nouvelle déviation de la «route des Balkans».
Situation humanitaire, priorité absolue
Pour Peter Van der Auweraert, coordinateur pour les Balkans occidentaux au sein de l’IOM, la priorité absolue est de résoudre la situation humanitaire, et avant tout la question de l’hébergement. Actuellement, la Bosnie disposerait d’une capacité d’un peu plus de 500 places.
Cent quarante personnes ont récemment été déplacées d’un camp de fortune situé dans la ville de Velika Kladuša vers un hôtel fermé depuis plusieurs années, qui devrait à terme en héberger 400. Peter Van der Auweraert espère atteindre la capacité nécessaire d’ici la fin de l’été. «Lorsque les gens comprendront qu’ils ne peuvent pas passer, ils arrêteront de venir ici», affirme-t-il. «Ce ne sont pas les capacités d’hébergement qui font appel d’air mais la croyance erronée qu’il est plus facile de traverser la frontière à cet endroit.» Les municipalités, elles, se renvoient la balle quant à l’ouverture de nouveaux centres d’hébergement.
La Bosnie ne peut pas faire grand chose sans l’aide de l’Europe. »Dragan Mektić, Ministre bosnien à la Sécurité
Les maires des localités proches de la frontières sont anxieux. Jeudi 26 juillet, une cinquantaine d’élus se sont rendus à la capitale, Sarajevo, pour demander au gouvernement de les aider à faire face. «Nous ne pouvons plus nous en sortir ainsi», a déclaré le maire de Bihać, disant craindre que le nombre de migrants n’atteigne 13.000 dès cet automne, ce qui serait difficilement gérable. «Notre problème ce n’est pas les migrants, mais le fait que nous nous sentions seuls face à la situation, et que l’État ne fonctionne pas», ajouta-t-il. «Ces gens sont désespérés, et cet hiver ils seront à l’agonie».
Dommage collatéral d’un problème européen
De leur côté, des élus fédéraux pointent du doigt la responsabilité de l’Union Européenne. «[La Bosnie] est devenue le dommage collatéral d’un problème européen. Nous n’accepterons pas que le pays devienne un ‘hotspot’» , affirmait fin juillet le Ministre bosnien à la Sécurité, Dragan Mektić, à l’Agence Reuters. «L’Union Européenne a échoué, car elle a ainsi autorisé des criminels et des trafiquants d’êtres humains à gérer ce processus à la place de ses propres institutions», ajouta-t-il, annonçant également sa volonté d’envoyer l’armée aux frontières pour empêcher les arrivées supplémentaires.
«La Bosnie ne peut pas faire grand chose sans l’aide de l’Europe», réitéra-t-il début août sur la chaîne de télévision N1. «Le phénomène qui nous tourmente tire son origine de deux pays européens que sont la Grèce et la Bulgarie.»
Le mois dernier, plusieurs ministres européens avaient émis l’idée de créer des centres de traitement hors UE pour les demandes d’asile, et de renvoi des personnes refoulées. Une idée aussitôt repoussée par plusieurs États des Balkans.
Aides, subventions et blocages
La construction décentralisée de l’État bosnien et les disputes politiques qui le traversent n’arrangent pas la situation. Si la Banque de développement du Conseil de l’Europe a récemment accordé une subvention d’un million d’euros à l’IOM pour subvenir aux besoins des réfugiés et migrants en Bosnie-Herzégovine, l’agence Reuters rapporte qu’un plan d’aide de 8,5 millions d’euros de l’Union Européenne serait suspendu en raison de l’impossible entente entre différents leaders communautaires. La Commission Européenne a cependant débloqué 1,5 millions d’euros en juin pour faire face à la situation, une aide supplémentaire de 6 millions d’euros a été annoncée le 10 août.

Les accords de Dayton qui mirent fin à la guerre de Bosnie en 1995 entérinèrent la partition du pays en deux entités fortes à l’intérieur d’un État fédéral: la Republika Srpska à majorité ethnique serbe, et la Fédération à majorité bosniaque (musulmane) et croate, auxquelles s’ajoute le district de Brčko, territoire autonome au statut particulier. À cela se superposent les unités administratives cantonales et municipales.
«Il est très compliqué d’organiser une réponse humanitaire avec tant de juridictions dispersées sur tant de zones distinctes. C’est là que transparait la faiblesse de l’État bosnien», explique Peter Van der Auweraert. Autant d’échelons et de partis parfois opposés qui n’ont pas forcément un intérêt politique à collaborer, alors que des élections auront lieu en octobre.
Solidarité citoyenne et récupération politique
Dans un contexte politique où les nationalistes de toutes obédiences remettent régulièrement en cause l’existence et l’autorité de l’État bosnien dans sa forme actuelle, la question migratoire est utilisée, comme ailleurs, à des fins politiques. En mai, le transfert de 270 personnes de Sarajevo au centre de Salakovac, au sud du pays, avait été bloqué pendant plusieurs heures par la police de ce canton à majorité croate. Les autorités cantonales affirmèrent qu’elles n’avaient pas été concertées, le ministre à la sécurité au niveau fédéral qualifia le blocage de «coup d’état virtuel».
Milorad Dodik, le président nationaliste de la Republika Srpska – l’entité à majorité serbe de Bosnie-Herzégovine – qui y refuse l’installation de centres d’hébergement, évoque quant à lui un «danger pour [leur] mode de vie» et lie immigration et questions sécuritaires. Dans ce pays multi-confessionnel, il accuse le gouvernement central d’avoir fomenté un soi-disant plan secret visant à changer la composition ethnique de l’entité en encourageant l’arrivée de migrants musulmans.
À côté de ces jeux mesquins et de l’utilisation de la question migratoire pour marquer des points politiquement, l’omniprésence des discours de haine dans les médias bosniens est préoccupante. »Lana Pašić, analyste et conseillère en développement
La solidarité citoyenne tente, elle, cependant de répondre aux manquements de l’Etat et des collectivités locales. Il est un peu plus de 14 heures et la distribution de nourriture quotidienne vient de prendre fin au restaurant Teferić de Velika Kladuša, petite ville frontière située à l’extrême nord-ouest de la Bosnie. Dans la chaleur écrasante de cette fin juillet, certains migrants se reposent sur le trottoir faisant face au petit établissement. À l’intérieur, plusieurs hommes discutent. Parmi eux, Hasim Latić, le patron.
Le 1er février dernier, alors qu’il s’apprêtait à fermer son établissement, il avait invité à manger un homme qui se tenait sous la neige et n’avait visiblement pas de quoi se payer un repas. Le lendemain, il en vit 10, et rapidement plusieurs centaines. Depuis lors, ce sont plus de 15.403 repas qui ont ainsi été distribués par Mr Latić et trois de ses amis – tous vétérans de la dernière guerre – les premiers temps payés de leurs propres poches.
«Nous avons également connu la guerre»
«Nous avons également connu la guerre», raconte M. Latić, sans se départir de son sourire contagieux. «Nous avons nous aussi été séparés de nos familles et nous savons ce que cela veut dire de devoir quitter sa maison. »
«Alors même qu’elles savaient que l’arrivée des réfugiés et des migrants était inévitable, les autorités ont failli à préparer et à répondre à la crise humanitaire en ligne avec leurs obligations internationales et humaines. Et si les citoyens bosniens et quelques ONG locales ne s’étaient pas organisés par eux-même pour apporter de la nourriture et trouver des abris à certains de ces réfugiés et migrants, la situation pourrait être encore pire», commente Lana Pašić, analyste et conseillère en développement basée à Sarajevo. «À côté de ces jeux mesquins et de l’utilisation de la question migratoire pour marquer des points politiquement, l’omniprésence des discours de haine dans les médias bosniens est préoccupante», estime Lana Pašić.
«85.000 personnes sont toujours enregistrées comme déplacés internes des guerres des années 1990, ce qui diminue bien sûr la capacité des autorités à prendre en charge un grand nombre de réfugiés et de migrants», continue-t-elle. «Mais il est aussi clair qu’il y a un manque de volonté politique d’augmenter les capacités et prendre le problème à bras le corps, parce que venir en aide aux réfugiés et aux demandeurs d’asile n’aide pas à gagner les élections. Les propos alarmistes et les divisions ethniques, si. »
À Velika Kladuša, la solidarité s’est organisée, et en plus d’une petite aide de l’IOM et d’ONG locales, les quatre cuisiniers de fait du restaurant Teferić bénéficient de donations de la communauté. De nos jours, ce sont entre 500 et 700 repas qui sont ainsi préparés et distribués chaque jour. Mais malgré leur bonne volonté, la générosité de la population locale ne peut suffire face à l’ampleur des besoins. «Aujourd’hui, 700 personnes se sont présentées, mais 40 ont du repartir sans n’avoir rien mangé», regrette M. Latić.