La réforme de la police a favorisé les policiers en fin de carrière au détriment de toute une génération d’inspecteurs diplômés du bac. Entre frustration et espoir d’une solution politique, ils se mobilisent et demandent à leur ministre François Bausch de faire un geste.
Depuis des semaines, ils couraient après leur ministre de tutelle pour décrocher un rendez-vous et lui dire leur frustration d’être les laissés pour compte de la réforme de la police en 2018. François Bausch, Déi Gréng, a finalement accepté d’écouter, mais seulement d’une oreille, les représentants de l’Association du personnel policier détenteur d’un diplôme de fin d’études secondaires de la Police grand-ducale (Adesp). Le ministre de la Force publique a accepté le principe d’un entretien cette semaine.
Cette hésitation à les rencontrer témoigne de la volonté du ministre de mettre de la distance avec les policiers qui, par centaine, lui font des procès devant le tribunal administratif en réclamant leur reclassement dans une carrière supérieure. François Bausch joue la carte de la prudence pour résoudre une erreur de pilotage dans la réforme de 2018, dont il n’est pas directement responsable.
La situation au sein de la police est explosive».Michel Mangen, président d’Adesp
Son prédécesseur, Etienne Schneider (LSAP), avait bouclé la réforme de la police juste avant les élections législatives de 2018, qui a reconduit la coalition bleue, rouge et verte. La loi du 18 juillet 2018 a été présentée comme un cadeau du gouvernement sortant aux policiers de terrain pour leur permettre une évolution de carrière dans la grille de la fonction publique. Cette évolution était impossible auparavant.
Le cadeau a pourtant une odeur de cyanure pour beaucoup d’entre eux, en particulier une génération de policiers aujourd’hui quadragénaires ou presque. Ils étaient entrés dans les forces de l’ordre après avoir achevé avec succès le cycle de l’enseignement secondaire.
Avant la réforme, la carrière de policier n’offrait que deux options: inférieure et supérieure. La détention du Bac ne jouait aucun rôle, contrairement au reste de la fonction publique. La loi de juillet 2018 a créé une catégorie intermédiaire, le fameux B1, correspondant à la carrière moyenne du fonctionnaire.
Atmosphère empoisonnée
Coincés entre les vieux policiers qui accumulent les avantages pécuniers en vue de leur «5/6» de pension et les jeunes policiers diplômés, embauchés directement au niveau du grade B1, ces agents recrutés entre 1998 et 2014 se sentent «discriminés». «La situation au sein de la police est explosive», souligne Michel Mangen, président d’Adesp, dans un entretien à REPORTER.
«Au lieu de favoriser la cohésion, cette loi a surtout favorisé une dissociation du corps, accompagnée d’une atmosphère empoisonnée que notre hiérarchie refuse d’apercevoir», écrivait l’association à François Bausch le 31 octobre dernier. Le ministre n’ayant pas répondu à son SOS, ni à sa demande d’entrevue, l’Adesp lui a envoyé une seconde lettre le 12 décembre dernier. Dans l’intervalle, la colère des inspecteurs de police s’est étendue, comme en témoigne le nombre croissant d’adhésions à l’Adesp. Au tribunal administratif aussi, les recours des inspecteurs de police réclamant un avancement automatique s’accumulent.
Constituée début octobre, l’Adesp compte déjà quelque 300 membres et pourrait en accueillir à court terme 200 de plus, puisque 500 policiers, détenteurs d’un baccalauréat, voire d’un bachelor, sont concernés par le problème de reclassement de carrière. «Le ministre de la Force publique ne peut pas nous ignorer», souligne Michel Mangen. «Pas plus qu’il ne pourra attendre l’issue des recours devant les juridictions administratives, car les premiers jugements tomberont au plus tôt fin 2020», indique son collègue Roland Richon, vice-président de l’asbl.
Si le malaise dans les rangs des forces de l’ordre est profond, c’est parce que la réforme a créé, sans le vouloir, davantage de frustrations qu’elle n’a dégagé de solutions pour mettre de la cohésion au sein d’un corps qui avait mal digéré la fusion de la Police avec la gendarmerie dans les années 1990.
L’appât du 5/6e de pension
L’ancien cadre légal ne permettait pas aux inspecteurs de police, y compris ceux qui avaient le Bac en poche, de passer du grade C1 vers l’échelon supérieur, la carrière B1. La réforme devait promouvoir ces policiers bacheliers – c’était une des promesses d’Etienne Schneider -, elle a surtout permis à la vieille garde des forces de l’ordre, souvent peu diplômée, de grimper sur l’échelle hiérarchique.
Les différents mécanismes mis en place par le législateur (…) n’ont pas l’effet escompté, mais tout au contraire sèment la zizanie» Lettre de l’Adesp à François Bausch
Les policiers de base recrutés avant 1998 ont été les grands gagnants de la loi de juillet 2018. Ceux qui, Bac en poche, sont arrivés après en sont les perdants. Sur les 628 policiers ayant demandé une promotion dans le cadre B1, seuls 355 candidatures ont été retenues. Beaucoup sont en fin de carrière. Leur avancement dans la carrière B1 va leur permettre, après quelques années, de toucher une confortable retraite, correspondant à 5/6e de leur ancien traitement. Cette catégorie de policiers a donc intérêt à jouer les prolongations de carrière.
Le nouveau système complique la promotion de leurs collègues qui sont arrivés dans la police entre 1998 et 2014. Leur promotion n’a pas été automatique, faute d’ancienneté. Ils doivent repasser un examen, comme les jeunes recrues, pour passer au B1. Mais cette option comporte de nombreux désavantages. Financièrement, les policiers qui la choisissent perdent au change, car leur ancienneté n’est pas prise en compte. Beaucoup n’ont pas non plus envie de refaire un examen.
«Les différents mécanismes mis en place par le législateur pour accéder à ce groupe de traitement (B1, ndlr) n’ont pas l’effet escompté, mais tout au contraire sèment la zizanie», écrivaient le 31 octobre dernier les représentants de l’Adesp à François Bausch.
Paye à moitié, travail à moitié
«Il n’existe aucune alternative adéquate pour les policiers détenteurs d’un diplôme de fin d’études (…) d’accéder au groupe de traitement B1 sans subir d’inconvénients majeurs, soit d’un point de vue financier, soit au niveau de l’évolution de la future carrière, notamment en ce qui concerne l’occupation, par exemple, de postes de chef de service», précise le courrier au ministre. Car, malgré leur grade inférieur, ces policiers occupent souvent des postes clefs avec des responsabilités importantes.
La différence de traitement, liée au passage au B1 pour certains et le blocage dans la carrière C1 pour les autres, «risque de perturber le bon fonctionnement de l’administration», notent les représentants de l’association. «Il y a déjà une influence sur le travail, certains collègues disent qu’ils vont travailler la moitié du temps, parce que les autres ont le double de leur paye», fait observer le président d’Adesp. «Les gens comme nous, trop qualifiés, sont venus dans la police par vocation. Ils aiment leur travail, mais là, ils perdent leur motivation», précise-t-il.
L’inquiétude serait partagée, toujours selon l’association policière, par la direction générale de la Police rencontrée le 8 novembre dernier. «Ils prennent ce problème à cœur, mais (…) la solution du problème réside dans une modification de la loi et dépasse donc leur compétence», souligne l’Adesp dans sa lettre du 12 décembre à François Bausch.
L’Adesp attend donc un geste politique pour régulariser la situation de près de 500 policiers. Un geste qui aura un coût financier que le précédent gouvernement n’a pas voulu endosser.
Cet article a été modifié le 22 janvier. La version initiale faisait état à un entretien téléphonique avec le ministre. Il s’agit d’une rencontre entre François Bausch et les représentants de l’Adesp.
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