850.000 euros vont être investis pour une programmation culturelle du pavillon luxembourgeois à l’Exposition universelle de Dubaï. Le projet a failli s’ensabler. Il reste 11 mois aux artistes pour finaliser leurs projets. REPORTER révèle leurs intentions.
Les choses sérieuses vont pouvoir commencer. Plus de trois ans après la confirmation de la participation du Luxembourg à l’Expo Dubaï 2020, deux ans après la sélection d’un collectif d’artistes pour mettre sur pied une programmation culturelle, 20 mois après le premier coup de pelle pour la construction du pavillon, les projets artistiques qui iront à Dubaï ont finalement été validés en décembre dernier. Tout au moins dans leurs grandes lignes. Les budgets ne sont pas encore bouclés et bon nombre d’incertitudes planent sur leur réalisation.
Pourquoi de tels délais? Le premier conseiller au ministère de la Culture et président du Fonds culturel national (Focuna), Jo Kox, lève les yeux au ciel quand on l’interroge sur la question. C’est lui qui a été l’un des principaux artisans de cette initiative culturelle, même si l’idée en revient à l’ancienne ministre de la Culture et Commissaire générale du pavillon, Maggy Nagel.
Elle était encore ministre lorsqu’elle participe, les 23 et 24 mai 2016, à une réunion d’information préliminaire en vue de l’organisation d’une exposition universelle à Dubaï. Elle veut que la Culture fasse partie du package, comme lors de la précédente Expo à Shanghaï. Mais cette fois, les choses doivent être correctement préparées et non plus organisées à la dernière minute.
Flou artistique
Jo Kox s’enthousiasme. «Si tout le monde y va, je ne vois pas pourquoi la Culture n’y serait pas représentée!», dit-il. Comment? «On a un peu tourné en rond en 2017. On n’avait ni fil rouge, ni concept, ni budget», se rappelle le président du Focuna. Une idée finit par émerger: plutôt que d’envoyer une personne par discipline, un comité artistique – composé de représentants de différentes institutions culturelles du pays – choisit en décembre 2017 un collectif de huit artistes.
Le pavillon de Dubaï sera un lieu de résidence autour duquel développer un projet global. Il n’y a pas d’appel à candidatures mais le pari de réussir à faire travailler ensemble des gens qui, a priori, ne se connaissent pas. «Une première en son genre!», s’enorgueillit Jo Kox. Ce choix est clairement à contre-courant de la plupart des pavillons, qui enverront pour «The World’s Greatest Show of our Time» leurs stars sous les spotlights.
Il n’y a eu aucune censure.“Guy Helminger
Problème: le ministère de la Culture, qui entre temps est passé entre les mains du tandem Xavier Bettel-Guy Arendt, ne veut pas s’engager en 2017 pour un projet sans contour qui aura lieu en 2021. Une fois les artistes sélectionnés, Jo Kox mobilise dès 2018 la trésorerie du Focuna pour financer un voyage de prospection (5 au 10 décembre 2018) et garantir la rémunération des artistes. Ceux-ci sont liés par contrat au Focuna et non au Groupement d’Intérêt Économique (GIE) qui gère le Pavillon (ministères de l’Économie et des Travaux publics, Chambre de commerce, Post et SES).
Le Fonds culturel va injecter 350.000 euros sur quatre ans, auxquels vont s’ajouter les deux tranches de 250.000 euros que le ministère de la Culture a budgété pour 2020 et 2021, soit un total de 850.000 euros pour une période courant de janvier 2018 à avril 2021. Ce budget s’ajoute aux 32 millions d’euros de budget du GIE pour le pavillon.
Divorce «d’un commun accord»
Le projet va rapidement s’ensabler. Principalement pour des raisons logistiques. C’est le cabinet d’architectes Metaform qui remporte, en avril 2017, le concours pour la construction du pavillon, en binôme avec le scénographe français The Space Factory. Or très vite, celui-ci jette l’éponge «pour plusieurs raisons liées au timing et aux effectifs nécessaires pour mener à bien ce projet», nous explique le GIE qui gère le projet Expo Dubaï 2020. Le divorce avec Metaform est prononcé «d’un commun accord», dit l’organisateur.
En octobre 2017, le bureau allemand Jangled Nerves prend le relai pour la scénographie. Le concept doit être entièrement revu. Les artistes ne savent pas quel espace leur sera alloué. Il est tout d’abord prévu de les intégrer dans le parcours circulaire de l’architecture, de les faire en quelque sorte réagir à l’architecture et au concept du pavillon. Alors que les premières propositions émergent, l’idée est abandonnée. Il faut attendre l’été 2019 pour avoir la décision finale. Les artistes utiliseront un espace d’exposition ad hoc, dans la salle de conférence modulable du premier étage. La programmation culturelle pourra s’y dérouler durant trois semaines au mois de janvier 2021.
Certains artistes sollicités n’ont pas accepté la proposition de venir à Dubaï.“Bernard Baumgarten
Le compte-à-rebours est lancé. Plutôt qu’un projet artistique collectif, la programmation va en fait s’articuler autour de plusieurs projets ouverts à des collaborations croisées.
Compte-à-rebours
Celui qui semble le plus avancé est Guy Helminger. L’écrivain travaille sur un projet d’anthologie de poésie qui réunit 21 auteurs luxembourgeois. «Chacun était libre de se laisser inspirer par la thématique très générale de l’Expo Dubaï, ‘Connecting minds, Creating the future’, pour créer un texte original dans la langue de son choix. Il n’y a eu aucune censure et cela va vraiment dans tous les sens», observe-t-il. Les poèmes, traduits en arabe et anglais, seront interprétés musicalement par Patrick Muller et mis en page par Julie Conrad. Celle-ci travaille aussi sur un projet d’installation musicale avec le compositeur Patrick Muller, à partir d’un matériau «typiquement luxembourgeois» qu’elle a choisi en toute indépendance, dit-elle.
Le projet le plus «mégalomaniaque, en écho à la mégalomanie d’une exposition universelle», est imaginé par Simone Mousset et Renelde Pierlot. Elles vont relier Luxembourg à Dubaï en train en passant, a priori, par la Russie, l’Azerbaïdjan et l’Iran avant de prendre un ferry pour l’Émirat de Charjah. Le projet n’est pas encore ficelé mais les jeunes femmes envisagent d’embarquer dans leur périple – qui devrait durer deux à trois semaines – trois autres artistes femmes. L’idée est de développer une proposition artistique filmée, au fil du voyage et des rencontres avec d’autres artistes des pays traversés. «La situation géopolitique actuelle ne facilite pas l’organisation», reconnaît Renelde Pierlot.
Karolina Markiewicz et Pascal Piron feront un documentaire vidéo en partant du Couvent de Cinqfontaines dans le Nord du pays, où plus de 300 Luxembourgeois de confession juive ont été détenus puis déportés pendant la deuxième guerre mondiale. Les artistes veulent explorer «les blessures de l’Histoire qui restent ouvertes aujourd’hui encore». On n’en saura pas plus à ce stade. Le duo est actuellement en phase de documentation.
Finalement, celui qui reste le plus énigmatique sur sa contribution au projet artistique du pavillon est le réalisateur Adolf El Assal. Il botte en touche: «Je préfère ne rien dire avant une conférence de presse organisée le 27 février prochain». D’après nos informations, il devrait faire le lien entre les différents projets. On comprend dès lors qu’il temporise.
Pourquoi ces artistes ont-ils été choisis par le Comité artistique? Le directeur du Centre de création chorégraphique du Luxembourg, Bernard Baumgarten, a proposé à Simone Mousset de se joindre au projet. «C’est une artiste multidisciplinaire. C’est aussi quelqu’un qui sait raconter des histoires et a l’habitude des collaborations avec d’autres artistes», dit-il. D’une manière générale, ces critères collent assez bien au profil des autres membres du collectif. Bernard Baumgarten précise que «certains artistes sollicités n’ont pas accepté la proposition de venir à Dubaï», une manifestation contre laquelle milite le collectif Richtung 22.