De l’accueil d’urgence aux logements sociaux, la panoplie est vaste pour lutter contre le phénomène du sans-abrisme. Est-elle suffisante? Les acteurs du terrain estiment que non.

Le Statec a lancé en octobre dernier un pavé dans la marre avec une étude intitulée «Travail et cohésion sociale». Il affirme que le nombre de travailleurs exposés au risque de pauvreté est en forte hausse dans le pays. Le taux est passé de 7,1% des travailleurs résidents en 2003 à 13,7% en 2017. Ce chiffre vient conforter une observation faite par les structures d’aide sociale qui tirent depuis un certain nombre d’années la sonnette d’alarme.

Parmi les facteurs de risque figure la hausse du coût du logement qui pèse trop dans le budget des ménages. Sur base de cette étude, la Caritas Accueil Solidarité a lancé un appel en octobre 2017 pour la construction de 30.000 logements sociaux supplémentaires. Une manière de prévenir plutôt que de guérir la descente dans l’enfer de la précarité.

En attendant, au moindre accident de parcours, on peut du jour au lendemain se retrouver à la rue. D’après le recensement de mars 2017, on comptait dans le pays 2763 personnes logées dans des hébergements d’urgence, des foyers d’accueil et des logements encadrés. Elles étaient 1336 en 2012. Un doublement en cinq ans.

On peut y voir une augmentation de l’offre de logements mais aussi le symptôme de la progression de la misère sociale. Combien de personnes sont totalement désocialisées et restent sur le carreau? Un collectif de 14 associations vient de lancer un appel au gouvernement pour la mise en place d’une Couverture Sanitaire Universelle. Il estime que plus de 1500 personnes n’ont pas accès aux soins.  Autre indicateur: le taux d’affiliation à la Caisse Nationale de Santé est passé de 99% de la population en 2002 à 95,2% en 2015.

Une hausse des hébergements

La mise en œuvre de la «Stratégie nationale contre le sans-abrisme et l’exclusion liée au logement 2013-2020» a mis l’accent sur la nécessité du «housing first» pour lutter contre la précarité et la désocialisation.

De fait, des moyens ont été débloqués à différents niveaux. Il s’agit de faire face à des situations d’urgence avec des lits dans des structures comme les haltes de nuit, la Wanteraktioun, le Foyer Ulysse, Abrisud ou Abrigado. L’offre concerne aussi les personnes à qui on propose des logements plus ou moins encadrés selon les besoins de suivi social.

D’après l’analyse réalisée par le ministère de la Famille, c’est surtout la hausse de l’offre de l’Agence Immobilière Sociale (AIS) qui a permis de prendre en charge les personnes (1425 sur un total de 2763). L’AIS loue des logements au marché public et privé et les met à disposition des personnes à revenus modestes souffrant d’une problématique liée au logement. En contrepartie, le propriétaire peut déduire une partie des revenus locatifs de ses impôts et a une garantie de paiement du loyer.

Les hommes représentent 29% des personnes hébergées, les femmes 33% et les enfants mineurs 38%. Cette proportion d’enfants, plus importante que leur part dans la population totale (20%), indique que les services sociaux donnent la priorité aux familles avec enfants.

Le ministère de la Famille observe que huit bénéficiaires sur dix ont changé de situation de logement sur une période de cinq ans, «ce qui est un signal positif». Il note néanmoins que certaines personnes n’ont pas de perspectives d’amélioration de leur situation à moyen et long terme et «risquent de bloquer l’accès aux structures d’hébergement à d’autres personnes dans le besoin».

La situation des jeunes de 18 à 27 ans en particulier est pointée du doigt. Faute de place, certains sont hébergés au Foyer Ulysse à Luxembourg ou au Abrisud d’Esch, «ce qui ne constitue pas une solution d’hébergement acceptable» pour des jeunes adultes «susceptibles d’avoir des mauvaises fréquentations en étant confrontés à une population à problèmes multiples – dépendance, problèmes psychiatriques, délinquance… ».

D’une manière générale, la problématique ne se limite pas uniquement à la question des logements disponibles. Au service Logements de la Caritas, les 50 logements encadrés sont actuellement occupés. «On aimerait développer le parc immobilier mais il se pose la question des ressources financières et humaines pour faire l’accompagnement des personnes hébergées», souligne le responsable.

Une coordination à optimiser

Autre point sensible: la coordination entre les différentes institutions impliquées dans la lutte contre la précarité. Cela concerne les différents ministères et les institutions liées (notamment Famille, Santé, Logement), les communes et leurs services sociaux, les ONG (entre autres Croix Rouge, Caritas, Comité National de Défense Sociale, Agence Immobilière Sociale, Médecins du Monde).  Autant d’interlocuteurs derrière lesquels se déploie une administration qui fait parfois fuir les personnes dans le besoin.

«Globalement, depuis la Stratégie 2013-2010, il y a une meilleure collaboration entre les acteurs sur le terrain», estime le directeur de la Caritas Accueil Solidarité, Andreas Vogt. Pour l’heure, il n’existe toutefois pas de «dossier unique» qui rendrait le processus plus simple, aussi bien pour les bénéficiaires que pour les prestataires. La loi sur la protection des données représente à cet égard une contrainte supplémentaire. Il ajoute que «chaque personne a un parcours particulier et des besoins spécifiques. On ne peut donc pas se contenter de les mettre dans une grille préétablie. Cela demande du temps».