Le reclassement des carrières dans la police est un des dossiers chauds laissés par Etienne Schneider à ses successeurs. Faute d’un règlement politique, les litiges se retrouvent devant le tribunal administratif, qui a saisi la Cour constitutionnelle sur la conformité de la réforme.
En dépit des échanges de courrier, des rencontres et des tentatives de médiation, aucune solution politique n’a été trouvée au reclassement de plus de 200 policiers ayant été exclus de la réforme des forces de l’ordre en 2018. Ni François Bausch, ni son successeur Henri Kox (Déi Gréng), ministres de la Sécurité intérieure n’ont voulu céder aux revendications des représentations syndicales des policiers. Celles-ci demandent un passage automatique de la carrière inférieure (C1) à la carrière moyenne de la fonction publique (B1) à l’instar d’autres agents de l’Etat qui ont pu bénéficier de promotions quasi automatiques.
La solution sera tranchée par la justice qui a été saisie en 2019 par des policiers fortement mobilisés, regroupés dans des associations indépendantes du syndicat historique, le SNPGL, et de la grande famille de la CGFP. Les dossiers viennent de franchir un nouveau cap devant le tribunal administratif.
Promesses en l’air
«Le ministre ne comprend pas et ne veut pas comprendre notre problème», explique à Reporter.lu Michel Mangen, président de l’Association du personnel policier détenteur d’un diplôme de fin d’études secondaires de la police grand-ducale (Adesp), en visant le ministre de la Fonction publique, Marc Hansen (DP). Titulaire du Baccalauréat, cet inspecteur du bas de l’échelle hiérarchique alors que ses responsabilités sont importantes, est un des nombreux laissés pour compte de la réforme de la Police en 2018, oeuvre du précédent gouvernement Bettel/Schneider/Braz. Cette réforme s’est, entre autres, traduite par l’alignement des carrières de ce corps – et donc des traitements – sur le reste de la fonction publique, avec la création de trois niveaux de carrières, inférieure (C), moyenne (B) et supérieure (A).
En février 2019, l’inspecteur Mangen, comme des centaines de ses collègues, se voit refuser par François Bausch, fraîchement arrivé aux commandes du ministère de la Sécurité intérieure, l’accès au groupe de traitement B1 du cadre policier. Le ministre évoque l’absence de base légale pour le promouvoir. «Il n’existe pas de base légale en vertu de laquelle un fonctionnaire du groupe de traitement C1 du cadre policier de la Police, furent-ils détenteurs d’un diplôme de fin d’études ou de fin d’études générale ou d’un diplôme équivalent, pourraient être intégrés automatiquement dans le groupe de traitement B1 (…)», explique François Bausch dans une lettre que Reporter.lu a consultée.
L’inspecteur n’est pas le seul dans ce cas. Les promesses d’une revalorisation des carrières des policiers par le précédent ministre de la Force publique Etienne Schneider et sa secrétaire d’Etat Francine Closener (2013-2018) ont été restrictives et n’ont profité directement qu’à 156 agents, dont 105 venaient du groupe C1, les autres étant des nouvelles recrues externes. Or, 350 policiers visaient un reclassement.
Policiers en fin de carrière favorisés
Alors qu’elle était censée encourager les agents à rester dans les forces de l’ordre en sous-effectif, la réforme a raté son but premier, en profitant essentiellement aux policiers en fin de carrière. Des mesures alternatives ont toutefois été mises en place pour permettre aux exclus de changer de groupe, à travers notamment la «voie expresse», mais les places ont été limitées à 20% des effectifs. Un quota insuffisant pour satisfaire tous les candidats au reclassement vers la carrière B1 qui remplissaient les critères d’admission. En effet, 648 candidats se présentaient pour 355 places.
Là encore, les critères d’années de service ont favorisé les policiers les plus anciens, proches de la retraite. La limitation des postes à pourvoir dans un groupe supérieur violerait, selon la défense des policiers, le principe d’égalité des citoyens devant la loi, principe ancré dans l’article 10 de la Constitution. «Le critère de sélection lié à l’ancienneté de service a conduit à une dénaturation du mécanisme de la voie expresse en procédant à un favoritisme totalement injustifié des policiers les plus anciens», soutient l’Adeps.
Ces limitations de contingent ont été supprimées pour d’autres groupes de fonctionnaires titulaires du baccalauréat, notamment les expéditionnaires informaticiens ou les agents de l’Inspection générale de la Police. Tous ont été automatiquement admis dans la carrière supérieure. Les policiers ont donc revendiqué un traitement identique. Leurs ministres successifs de tutelle se sont montrés inflexibles, sans doute pour des questions budgétaires.
Faute de consensus politique, les «recalés» ont saisi le tribunal administratif pour mettre en cause la légalité des refus de promotion qu’ils ont essuyés. A l’automne 2019, la juridiction voit donc arriver au greffe une sorte d’action de groupe inédite des policiers réclamant leur reclassement. Plus de 200 recours ont ainsi été introduits. Certaines affaires ont été plaidées en septembre 2020 et ont déjà donné lieu à des décisions. D’autres recours ont été plaidés le 20 avril dernier et ont été mis en délibéré.
Carole Hartmann à la manoeuvre
Les litiges portés devant la juridiction administrative diffèrent en fonction des parcours des fonctionnaires ou de leurs diplômes, mais tous les requérants demandent la même chose, à savoir une revalorisation dans la carrière moyenne de la fonction publique et une rémunération «plus juste et équitable». Ils ont presque tous choisi le même avocat: Pol Urbany, connu notamment pour avoir remporté des batailles judiciaires décisives, par exemple en faveur de victimes du crash de la Luxair en 2002. Pol Urbany a rapidement associé à la défense des policiers sa jeune collègue de l’étude, Carole Hartmann, qui siège à la Chambre des députés depuis décembre 2018 sous l’étiquette du DP.
Une première étape décisive est intervenue le 6 avril dernier, après plus de six mois de délibéré. Les juges de la 4e chambre du Tribunal administratif ont renvoyé une dizaine de policiers devant la Cour constitutionnelle. D’autres fonctionnaires, plus chanceux, ont vu leurs recours tranchés le même jour en leur faveur. Ainsi, le ministre Henri Kox a-t-il été enjoint de revenir sur les refus de reclassement.
Un premier commissaire, qui ne remplissait pas les conditions d’ancienneté (15 ans) pour sauter d’échelon par le biais de la voie expresse pour passer du groupe C au groupe B, car il lui manquait quelques semaines de service dans les forces de l’ordre, a obtenu gain de cause. Son litige avec les autorités portait sur la date de référence à partir de laquelle son ancienneté avait été calculée: septembre 2018, date limite des candidatures pour un reclassement, avançait le gouvernement, juillet 2018, point de départ de la réforme, demandait la défense du policier. C’est cette dernière option qui a convaincu les juges.
Quotas discriminatoires
Dix autres affaires ont mis en cause la légalité du mécanisme de la voie expresse instauré pour une période de dix ans dans le sillage de la réforme de 2018 et limité à 20% des effectifs des policiers du groupe C, alors que cette limitation est inexistente pour d’autres carrières, notamment pour les fonctionnaires de l’Inspection générale de la Police, une administration devenue indépendante de la police en 2018.
Les policiers ont demandé à la juridiction de déclarer ce traitement différencié discriminatoire. Les magistrats n’ont pas voulu prendre de risque ni trancher directement. Ils s’en remettent donc à l’arbitrage de la Cour constitutionnelle pour vérifier si la différence instituée dans la suppression de la limitation du contingent d’agents admissibles à un reclassement à l’IGP mais son maintien à la Police grand-ducale n’est pas constitutive d’une violation de l’article 10 de la Constitution.
«La comparabilité des statuts n’est pas d’ores et déjà dénuée de tout fondement», relève le tribunal. Dans la procédure administrative, le représentant du gouvernement a reconnu que les agents de l’IGP et de la Police grand-ducale ont suivi la même formation de base, mais il a considéré qu’ils n’effectuaient pas le même travail. Ce qui rendait, selon lui, la situation des deux catégories de fonctionnaires des forces de l’ordre difficilement comparable: «La différence de traitement procéderait de disparités objectives, rationnellement justifiée, adéquate et proportionnée», a expliqué le représentant du gouvernement aux juges. Sans les convaincre pour autant.
Quatre questions préjudicielles ont donc été soumises le 6 avril dernier à la haute juridiction sur la conformité de la réforme du 18 juillet 2018. La Cour constitutionnelle pourrait être encore saisie d’une vingtaine d’autres questions préjudicielles qui ont été posées par Pol Urbany et Carole Hartmann dans d’autres recours plaidés le 20 avril dernier pour le compte de policiers titulaires du baccalauréat, la plupart affiliés à l’Adeps. Ces fonctionnaires revendiquent une promotion identique à celle dont ont bénéficié automatiquement avant eux, à diplômes équivalents, les infirmiers psychiatriques, les éducateurs, les sages-femmes et bien d’autres agents de la fonction publique.
Cet article a été modifié. Les propos du président d’Adeps visaient le ministre de la Fonction publique Marc Hansen et non le ministre de la Sécurité intérieure Henri Kox.
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