La pandémie a porté un nouveau coup à l’institution catholique, déjà affaiblie par la réforme qui l’a séparée de l’État. Avec ses opérations financières et immobilières, l’archevêché est en quête de nouvelles ressources pour se maintenir à flot. Sans trop d’états d’âme.

L’imposant portrait de monseigneur Léon Lommel (1893-1978), qui trône derrière le bureau de l’évêque auxiliaire Leo Wagener, fixe le visiteur dans la vaste salle à l’odeur de parquet ciré au rez-de-chaussée de l’Archevêché de Luxembourg. Un regard imperturbable, venu d’une époque où l’institution régnait sur le terreau fertile d’un pays imprégné d’une forte culture catholique.

Mais les temps ont changé. Tandis que le cardinal Jean-Claude Hollerich sillonne le monde pour assumer ses charges de président des épiscopats de l’Union européenne, Leo Wagener, son évêque auxiliaire depuis 2019, veille au Luxembourg sur une maison ébranlée sur plusieurs fronts.

Les sujets de préoccupation ne manquent pas pour ce sexagénaire, entre crise sanitaire, crise financière, bras de fer dans la mise en place du nouveau Kierchefong et sécularisation de la société. Reporter.lu a pu le rencontrer pour prendre la mesure des réorganisations en cours au sein de l’institution.

Sécularisation accélérée

L’homme n’en a pas fini avec la pandémie de Covid-19. Sa clientèle est particulièrement vulnérable au virus. «On peut dire que nous avons enregistré au moins un tiers de pratiquants en moins dans nos églises. Ce sont pour beaucoup des personnes âgées qui ont réduit leur vie sociale au strict minimum. Certains sont revenus une fois qu’ils avaient été vaccinés mais d’autres se sont habitués à regarder les retransmissions à la télé ou sur internet, ou encore à vivre sans messe», observe Leo Wagener.

À ses yeux, la pandémie n’aura pas marqué de «rupture» dans la pratique religieuse, mais plutôt une «accélération» de la sécularisation. Celle-ci avait déjà été observée dans la dernière étude CEPS-Instead sur «Les religions au Luxembourg». En 2008, 69% des personnes interrogées se déclaraient catholiques. 13% avaient une pratique religieuse régulière, contre 21% dix ans plus tôt.

Situation financière dans le flou

La pandémie est venue donner un coup d’accélérateur à la course contre la montre engagée au sein de l’archevêché depuis la réforme de 2015 qui réorganise les relations entre l’État et les cultes. Celle-ci a conduit à la création du Kierchefong, chargé par la loi du 13 février 2018 de «pourvoir aux besoins matériels de l’exercice du culte», après avoir absorbé les anciennes fabriques d’église. Les communes, qui y apportaient généralement leur contribution par le passé, ne peuvent plus renflouer les caisses. Seules la cathédrale de Luxembourg et la basilique d’Echternach bénéficient d’un statut spécifique. Cela a induit des frais en hausse pour les paroisses, tandis que la baisse de la fréquentation a contracté les rentrées financières.

Les paroissiens ont répondu à nos appels à solidarité. Les dons ont permis de pratiquement équilibrer les pertes.“Leo Wagener, vicaire général et évêque auxiliaire

En 2020, le montant des collectes et offrandes encaissées pour le Kierchefong a chuté de 40%. «Les paroissiens ont répondu à nos appels à solidarité. Les dons ont permis de pratiquement équilibrer les pertes», observe l’évêque auxiliaire. Il doute toutefois que la générosité résistera à l’épreuve de la durée, si le nombre de fidèles ne remonte pas. Malgré cela, l’introduction d’un «denier du culte», comme en France, n’est pas à l’ordre du jour.

La situation financière du Kierchefong reste dans le flou. Une conférence de presse pour faire la «transparence» avait été organisée 2019 mais l’exercice n’a pas été renouvelé. Son premier rapport annuel sera publié en 2022, conformément aux obligations légales qui l’en exemptent pour les trois premières années de son exercice. On peut noter que les collectes ne représentent qu’une part marginale de ses flux financiers, surtout liés à la gestion du patrimoine paroissial.

Tour de vis

L’impact de la réforme de 2015 sur l’administration centrale de l’archevêché se fait aussi sentir. La subvention publique permettant de payer les ministres du culte, qui culminait à 24,6 millions d’euros en 2015, a commencé à se réduire et atteindra un montant plancher de 6,75 millions d’euros au plus tard en 2035. Désormais, tous les nouveaux collaborateurs de l’institution sont engagés sous contrat de droit privé.

D’après Leo Wagener, la pandémie n’aura pas marqué de «rupture» dans la pratique religieuse, mais plutôt une «accélération» de la sécularisation. (Photo: Christian Peckels)

Le tour de vis est déjà en cours. Fin 2020, l’archevêché comptait 280 salariés au service de la pastorale et de l’administration, contre 293 fin 2019. C’est toute une culture du bénévolat, au sein d’une population vieillissante, qui doit désormais se mettre en place. Cela concerne en particulier la catéchèse, autrefois inclue dans les cours de religion à l’école, et qui doit désormais être prise en charge par les paroisses.

Alors que les comptes consolidés de l’administration centrale de l’archevêché affichaient un bénéfice de 6,6 millions d’euros en 2018, le groupe est passé dans le rouge en 2019 avec une perte de 2,1 millions d’euros. Ses résultats pour 2020 ne sont pas encore publiés mais Leo Wagener indique tabler désormais sur une perte opérationnelle de 2,5 à 2,8 millions d’euros par an.

Restructuration du patrimoine

Pour y faire face, l’institution a entamé une restructuration de ses participations financières coiffées par la société holding Lafayette. Le premier acte, intervenu en avril 2020, a officialisé la vente au groupe de presse belge Mediahuis du principal bijou de famille de l’archevêché: le groupe Saint-Paul, propriétaire du «Luxemburger Wort», fondé en 1848. Une opération dont l’évêque auxiliaire ne donne pas le prix. Son coût social aura été lourd avec 70 personnes licenciées peu de temps après par le nouvel actionnaire. La page du «Luxemburger Wort» aura été définitivement tournée avec la vente en avril 2021 du bâtiment hébergeant à Howald le nouveau siège du journal, pour un montant de 52 millions d’euros.

Nous avons besoin de revenus mais on ne va pas faire des opérations à risque. On n’est pas les seuls à miser là-dessus.“Leo Wagener, vicaire général et évêque auxiliaire

Limité par des ressources financières et humaines qui se réduisent, l’archevêché tente de maintenir la barque à flot en misant sur l’investissement immobilier. Sa fibre sociale a pris du plomb dans l’aile après la réforme intervenue en 2019 sur les conditions d’octroi des subventions publiques pour le logement social. La durée du conventionnement liant le promoteur à l’État a été portée de 20 à 40 ans. Il n’est depuis lors plus question de se focaliser sur ce type d’investissement. Le risque est jugé trop élevé pour des perspectives limitées de «bénéfice raisonnable», comme l’impose la loi.

L’archevêché se positionne désormais sans complexe sur le marché de l’immobilier privé. «Nous avons besoin de revenus mais on ne va pas faire des opérations à risque. On n’est pas les seuls à miser là-dessus», observe Leo Wagener.

Des projets de prestige

Le premier projet à voir le jour sera le terrain de l’ancien Carmel, au Cents, en 2022. Celui-ci est devenu le Centre spirituel du Cents qui attire des jeunes et nombreuses familles francophones séduites par l’aspect «traditionnel» et «convivial» de la liturgie. Le centre est animé par une congrégation d’origine argentine, la famille Religieuse du Verbe Incarné, qui compte neuf religieuses, un prêtre et un diacre. Le projet « Wunnen am Klouschtergaart», dessiné par le bureau d’architectes Jim Clemes dans un parc de 27.840 mètres carrrés, les amputera d’une bonne partie de leur terrain dans l’axe de l’aéroport du Findel. «On espère un premier coup de pelle en 2022», note sans état d’âme l’évêque auxiliaire.

Suivra le projet du Centre Convict au cœur de la capitale, dont le bureau Christian Bauer & Associés Architectes vient de remporter l’étude d’urbanisme suite à une consultation rémunérée. Le projet devrait permettre, dans les dix ans à venir, la réalisation progressive d’environ 30.000 mètres carrés de surface brute sur un terrain de 19.000 mètres carrés.

Le troisième pôle de développement immobilier se situera à Gasperich, sur l’ancien site du «Luxemburger Wort» qui abrite toujours les rotatives. Dans un premier temps, les locaux vides vont être loués.

Des lieux de culte sur la sellette

Ces opérations devraient donner à l’archevêché les moyens d’entretenir son patrimoine religieux et de subvenir à ses frais de fonctionnement. Mais jusqu’où doit-il le faire, alors qu’il y a de moins en moins de pratiquants?

À ce jour, sur les 520 églises et chapelles que compte le pays, 157 appartiennent au Kierchefong et 363 restent la propriété des communes. Celles-ci doivent décider si elles désacralisent les bâtiments, ou si elles signent une convention avec le Kierchefong qui assumera alors les frais liés à la pratique du culte.

Confronté à des pertes opérationnelles considérables, l’archevêché se positionne sans complexe sur le marché de l’immobilier privé. (Photo: Christian Peckels)

Depuis l’entrée en vigueur de la réforme, 13 églises ont été désacralisées par décret et 174 conventions ont été signées. Que va-t-il advenir des 176 autres églises ou chapelles qui ne sont toujours pas conventionnées, près de quatre ans après l’entrée en vigueur de la réforme? Dans les coulisses de l’archevêché, certains anticipent un tiers de biens désacralisés dans les dix ans à venir.

Au-delà de la question de l’usage cultuel, les lignes bougent sur le front de la protection du patrimoine. Le tribunal administratif a été saisi par le bourgmestre de la Commune de Troisvierges, Edy Mertens (DP/Ëlwenter Biergerlëst), qui «refusait de laisser moisir ce patrimoine» classé, au motif que la loi de 2018 lui interdit de contribuer aux frais de chauffage, comme il l’a expliqué au journal «Le Quotidien». Dans son arrêt du 30 mars 2021, le tribunal administratif a rebattu les cartes. La commune de Troisvierges a obtenu gain de cause, permettant la négociation d’une nouvelle convention entre la commune et le Kierchefong. «Nous espérons que ce précédent va faire tache d’huile en incitant d’autres communes à en faire autant», commente Leo Wagener.

Le temps semble aussi faire son œuvre du côté du Syfel, syndicat qui regroupe des représentants des anciennes fabriques d’église de Luxembourg. L’association s’est constituée pour s’opposer à la constitution du Kierchefong, estimant que celui-ci les a «expropriées» de leurs églises paroissiales. Les irréductibles continuent à se battre devant les tribunaux pour faire valoir leurs droits «et iront jusqu’au bout», indique le vice-président Marc Linden. Toutefois, il reconnaît qu’une partie des troupes «est rentrée dans le rang en intégrant les nouvelles fabriques d’église, ou a pris sa retraite».


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