Une nouvelle étude de l’Observatoire européen de la fiscalité épingle le Luxembourg comme paradis fiscal pour les banques. La contestation du lobby de la place financière ne s’est pas fait attendre. Néanmoins les chercheurs défendent leurs critères innovateurs.
Depuis sa création, l’Observatoire européen de la fiscalité n’est pas en odeur de sainteté au Luxembourg. Et pour cause : son directeur n’est autre que Gabriel Zucman, économiste et professeur à l’université de Berkeley. Dans son livre « La richesse cachée des nations » de 2013 sur les paradis fiscaux, il avait défendu la thèse qu’il fallait éjecter le Grand-Duché de l’Union européenne – ce qui n’avait pas manqué de soulever un tollé d’indignation au pays.
Inquiets pour le bien-être de la place, les députés Fernand Kartheiser et Roy Reding (ADR) s’étaient dès l’annonce de sa création empressés pour demander au ministre d’État Xavier Bettel (DP) quelle influence cet Observatoire, financé en grande partie par la Commission européenne et logé à l’École d’Économie à Paris, exercerait sur la politique fiscale européenne. Si Bettel a relativisé l’importance de l’Observatoire – qui voudrait selon lui «contribuer sa partie à un débat plus démocratique et inclusif sur le futur de l’environnement fiscal par sa recherche innovatrice» – il n’a pas pu empêcher que le Luxembourg se retrouve à nouveau sur la défensive contre l’image d’un État favorisant les inégalités fiscales.
Des données supposément publiques
Le rapport «Les banques européennes ont-elles quitté les paradis fiscaux ?» de l’Observatoire européen de la fiscalité présente la particularité d’être un des premiers à se baser sur des chiffres issus du «Country-by-Country-Reporting» (CBCR). Ces publications devenues mandataires à partir de 2013 pour des banques déclarant plus de 750 millions d’euros suite à l’application de la directive européenne sur l’accès à l’activité des établissements de crédit, sont le fruit d’une longue bataille.
Le Luxembourg apparaît bien comme un paradis fiscal particulièrement attractif pour les banques européennes.“Réponse de l’Observatoire européen de la fiscalité au ministère des Finances
«Le lobby des banques qui s’est opposé à nos efforts pour instaurer le CBCR, ne cessait de répéter que cela allait détruire leur modèle économique. Des années plus tard, nous voyons qu’il n’en a rien été», a rappelé l’économiste français Thierry Philipponnat, directeur de recherche à l’ONG Finance Watch lors d’un panel de présentation de l’étude. Pour l’expert, des études pareilles étaient exactement ce que les ONG et la société civile désiraient en promouvant le CBCR.
Pourtant, travailler avec ces données supposément publiques n’est pas une mince affaire : «Les banques n’ont pas de format hétérogène pour les présenter. Certaines ne les publient pas sur leur site et il faut envoyer des demandes», explique Mona Barake, la chercheuse de l’Observatoire qui s’est occupée de la partie data de l’étude. Un point de vue partagé par l’eurodéputée Manon Aubry (La France Insoumise), qui avant d’entrer en politique travaillait pour l’ONG Oxfam sur la question fiscale. «Rien n’a changé au fond depuis la mise en place du CBCR, donc il n’y a pas d’effet positif ou négatif avec cette nouvelle transparence», ajoute-t-elle.
Deux critères innovateurs pour les paradis fiscaux
Quant aux paradis fiscaux à analyser, l’Observatoire européen de la fiscalité a choisi de ne pas s’en remettre à la liste établie par le Parlement européen, qui ne contient aucun État membre. Par contre, deux critères ont été pris en compte : le profit par employé et les taux fiscaux effectifs. Si dans un pays, les profits par employé dépassent largement les activités des établissements bancaires, cela peut être un indicateur pour un environnement fiscal favorable à l’optimisation – beaucoup d’argent pour pas beaucoup de substance. Même si le taux fiscal effectif – que l’Observatoire estime à 15% – est le plus haut des paradis fiscaux pris en compte par l’étude, le Luxembourg y figure tout de même.
La liste des banques comprend 36 banques systémiques et multinationales domiciliées dans onze pays européens. L’importance du marché hors de leur pays d’origine devient palpable en prenant quelques chiffres : chaque année 65% des profits des banques analysées se faisaient à travers leurs filiales étrangères, dont 14% dans des pays que l’Observatoire considère comme des paradis fiscaux.

Pour démontrer que les profits engrangés dans ces derniers pays sont différents de ceux rentrés dans des pays à ne pas considérer comme des paradis fiscaux, l’étude s’est penchée sur la profitabilité par employé. Les chiffres et les graphiques illustrent qu’un salarié de banque dans un paradis fiscal remporte bien plus à sa banque qu’un salarié dans un pays «normal», ou travaillant dans le pays d’origine de la banque. Pour le Luxembourg, cela équivaudrait à un profit de 330.000 euros par employé par an.
Un chiffre que Nicolas Mackel, CEO de «Luxembourg For Finance», ne conteste pas. Contacté par Reporter.lu, il doute cependant de la pertinence de ce critère : «C’est mélanger des choux et des carottes. Une banque de détail avec des guichets dans un grand pays coûte beaucoup plus qu’une banque spécialisée dans les fonds par exemple.» Avec cette argumentation il est sur une ligne avec le Ministère des Finances, qui a qualifié ce critère de «trompeur» auprès de Reporter.lu.
Pourtant, selon l’Observatoire, les marges de profit parleraient une autre langue : entre 2014 et 2020 celles des paradis fiscaux dépassent les marges domestiques et pays «normaux » entre 10 et 20%.
Le Luxembourg reste dans l’élite mondiale
L’Observatoire a aussi réagi à la critique provenant des autorités luxembourgeoises : «D’après les données que nous avons exploitées, le Luxembourg se caractérise par un taux d’imposition des bénéfices bancaires relativement faible (15%) et un montant de bénéfices par employé particulièrement élevé. Au regard de cet indicateur, le Luxembourg se classe en quatrième position au niveau mondial, derrière les Iles vierges britanniques, les Iles Caïman et les Maldives, mais devant le Panama, les Bermudes, Guernsey, les Bahamas, Gibraltar, ou Hong Kong -juridictions qui à l’instar du Luxembourg sont présentes sur le marché de la gestion de fortune ou l’investment banking. Le Luxembourg apparaît donc bien comme un paradis fiscal particulièrement attractif pour les banques européennes» ont fait savoir les auteurs de l’étude à Reporter.lu.
Je ne comprends pas d’où les chercheurs sortent ces chiffres, mais je pense qu’ils se trompent.“Nicolas Mackel, «Luxembourg For Finance»
Sur la plage temporelle analysée, l’étude conclut que les profits des banques provenant des paradis fiscaux sont restés stables. Mais aussi que le comportement des banques était plutôt hétérogène : certaines se montrent plus agressives et d’autres n’utilisent presque pas les possibilités d’optimiser leur taxation.
Une autre conclusion concerne la nature des profits des banques: soit elles opèrent dans ces pays pour délocaliser leurs propres bénéfices, soit elles bénéficient des placements d’autres multinationales. Finalement, l’Observatoire a simulé la taxe globale de 15 % proposée par le G20 cet été – d’après leurs calculs, elle rapporterait entre 3 et 5 milliards de plus.
Un changement qui n’affecterait pas le Grand-Duché, même si Nicolas Mackel doute que le taux de 15 % considéré par l’Observatoire s’applique réellement : «À ce que j’en sais le taux de 15 % est réservé aux petites et moyennes entreprises. Pour les autres c’est plutôt 25 %. Je ne comprends pas d’où les chercheurs sortent ces chiffres, mais je pense qu’ils se trompent», estime-t-il.
3 à 5 milliards de plus avec la taxe globale du G20
Généralement, la ligne de défense du CEO de «Luxembourg For Finance», ainsi que celle du Ministère des Finances est de décrédibiliser l’étude de l’Observatoire : «Ces gens vivent dans un monde d’il y a vingt ans», lance Nicolas Mackel. Et d’insister sur le fait que la place financière luxembourgeoise aurait de la substance, et ne serait pas uniquement utilisée pour le transfert de bénéfices : «Nous n’avons pas uniquement adopté des réglementations, comme le BEPS de l’OCDE ou les directives européennes Atad. Mais nous nous sommes activement impliqués dans ce processus. Croyez-moi, quand je voyage à l’étranger pour promouvoir la place financière luxembourgeoise, il n’est jamais question de fiscalité.»
Pour lui, les leçons tirées du scandale Luxleaks prouveraient que l’attractivité de la place financière ne se base pas uniquement sur les montages fiscaux : «Nous avons adopté nos règlementations et rendu impossibles ces montages de multinationales qui essayaient de se servir des pays les uns contre les autres. Et cela n’a rien changé à notre attractivité.» Une conclusion à laquelle souscriraient aussi ceux qui voient le Luxembourg toujours comme un paradis fiscal, mais pas dans le même sens.
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