Le gouvernement a trouvé une parade juridique pour bloquer l’attribution d’une licence à la chaîne de télévision russe RT, proche du Kremlin. Politiquement chaud pour le Premier ministre Xavier Bettel, le dossier pourrait rebondir en justice. Les avocats de RT réfléchissent à la riposte.

La page RT n’est peut-être pas définitivement tournée au Luxembourg où la chaîne vient d’essuyer le refus du Service des Médias et Communication (SMC) de lui accorder une licence de diffusion par satellite. La demande de la chaîne qui propage la bonne parole du Kremlin avait été introduite le 15 mai. Le SMC, antenne du ministère d’Etat, avait deux mois pour y répondre. Le couperet est tombé vendredi sous la forme d’une lettre dans laquelle les autorités luxembourgeoises se déclarent incompétentes à traiter le dossier et le renvoient à Berlin.

La chaîne y a ses installations et son personnel pour diffuser une version allemande de «Télé Poutine». RT, anciennement appelé Russia Today, est largement financé par l’État russe et reconnu en Europe comme faisant partie des efforts de propagande du gouvernement russe à l’étranger.

Audiovisuel sans contraintes

RT n’a pas reçu d’autorisation en Allemagne en raison de sa législation sur l’audiovisuel imposant à tout média d’information une indépendance vis-à-vis d’un Etat, selon le concept de la «Staatsferne». Le Luxembourg ne connaît pas ce concept et impose d’ailleurs de façon générale peu de contraintes aux opérateurs de l’audiovisuel. Les Russes ont donc choisi de contourner la législation allemande en passant par le Grand-Duché, à la réputation très libérale.

La directive audiovisuelle (TV sans frontière) prévoit un simple régime de notification pour les chaînes de pays tiers à l’Union européenne diffusées via le satellite. La capacité satellitaire détermine ainsi la compétence de l’Etat membre européen. De facto, RT auf Deutsch étant relayé par le satellite Astra de l’opérateur SES à Betzdorf, remplissait les conditions pour l’octroi d’une licence luxembourgeoise.

Le 14 août, après des fuites dans la presse, le service presse du Premier ministre a publié un communiqué en allemand et en anglais: «Sur la base de la directive sur les médias audiovisuels, le service des médias, des communications et du numérique a conclu que le Luxembourg n’est pas la juridiction compétente pour RT auf Deutsch, étant donné que les critères techniques ne sont pas remplis». «Le diffuseur disposant d’un bureau en Allemagne, où une part significative des salariés impliqués dans la production des services audiovisuels sont installés, ‚RT auf Deutsch‘ doit être placé sous la juridiction de la République fédérale d’Allemagne», précise le communiqué.

RT n’avait sans doute pas anticipé ce refus des Luxembourgeois, estimant que la procédure de notification, inscrite dans la directive européenne, allait être une simple formalité.

Poudre aux yeux de Moscou

Les services juridiques du ministère d’Etat, associés aux juristes de l’Autorité indépendante de l’audiovisuel (Alia) dont son président Thierry Hoscheit, ainsi que les Allemands ont planché pendant des heures à ce qui s’apparente à un «niet» diplomatique à Moscou et au président Vladimir Poutine.

«Le gouvernement luxembourgeois disposait d’une certaine latitude pour refuser une demande. Il a choisi d’estimer ne pas être territorialement compétent dans la mesure où l’ensemble des moyens de RT sont à Berlin», a fait savoir Thierry Hoscheit.

Fin juriste, vice-président du Tribunal d’arrondissement de Luxembourg, le président de l’Alia n’est pas mécontent de la décision luxembourgeoise qui a permis au SMC de se tirer une épine du pied à travers des arguments juridiques et non pas politiques. Ce qui va permettre de sauver les bonnes relations que le premier ministre entretient avec Moscou. «Formellement, explique-t-il, la notification a été faite par TV Novosti à Moscou, donc un émetteur de pays tiers, mais c’était de la poudre aux yeux, car le réel établissement de la chaîne est à Berlin».

Dans un communiqué cité par l’AFP, RT indique avoir pris acte du refus des Luxembourgeois et précise que ses avocats sont en train d’examiner la lettre du SMC «pour décider des prochaines démarches» à entreprendre.

Cette formule fait volontairement planer le flou sur les intentions des dirigeants de la chaîne. Ils ont l’option d’introduire un recours contre la décision. Une autre possibilité serait de localiser une partie de RT auf Deutsch au Luxembourg, de recruter au moins un employé et d’y prendre les décisions éditoriales – ou à tout le moins faire semblant de le faire – pour prétendre à une licence arborant le lion rouge.