Le pape François a fait du cardinal luxembourgeois un homme incontournable dans le processus synodal pour donner un nouvel élan à l’Église catholique. Sa personnalité fascine à l’étranger autant qu’elle peut déranger dans son pays. Un livre entretien vient apporter un éclairage sur sa méthode.

«Mais qui donc est cet homme au service de l’avenir de l’Église, à un poste aussi décisif?», s’interrogent le professeur à la «Luxembourg School of Religion & Society», Alberto Ambrosio, et le journaliste allemand Volker Resing, en préambule du livre-entretien publié avec le cardinal Jean-Claude Hollerich.*

La question est loin d’être anodine. Sur ses épaules repose la charge de Rapporteur général du synode des évêques sur la synodalité, qui vise à donner un nouvel élan à l’Église en associant tous les croyants à sa mission. Une première étape a été lancée par le pape François en octobre 2021. Face à une institution secouée par les scandales de pédo-criminalité et d’abus de toutes sortes, face à la baisse des vocations sacerdotales et de la pratique religieuse, les catholiques du monde entier ont été invités à exprimer leurs doléances, leurs attentes et leurs propositions.

Ce processus de consultation de la base catholique à l’échelle mondiale est une première. En octobre 2023 et octobre 2024, les évêques se réuniront à Rome pour fixer une nouvelle feuille de route sur la base des différentes synthèses réalisées, de l’Amérique latine à la Chine en passant par l’Irlande ou l’Afrique du Sud.

Au Luxembourg, 4.590 personnes ont participé à la consultation, à titre individuel ou au sein de groupes. La société civile y a été associée. Le parti Déi Gréng, la Piratepartei, les guides et scouts de Luxembourg, plusieurs écoles et lycées, l’association Noël de la rue ou encore l’association luxembourgeoise des universitaires catholiques font partie des contributeurs dont les observations ont été rendues publiques.

La synthèse luxembourgeoise a été présentée au mois de juillet dernier par deux laïcs coordinateurs, Jean-Louis Zeien (également secrétaire général de la Commission Justice et Paix et président de Fair Trade Luxembourg) et Josiane Mirkes (assistante pastorale de la paroisse d’Echternach). Les échanges ont permis aux catholiques luxembourgeois, pratiquants ou non, de mettre notamment sur la table des sujets tels que l’accès du sacerdoce aux femmes, la fin de l’obligation du célibat des prêtres, une plus large ouverture aux personnes LGBTGI+ ou encore un meilleur accueil des divorcés remariés.

Le retour de l’étranger

Le Rapporteur général, chargé de présenter au Vatican la synthèse de la consultation mondiale, est l’homme que les Luxembourgeois ont découvert en octobre 2011, tout juste débarqué de Tokyo. Ce père jésuite, vice-recteur de l’Université Sophia venait d’apprendre que le pape lui confiait la charge d’archevêque du Luxembourg. Cela faisait 26 ans qu’il avait quitté le pays. L’ancien enfant de chœur de Vianden, né à Differdange en 1958 et qui se dit «issu d’un catholicisme luxembourgeois désuet», n’a pas reconnu son «Hémecht». Lui aussi avait changé. «Je suis un évêque qui vient du Japon, et je pense que les Luxembourgeois sont nombreux à ne pas l’avoir encore bien compris», observe dans son livre celui qui a été créé cardinal par le pape François en 2019.

Le mode de pensée de Jean-Claude Hollerich reste, de fait, «étranger» à bon nombre de ses ouailles. Reporter.lu a tenté à plusieurs reprises de le contacter pour obtenir des éclaircissements sur certains sujets controversés. En vain. Au-delà d’un agenda chargé, le cardinal garde un contrôle étroit sur sa communication. Modérément présent sur les réseaux sociaux, il accorde volontiers des interviews aux médias étrangers, intéressés à sonder «l’un des plus proches conseillers du pape François» (d’après la «Frankfurter Allgemeine Zeitung»). En revanche, le cardinal cantonne généralement la presse luxembourgeoise aux conférences de presse, davantage encadrées. Il note dans son livre qu’il lui est «parfois encore difficile d’accepter la manière abrupte dont les Européens formulent les choses».

Passé l’effet de surprise de sa nomination à la fonction d’archevêque du Luxembourg en 2011, la lune de miel avec son terreau local aura été de courte durée. Son retour a précédé de peu l’arrivée au pouvoir en 2013 de la nouvelle coalition Gambia (DP, LSAP, Déi Gréng) et le vote en 2015 de la loi qui a réorganisé les relations entre l’État et les cultes. La signature de l’accord lui a valu l’opposition frontale et des actions en justice du Syfel, association de représentants des anciennes Fabriques d’Église, mais aussi la colère de bons nombres d’enseignants de religion, priés de se reconvertir.

À l’étroit au Grand-Duché, Jean-Claude Hollerich s’est investi au sein de la Commission des épiscopats de la communauté européenne dont il est devenu le président en 2018 (mandat qui arrivera à échéance en 2023). Un évêque auxiliaire, Léo Wagener, a été désigné à sa demande par le pape François en juillet 2019 pour le seconder au Luxembourg.

Ouvertures tous azimuts

Ses positions dans la presse sur l’homosexualité, la contraception, le célibat des prêtres ou encore la place des femmes dans l’institution semblent le placer du côté des courants réformateurs. Dans son livre, il plaide pour une «inculturation» de l’Église catholique dans un monde qui ne comprend plus le langage de celle-ci. Un discours assorti de signaux forts. C’est lui qui a désigné, en 2021, l’assistante pastorale Milly Hellers première femme prédicatrice au pèlerinage de l’Octave. Sous son impulsion ont été féminisés plusieurs organes décisionnels de l’archevêché, où il garde toutefois les pleins pouvoirs.

Pourtant, dans le même temps, le cardinal a ouvert grand la porte du Luxembourg à des mouvements de sensibilité conservatrice voire traditionnaliste, et ce malgré les réticences au sein de son diocèse. Il a pris, seul, la décision d’accueillir en 2016 la controversée communauté Verbum Spei à Esch et de lui confier la pastorale étudiante de l’Université. Malgré de premiers dysfonctionnements internes, le Foyer-logement Jean-Paul II animé par Verbum Spei à Esch-Belval a été inauguré le 26 novembre dernier, en sa présence.

En 2016 également s’est installée au Centre spirituel du Cents une communauté d’origine argentine, l’Institut Servantes du Seigneur et de la Vierge de Matará (S.S.V.M.), un mouvement conservateur où les femmes n’approchent pas l’autel. Il est très engagé dans la catéchèse des enfants.

En 2017, le Chemin néo-catéchuménal, un mouvement très conservateur d’origine espagnole reconnu par le Vatican après de longues procédures, a pu ouvrir un séminaire Redemptoris Mater au Centre Jean XXIII. Celui-ci forme des prêtres non seulement pour sa communauté, mais aussi pour le diocèse de Luxembourg qui n’en compte plus assez dans son propre séminaire (délocalisé à l’étranger).

La communauté Saint-Martin, une branche conservatrice qui forme en France des prêtres en soutane, n’est pas encore présente au niveau de la pastorale mais ses projets soulèvent des questions auxquelles l’évêque n’a pas encore répondu. Suite à un bras de fer gagné devant les tribunaux, elle va pouvoir obtenir un statut d’utilité publique au Luxembourg, malgré l’opposition de l’État.

Politiquement correct

Ce qui peut apparaître comme un double langage au Luxembourg n’en est pas au regard de la culture japonaise, estime le cardinal dans son livre-entretien. «Les Japonais ne pensent pas, comme les Européens, selon une logique des contraires. Si je dis, par exemple: c’est noir, donc ce n’est pas blanc, un Japonais dira: c’est blanc, mais c’est peut-être noir aussi. Au Japon, on peut associer les contraires sans changer de point de vue».

L’homme reconnaît que sa propre pensée a évolué au fil du temps. Il confesse la «blessure profonde» que représente la remise en cause des principes moraux de ces 50 dernières années, auxquels il a cru. «Tout n’était certes pas infondé, mais bien des idées étaient tout simplement fausses (…) À cette époque déjà, il existait un savoir plus éclairé qui n’avait pas encore cours dans les cercles catholiques. Nous sommes prisonniers d’une morale bourgeoise datant du XIXème siècle et qui n’est assurément pas une morale biblique», dit-il.

Pour autant, il ne condamne pas ceux qui demeurent ancrés dans cette morale. Interrogé dans le livre sur la présence du chemin néo-catéchuménal au Luxembourg, il observe que «mon avis n’est pas ce qui importe. Je suis avant tout le berger de tous». Une manière de renvoyer dos à dos réformateurs et traditionnalistes dans leur certitude d’être les seuls investis de l’Esprit saint, à l’heure où certains appréhendent le risque de schisme au sein de l’Église de Rome.

Lors de l’audience papale aux représentants du synode, le 28 novembre dernier, le cardinal Jean-Claude Hollerich s’est inscrit contre une «politisation dans et de l’Église», à savoir une «instrumentalisation du synode» pour faire avancer un agenda réformateur. Sa manière de louvoyer entre les différents courants est pourtant la marque d’une approche très politique de sa mission.


*Jean-Claude Hollerich:  «Trouver Dieu en toutes choses», éditions Salvator, 2022 (traduit du livre en allemand paru sous le titre: «Was auf dem Spiel steht – Die Zukunft des Christentums in einer säkularen Welt», Verlag Herder, 2022)


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