Le Film Fund a suspendu son soutien financier au nouveau film du Luxembourgeois Adolf El Assal. Son père a joué un rôle dans un autre film du réalisateur – également financé avec de l’argent public. Le père a fait de la prison pour abus sexuel.

Il ne s’agit que de quelques minutes. 5 minutes – plus ou moins. 5 minutes qui ont ravivé chez une sœur le pire des souvenirs. 5 minutes dues à une coïncidence, selon le frère. 5 minutes qui ont changé la vie des deux. Car elles ont déclenché un nouveau combat.

Le frère est cinéaste. Il a produit le premier film luxembourgeois à être diffusé sur Netflix et rêve de percer. La sœur a été sexuellement abusée pendant 16 ans. Son abuseur était leur père.

Pour le film «Sawah», Adolf El Assal était à la fois scénariste, réalisateur et co-producteur. Il lui appartenait de trouver les bons acteurs pour chaque rôle. C’est ainsi que le Luxembourgeois a choisi son propre père pour jouer le rôle du père du protagoniste. Son père, pharmacien au Caire, y joue le rôle d’un pharmacien au Caire. Il y apparaît comme personnage jovial, bon père de famille.

Des passages qui choquent sa sœur. Mary Faltz reproche à Adolf El Assal d’avoir attribué un rôle glorifiant à leur père dans le but de le réhabiliter publiquement. Elle lui reproche également de nier les abus dont leur père a été l’auteur.

La sonnette d’alarme de Mary

Mary Faltz ne ménage pas ses mots. «Il n’est pas défendable qu’on se range du côté d’un tel homme et lui donne une plateforme pour se profiler alors qu’il a un casier judiciaire lourdement chargé et n’est qu’en liberté conditionnelle», s’insurge-t-elle. «Il s’agit d’une ligne rouge, d’une limite morale qui n’a pas le droit d’être franchie.»

Mon intention n’a jamais été de blesser ma sœur. Je ne fais pas de films pour blesser.“Adolf El Assal

Mary Faltz reproche au «Luxembourg Film Fund» d’avoir subventionné ce même film, «Sawah», et de continuer à accorder des aides financières à son frère, notamment pour son nouveau film «Hooped». Pour ce dernier, trois millions d’euros d’argent public sont en jeu.

Pour l’avocat de Mary Faltz, plusieurs choses sont claires. «Le régisseur connaissait la condamnation de son ‚acteur‘ pour de multiples crimes. Le comportement d’Adolf El Assal est inexcusable, il n’est pas digne du soutien d’une institution étatique.» C’est ce qu’a écrit François Prum dans un courrier adressé au Film Fund fin janvier.

Et à l’avocat de poursuivre: «Par la glorification de son père, Adolf El Assal devient, à son tour, un véritable bourreau de sa sœur cadette qui souffre et souffrira à vie pour les sévices répétés et atroces qu’elle a vécus. Continuer à soutenir Adolf El Assal en connaissance de cause serait à nos yeux incompatible avec les règles éthiques telles que nous les interprétons».

Un appel à l’éthique du Film Fund

«Sachez que le Film Fund prend très au sérieux les faits que vous relatez dans votre lettre», lui répond son directeur, Guy Daleiden, par courrier. Dans la lettre adressée à l’avocat de Mary Faltz, il en tire les conséquences: «C’est pourquoi le comité de sélection a mis en suspens le soutien public apporté au projet ‚Hooped‘.» La lettre stipule par ailleurs que le comité de sélection a décidé dans sa réunion du 30 janvier de ne pas signer la convention de production.

Mary Faltz, née Mary El Assal, a changé son nom. Elle ne voulait plus porter le nom de son abuseur. Pourtant, elle ne cache pas son identité. Elle a décidé de parler publiquement des atrocités qu’elle a dû endurer.  (Photo: Mike Zenari)

Interrogé par Reporter.lu, Guy Daleiden explique que les informations relayées par l’avocat «jettent un nouvel éclairage sur le scénario du film ‚Hooped‘, notamment les déclarations du réalisateur, qui risquent d’être perçues comme une glorification, voire une réhabilitation d’une personne condamnée pour pédophilie».

Guy Daleiden confirme qu’il s’agit d’une première: Jamais le Film Fund n’a encore pris la décision de suspendre le soutien public après qu’un accord de principe eût au préalable été signé.

La défense d’Adolf El Assal

La décision du Film Fund pourrait poser de sérieux ennuis au réalisateur Adolf El Assal. Le fils de parents égyptiens est présenté dans l’industrie comme l’une des étoiles montantes du cinéma luxembourgeois. Les trois millions d’euros du Luxembourg représentent la majeure partie du financement qui s’élève à 5,8 millions d’euros. Le quadragénaire que tout le monde prénomme «Ady» dans l’industrie, explique à Reporter.lu: «Je suis à 100% d’accord que le Film Fund ait pris la décision de suspendre les aides financières pour ‚Hooped‘.»

«Compte tenu du contexte dans l’industrie du film, je comprends que le Film Fund n’avait pas d’autre choix», nous dit le scénariste. «Le problème vient du fait que j’ai dit publiquement que ce film avait une partie autobiographique.» Des propos qu’il tient entretemps à nuancer. Il dit aujourd’hui que le film « Sawah» est à 1% autobiographique et qu’il n’est qu’en partie inspiré de faits réels.

Adolf El Assal est présenté comme l’une des étoiles montantes du film luxembourgeois. Ses films ont déjà gagné plusieurs prix à des festivals de films internationaux.  (Photo: Mike Zenari)

«Mon intention n’a jamais été de blesser ma sœur. Je ne fais pas de films pour blesser ou pour choquer», assure le cinéaste. Il explique que le contexte familial a toujours été très tendu et semé de drames. «J’ai quitté la maison à l’âge de 16 ans et je n’ai pas été le témoin des abus sexuels», dit-il. «J’étais très triste et choqué, lorsque j’ai appris ce qu’a subi ma sœur.» Et de poursuivre: «C’est une coïncidence que mon père figure dans le film ‚Sawah‘».

Le scénariste explique qu’il devait dans l’urgence pourvoir ce tout petit rôle «qui n’apparaît même pas 5 minutes dans le film». Qu’il avait en tête un autre acteur qui s’est désisté à la dernière minute et qu’il cherchait au Luxembourg «un homme arabe âgé» pour jouer le père du protagoniste. «Le choix n’était pas énorme et le temps pressait.»

«Je peux par contre vous dire qu’il ne s’agit nullement d’un rôle glorifiant», assure Adolf El Assal. «Je comprends que ma sœur ait fait cette assimilation. Mais je trouve injuste les insinuations de son avocat dans la lettre qu’il a adressée au Film Fund.» Le cinéaste explique, par ailleurs, que l’histoire du film «Hooped» n’a rien à voir avec celle de «Sawah». Avant, dans la presse, il avait dit que «Sawah» était le premier film d’une trilogie autour de la quête d’identité.

Dans «Hooped», un jeune homme rêve de devenir joueur professionnel de basketball. C’était aussi le rêve du jeune «Ady» qui, teenager, a vécu quelques mois chez son oncle à Los Angeles. Le film évoque l’odyssée de celui qui part vivre chez son oncle au Canada, en passant par le Luxembourg et l’Egypte. La comédie tourne autour des magouilles de son oncle. Aucun père ne sera dépeint dans le film. Le père d’Adolf El Assal n’y figurera certainement pas.

Ce sentiment d’avoir été trahie

Mary Faltz a subi son calvaire pendant 16 ans, jusqu’à l’âge de 25 ans, lorsqu’elle a dénoncé son père. Ses frères et sœurs diront devant les tribunaux qu’ils ignoraient tout. Elle se sentira trahie par toute sa famille.

Aujourd’hui, elle se dit reconnaissante de la décision du Film Fund de suspendre toutes les aides financières destinées au tournage et à la production du film «Hooped». Elle espère que cette suspension donnera lieu à une annulation définitive des aides. Son frère, en revanche, se dit optimiste qu’une solution puisse être trouvée pour le financement.

Il s’agit d’une ligne rouge, d’une limite morale qui n’a pas le droit d’être franchie.“Mary Faltz

Adolf El Assal et Mary Faltz ont un talent pour l’écriture. Le premier écrit des scénarios, dont trois scénarios ont abouti à des films sur le Grand Écran. Ils lui ont valu trois prix et deux nominations à des festivals de films internationaux.

Mary Faltz, pour sa part, sortira bientôt son deuxième livre. Elle est l’auteure du livre «Trahie dans sa chair» – un ouvrage autobiographique. Cette chercheuse clinique et pharmacienne diplômée s’engage sur la scène publique pour donner une voix aux victimes d’abus sexuels. Ella apparaît avec nom et visage dans une campagne de «Zonta Luxembourg» lancée dans le cadre de la «Orange Week», ne cache pas son identité au «RTL Kloertext» et donne des Ted Talks. Aujourd’hui, elle est investie pour sensibiliser les enseignants au repérage des victimes de violences sexuelles. De par son expérience, elle sait à quoi ressemble le cri d’appel à l’aide étouffé d’un teenager.


A lire aussi