Calmer le jeu. Sortir de l’urgence pour mettre en place une véritable gestion préventive du patrimoine bâti dans le pays. C’est tout l’enjeu du nouveau projet de loi déposé à la Chambre des députés. Cela fait 19 ans qu’on en discute.

Le projet de loi 7473 loi relatif au patrimoine culturel est le fruit d’un processus dans lequel tous les partis de gouvernement ont mouillé leur chemise, avec plus ou moins d’ardeur.

Un premier projet de révision de la loi de 1983 est présenté en 2000 par Erna Hennicot-Schoepges (CSV). Il s’agit de clarifier la législation pour mettre fin aux litiges entre pouvoirs publics et personnes privées, mais aussi de préciser et de compléter les droits des particuliers dont les biens sont classés au patrimoine national ou situés sur des zones archéologiques. Le texte est remanié à plusieurs reprises avant de disparaître du radar après un deuxième avis complémentaire du Conseil d’État en 2007.

La ministre de la Culture Octavie Modert (CSV) arrive à l’Hôtel des Terres Rouges en 2009. Deux ans plus tard est votée la loi ratifiant la Convention de Faro (datant de 2005) qui souligne la valeur du patrimoine culturel pour la société. La réforme de la loi de 1983 reste pourtant au point mort, sur fond d’exaspération dans le camp des défenseurs du patrimoine – l’affaire de la Maison Berbère dans le quartier de la Gare à Luxembourg fera grand bruit en 2010. La ministre missionne en 2012 l’expert belge François Desseilles pour une étude sur «Le droit du patrimoine culturel au Luxembourg». Son rapport de 656 pages est présenté en mai 2014 à la Commission de la culture de la Chambre des députés et suivi des Assises du Patrimoine en novembre de la même année.

Ce bâtiment a été jugé digne de protection.

C’est alors Maggy Nagel (DP) qui est aux commandes du ministère de la Culture. Elle met sur pied une Commission réunissant pouvoirs publics et société civile pour travailler à la réforme de la loi de 1983. Le représentant de l’association Luxembourg Patrimoine, Jochen Zenthöfer, y participait et témoigne d’un face à face stérile entre, d’un côté, le ministère de la Culture et les associations de défense du patrimoine, de l’autre le ministère de l’Intérieur et le Syvicol représentant les communes sur lesquelles se trouvent les biens ou secteurs à protéger (d’Land du 26/2/2016). Ce blocage nous a été confirmé par un autre participant à cette Commission.

Maggy Nagel peut néanmoins afficher à son actif le vote en 2016 des lois transposant les Conventions européennes de La Vallette (1992) sur l’archéologie préventive, et de Grenade (1985) sur la protection du patrimoine bâti.

Les communes sous pression

Le piétinement législatif n’arrange pas les choses sur le terrain. Les pelleteuses continuent leur travail, inexorablement. D’après le directeur du Centre National de Recherche Archéologique, Foni Le Brun, 2.000 édifices sont construits chaque année dans le pays, ce qui représente dix kilomètres carrés. Si la croissance démographique et urbanistique se poursuit, d’ici 50 ans, un quart du pays devrait être aménagé. Or à ce jour, les fouilles archéologiques préventives se limitent aux travaux publics et à certains grands projets d’aménagement comme la Cloche d’Or. Le dispositif légal est dépassé.

L’un des autres points stratégiques concerne la mise sur pied d’un inventaire scientifique du patrimoine bâti pour savoir ce qui est digne de protection ou pas, mais aussi ce qui relève de la protection nationale ou de la protection locale.

Les nombreuses instances internationales dont fait partie le Luxembourg (Unesco, Conseil de l’Europe) préconisent de longue date l’établissement d’un inventaire et en indiquent les critères. Mais qui doit s’en occuper? Les communes ou l’État? La réponse va évoluer au fil du temps et rester très parcellaire.

Les destructions du bâtiment rue Jean l’Aveugle ont commencé alors que la maison était en cours de classement.

En 2010, l’architecte du Service des Sites et Monuments Christina Mayer publie, dans le cadre de sa thèse de doctorat, une première étude scientifique sur le patrimoine bâti. Celle-ci se limite au canton d’Echternach et doit en principe être suivie d’une autre étude sur le canton de Diekirch.

Le projet tourne court du fait des nouvelles dispositions concernant les PAG (Plans d’Aménagement Général) dans les communes à partir de 2008. La responsabilité de l’identification des bâtiments ou secteurs à protéger leur revient. Elles peuvent bénéficier de l’expertise du Service des Sites et Monuments Nationaux pour mener à bien une «étude préparatoire» au PAG. Mais d’après le rapport Desseilles, «les critères ne sont pas formulés de manière assez rigoureuse ni précise», entraînant bon nombre de contestations de procédures de classement. Il faut attendre 2013 pour que le SSMN publie une nouvelle liste de critères beaucoup plus précise, dont s’inspire le nouveau projet de loi.

Reprise en main par l’État

Depuis mai 2016, à côté de l’aide aux repérages dans le cadre des PAG, le Service des Sites et Monuments est reparti sur le terrain pour entreprendre ses propres inventaires scientifiques. Deux d’entre-eux sont consultables sur le site du SSMN : celui de Larochette et celui de Fischbach .Celui de la commune de Helperknapp est également achevé mais pas encore consultable. Il faut 16 heures en moyenne pour évaluer de manière scientifique un seul objet, d’après le SSMN. C’est dire qu’inventorier tout le patrimoine bâti du pays sera un travail de longue haleine!

A ce jour, 1.457 objets ont été protégés par l’État, à savoir 550 objets classés comme monument national et 907 objets inscrits à l’inventaire supplémentaire. On est encore loin du chiffre des 5 à 6.000 objets à protéger d’après les estimations.


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