Un ex-forain est accusé de méga fraudes à l’investissement au diamant et à l’immobilier. Les fonds ont disparu dans des circuits internationaux de blanchiment. Le prévenu a réussi à convaincre plus de 200 investisseurs – dont des financiers expérimentés.
Son parcours délinquant hors du commun vient de lui valoir en appel deux ans de prison ferme pour un détournement de fonds dans une banque. Pour autant, Emmanuel Abramczyk n’en a pas fini avec la justice. Ce Français de 55 ans devra prochainement répondre avec ses complices de deux autres affaires de fraude et de blanchiment, dont l’une est présentée comme l’une des plus importantes escroqueries financières présumées commise au Luxembourg au cours des dix dernières années.
Mégalomane mais charmeur, l’homme a convaincu des ex-banquiers et autres professionnels avertis de la place financière à le suivre dans de prétendus investissements dans la taille de diamants et l’immobilier. Pendant des années, Abramczyk a vécu une vie de flambeur, entretenant une maîtresse à grands frais et jouant les mécènes pour des amis dans le besoin avec l’argent d’épargnants souvent modestes, ayant cru à ses promesses.
Le 12 juillet dernier, la Cour d’appel n’a pas eu de mansuétude envers Emmanuel Abramczyk qui était jugé avec sept autres prévenus pour un détournement de 3,527 millions d’euros à la succursale luxembourgeoise de la banque «Caixa Geral de Depositos».
Le roi de l’offshore complice
Un employé indélicat a détourné les fonds du compte d’une cliente en utilisant les services de deux réseaux criminels distincts pour les transférer à l’étranger et les blanchir. Une première filière est passée par le Liechtenstein et la banque lettone Rietumu. 1,8 million d’euros y ont transité par l’entremise de la société «France Offshore» et de son dirigeant Nadav Moche Bensoussan, présenté comme le «roi de la finance offshore». Condamné à cinq ans de prison dans l’Hexagone pour avoir mis en place un système quasi industriel de fraude fiscale et de blanchiment, ce dernier a bénéficié d’une relaxe dans l’affaire Caixa en raison du principe du non bis in idem qui proscrit de juger deux fois une personne pour des faits identiques.
Une bonne partie des fonds récoltés a été simplement dilapidée sous le couvert d’une activité diamantaire d’une société qui risque d’avoir été mise sur pied elle-même grâce à un circuit intercontinental de blanchiment d’argent.“Rapport du Procureur d’Etat, 22 avril 2021
La seconde filière a emprunté des circuits vers Hong-Kong. Un montant de 1,2 million d’euros provenant du détournement a été viré sur un compte à la «Bank of Communications» de Hong Kong, appartenant à un ressortissant chinois Wenqi Wang. Les enquêteurs luxembourgeois l’ont présenté comme un «exécutant chinois aux ordres de l’Européen dominant», en l’occurrence Emmanuel Abramczyk.
Le parquet voit ce dernier comme «l’acteur principal de la filière Hong Kong». Les deux hommes sont en relation d’affaire avant la fraude commise à la banque Caixa. L’enquête documente notamment l’existence d’un contrat entre la société luxembourgeoise «Organit», qu’Ambraczyk a dirigée avant sa faillite en 2013, et l’entreprise chinoise «Zhejang Xinruide Investment» de Wang.
Sortie de Caixa, cette partie du butin est d’abord acheminée en Chine avant de faire une étape en Suisse puis partiellement revenir, blanchi, à son point de départ à Caixa Luxembourg via un compte ouvert par la société de droit américain «Loxley Management Group». La société a une adresse au 11 avenue de la Liberté et même son nom sur la sonnette, ce qui est illégal. Emmanuel Abramczyk figure comme dirigeant. Lors du retour de l’argent dans le circuit luxembourgeois, il prélève sa part de butin, soit près de 420.000 euros. Selon l’accusation, ces fonds vont par la suite lui servir à mettre en place une autre escroquerie présumée au diamant.
L’ancien flambeur au Revis
Le 8 mars 2021, le tribunal correctionnel rend un premier verdict sur une fraude qui remonte dix ans en arrière. Sorti quelques semaines plus tôt de détention préventive pour l’affaire des diamants, Emmanuel Abramczyk est condamné à 18 mois de prison et 150.000 euros d’amende. Les juges prennent en compte le dépassement du délai raisonnable. Le 12 juillet dernier, la Cour d’appel considère la peine initiale trop faible et alourdit le verdict. Il écope de deux ans de prison et 200.000 euros d’amende. La Cour refuse par ailleurs de tenir compte de la situation financière précaire alléguée par Abramczyk. Son avocat le dit bénéficiaire du Revis, mais les juges en doutent. Un pourvoi en cassation a été introduit, qui suspend la décision.

Emmanuel Abramczyk aura un autre rendez-vous avec la justice, probablement en fin d’année dans une affaire remontant à l’automne 2008. Il est alors dirigeant de fait et administrateur jusqu’à sa faillite en mars 2013 d’Organit, société à l’activité commerciale «protéiforme» sans disposer d’autorisation de commerce. Le Français est renvoyé devant un tribunal correctionnel avec deux autres dirigeants dont un expert-comptable pour des faits d’abus de biens sociaux et de banqueroute frauduleuse.
Le parquet reproche aux trois prévenus d’avoir dépouillé la société alors qu’elle se trouvait dans une situation financière désastreuse. Les principaux griefs pèsent sur les épaules d’Abramczyk qui s’est servi dans les comptes de la société comme s’il s’agissait de son propre portefeuille. Ses prélèvements litigieux portent sur 130.000 euros entre octobre 2008 et mai 2011. Il est aussi accusé d’avoir touché indûment plus de 30.000 euros d’indemnités de chômage de l’ADEM de juillet 2009 à juin 2010, alors que dans le même temps ses revenus provenant d’Organit se sont élevés à plus de 92.000 euros. Fixé à mars 2022, le procès a été reporté à la demande d’un des coprévenus d’Abramczyk.
Des économies perdues
Ce dernier devra encore répondre devant un tribunal correctionnel de charges d’escroquerie à l’investissement, de blanchiment, d’abus de biens sociaux et d’activité bancaire illicite qui a fait plus de 200 victimes pour quelque 31 millions d’euros. Le dossier est lourd. Des investisseurs ont perdu les économies de toute une vie.
Une Luxembourgeoise âgée de 70 ans au moment des faits a placé 500.000 euros, rassurée par le «diamant de taille impressionnante» qu’Abramczyk lui a montré et qui s’avérera être, après expertise judiciaire, une pierre sans valeur. Les promesses de l’autoproclamé diamantaire ont berné des investisseurs expérimentés. Un ancien gestionnaire de fortune de la «Banque Privée Edmond de Rothschild Europe» s’est laissé convaincre de miser 300.000 euros. Un ancien directeur de l’opérateur «Orange» à Luxembourg a investi une somme identique. La firme «PWC» a touché plus de 160.000 euros d’honoraires pour le montage d’un fonds investissant dans la taille de diamant qui n’a jamais vu le jour.
Le «procès Rawstone/Applestone», des noms des principaux holdings qui ont permis de récolter l’argent, est attendu depuis des mois par les victimes, bien que leur chance de récupérer leurs mises est presque inexistante. «Une bonne partie des fonds récoltés a été simplement dilapidée sous le couvert d’une activité diamantaire d’une société qui risque d’avoir été mise sur pied elle-même grâce à un circuit intercontinental de blanchiment d’argent», indique le rapport du procureur d’Etat que Reporter.lu a consulté.
Selon les informations de Reporter.lu, les audiences n’auront pas lieu avant la fin de l’année 2023. Le parquet a bouclé le dossier en avril 2021. La Chambre du conseil du tribunal d’arrondissement de Luxembourg a confirmé les préventions en novembre 2021. Il y a eu appel.
Un train de vie démesuré
Emmanuel Abramczyk est au cœur de cette affaire qui est en principe comparable à la fraude pyramidale de Bernie Madoff. Elle aurait pu faire davantage de victimes si la Commission de surveillance du secteur financier (CSSF) n’avait pas donné l’alerte, saisissant la Cellule de renseignement financier (CRF) d’une déclaration de soupçon le 21 décembre 2018. Deux mois plus tôt, les premiers souscripteurs s’inquiétant de ne pas toucher les intérêts des obligations qu’ils avaient souscrites (entre 8,8 et 9,9% par an) avaient porté plainte.
Ce fut le clap de fin pour un homme qui a commencé sa carrière professionnelle comme vendeur ambulant sur les marchés de sa Normandie natale. L’instruction judiciaire est ouverte le 18 janvier 2019. L’enquête le vise initialement ainsi que son épouse avant de s’étendre à un avocat, à la banque «BCP» qui a fermé les yeux ainsi qu’à sa maîtresse, son garde du corps et un de ses amis restaurateur.

L’enquête judiciaire documente l’étendue de la fraude présumée, rendue possible grâce à un important réseau d’apporteurs d’affaires travaillant dans le secteur financier et grassement rémunérés, avec 13% de commissions sur les apports des clients. Le dossier répressif rend compte du train de vie démesuré du couple qui habitait une maison de maître à Belair louée 8.500 euros par mois. L’enquête s’est prolongée jusqu’en Belgique, notamment chez les diamantaires, en France, en Israël et aux Etats-Unis. Les commissions rogatoires lancées en Chine n’ont pas abouti.
Emmanuel Abramczyk faisait valoir une expérience de 25 ans en tant que diamantaire autodidacte. Son train de vie de milliardaire était une façade: les voitures de luxe – avec chauffeur – étaient en leasing, les montres de grande marque qu’il portait étaient essentiellement des contrefaçons, son garde du corps n’avait pas d’autorisation valable pour cette activité.
Le château de cartes s’écroule
Le Français ne recule devant rien. Il vend à une société allemande pour 135.000 euros une Lamborghini Huracan qu’il loue en leasing. Il établit des contrats de travail fictifs pour sa femme, nommée «risk officer» et directrice des ressources humaines. «(Elle) ne se serait occupée que de la gestion des femmes de ménages du domicile privé», témoigne une des employées de Rawstone devant les enquêteurs.
La famille multiplie les séjours dans les hôtels de luxe, se fait conduire à Disneyland Paris par le chauffeur privé, fréquente le Fouquet’s et s’offre des séjours thalasso à La Baule. Emmanuel Abramczyk n’est pas avare non plus à la dépense envers sa maîtresse, propulsée «marketing manager» de Rawstone. Entre juillet 2014 et août 2018, cette dernière touche plus de 167.000 euros de rémunération nette, auxquels s’ajoutent des avantages en nature: location d’un cabriolet Mercedes et d’un SUV Toyota, prise en charge des loyers de son appartement privé pour 153.800 euros, d’une femme de ménage et de voyages privés avec sa fille et les amies de sa fille au Japon, en Grèce, au Mexique et aux Etats-Unis.
Son amant lui offre des bijoux en diamant, qu’elle refuse d’ailleurs pour certains de les restituer aux enquêteurs. L’argent des victimes finance même les frais de scolarité de sa fille ainsi que les visites médicales des employés et des factures du restaurant de son frère.
Lorsque la supercherie de type Ponzi est dénoncée en 2018, que le château de cartes s’écroule et que les différentes sociétés d’Abramczyk tombent en faillite, l’épouse d’Abramczyk, sa maîtresse et un de ses proches, ayant également bénéficié d’un emploi fictif, n’hésitent pas à faire des déclarations de créances au curateur pour des arrières de salaires et de congés non pris. Ils ont aussi demandé des indemnités de chômage.
Les prévenus devront s’en expliquer lors du procès en 2023 devant des victimes, parties civiles, qui pour certaines vivent désormais – et pour de vrai – des minima sociaux.
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