Le réaménagement du Knuedler va bientôt être attribué aux termes d’un appel d’offres européen. Le marché public est déjà controversé en raison du prix des pierres qui vont recouvrir la principale place de la capitale et de certains critères environnementaux ayant prévalu à leur choix.
La Place Guillaume II a des allures de concours hippique avec ses barrières rouges et blanches défigurant l’espace public qui sont autant d’obstacles pour les passants qui osent encore s’y aventurer. En 2022, si tout va bien, la principale place de la capitale redeviendra fréquentable.
Le Knuedler sera métamorphosé avec des fontaines sèches, 7 arbres supplémentaires, des bancs publics, un parc de jeux, des terrasses agrandies et un nouveau pavement en granit beige censé lui redonner son éclat. Le regard de la statue équestre de Guillaume se tournera peut-être vers l’Hôtel de ville et son Biergercenter au lieu du Palais grand-ducal.
Devis à 28 millions d’euros
Le 27 janvier 2020, le Conseil communal a approuvé à l’unanimité le projet de réaménagement et son concept urbanistique pour un devis estimatif de 28,65 millions d’euros. Le 26 février dernier, les services communaux du génie civil ont procédé à l’ouverture des soumissions. Trois entreprises ou groupements d’entreprises sont en concurrence. A ce stade, l’appel d’offre n’est pas encore attribué, fait savoir le service presse de la Ville de Luxembourg.
Selon les informations de Reporter.lu, l’offre la mieux-disante est celle de l’association momentanée Perrard/Lux-TP à 23,253 millions d’euros toutes taxes comprises, devant celle de Karp Kneip/Kuhn et CDCL. Lux-TP avait remporté quelques années plus tôt le marché de l’extension du parking du Knuedler, travaux qui tirent en longueur en raison des trouvailles archéologiques lors des creusements, notamment la présence d’un édifice religieux.
Le marché du réaménagement a obligé les soumissionnaires à intégrer dans leur offre des critères de sélectivité sociale et environnementale, notamment dans le choix de la pierre de pavement de la Place Guillaume II.
Fairtrade pas seulement pour le café
Revendiquant la certification «Fairtrade Geméng», la Ville de Luxembourg s’est assurée que le granit ne viendrait pas de Chine, connue pour faire travailler sa minorité ouïghoure dans des carrières qui s’apparentent à des camps de redressement. Le label fairtrade «ne doit pas seulement s’appliquer à l’achat de café, mais aussi à l’achat de pierres», fit valoir la conseillère communale Linda Gaasch (Déi Gréng) lors du vote des travaux de réaménagement en janvier 2020.
En décembre 2014, la provenance chinoise des pierres de pavement destinées à la Vieille Ville et leur stockage avaient suscité la polémique entre la majorité et son opposition. La Bourgmestre Lydie Polfer (DP) ne s’est pas privée de répondre à l’édile écologiste que la commande de l’époque fut passée «avec le soutien total des collègues du parti Déi Gréng». De quoi faire taire les écologistes relégués désormais dans l’opposition.
Aujourd’hui, la donne a changé. La législation sur les marchés publics impose depuis 2018 le respect de normes minimales en matière de droits sociaux et environnementaux aux fournisseurs et sous-traitants pour l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement.
Le cahier des charges du chantier du Knuedler a donc exigé des pierres «Fairstone» et incité, bonus à l’appui, les soumissionnaires à réduire l’empreinte carbone liée à l’importation de granits et à la sélection de leurs fournisseurs de matériaux et prestataires tiers.
Critères écologiques alternatifs
Les critères de réduction de CO2, d’ailleurs spécifiés quelques jours seulement avant l’ouverture de la soumission, ont tenu compte de la distance théorique par route séparant les carrières d’extraction de la Place Guillaume, sans prendre en considération des moyens de transports alternatifs comme le train ou le bateau. De facto, le marché public a donc privilégié les carrières des pays limitrophes.
Une certaine incongruité frappe ce choix fait par l’ensemble des soumissionnaires de retenir un fournisseur dont les offres s’avèrent en réalité non seulement plus polluantes mais également plus chères pour le contribuable. »Le fournisseur de granit portugais
Pour mettre la chance de leur côté et espérer remporter le marché, le choix des entreprises soumissionnaires s’est donc tourné vers une carrière située en Allemagne. A priori séduisante en raison de son prix, une offre concurrente de matériaux en provenance du Portugal n’a pas été retenue, en raison de la distance théorique par route entre les lieux d’extraction et de livraison de la marchandise. Celle-ci devait être acheminée principalement par bateau et par train, avec les camions limités aux derniers kilomètres, ce qui réduisait l’empreinte carbone de l’opération tout en rendant l’offre concurrentielle en termes de prix.
Selon les informations de Reporter.lu, le fournisseur de granit portugais fit une offre à 1,5 million d’euros hors TVA. L’offre allemande à 4,38 millions d’euros a pourtant été considérée comme étant la meilleure.
Ce montant a été intégré dans l’offre finale des trois soumissionnaires ayant concouru au marché public. A lui seul, le budget estimatif pour l’achat des pierres portait sur 7,7 millions d’euros. La différence considérable entre ce montant et celui des offres des pierres allemandes (4,38 millions) et portugaises (1,5 million) mériterait sans doute une explication.
Mesures protectionnistes
L’importateur du granit portugais évincé a en tout cas sollicité la bourgmestre dans une lettre pour qu’elle justifie le choix par les entreprises soumissionnaires de la pierre allemande au regard des critères du mieux-disant en termes de prix et de respect des normes environnementales. «Une certaine incongruité frappe ce choix fait par l’ensemble des soumissionnaires de retenir un fournisseur dont les offres s’avèrent en réalité non seulement plus polluantes mais également plus chères pour le contribuable sachant que par ailleurs les pierres proposées sont de qualité équivalente», écrit la firme.
Le dirigeant indique qu’il «aurait tout à fait accepté de ne pas être retenue sur des critères objectifs, mais pas en fonction d’éléments qui ne visent en réalité qu’à opérer certaines mesures de protection par rapport à une carrière allemande en faussant les règles normales des appels d’offres et en engendrant ainsi un dommage (de n’avoir pas) pu participer de façon équitable à ce marché».
En janvier 2020, Guy Foetz, déi Lénk, vieux routier de l’opposition au conseil communal, fit part de ses «fortes réserves» sur le prix estimatif de 7,7 millions d’euros pour l’acquisition des pierres. «Il faut se demander, assurait-il, s’il ne serait pas préférable de poser les bons vieux pavés de granit locaux» que la ville a toujours en stock après les avoir retirés des rues.
Manière de mettre en pratique l’économie circulaire.
Cet article a été modifié. La soumission a été ouverte, mais en date du 26 mars, le marché n’était pas encore attribué.