La députée Nathalie Oberweis a posé une question détaillée au ministre des Finances à la suite de l’investigation « LuxLetters ». Celui-ci refuse de donner plus d’informations et garde la porte ouverte aux doutes concernant les échanges entre l’ACD et une certaine clientèle.
«L’administration des contributions directes ne tient pas de statistiques sur les annexes, documents ou pièces justificatives qui peuvent accompagner ces déclarations.» Une petite phrase suffit pour pérenniser le doute sur les pratiques de l’administration des contributions directes (ACD). Le premier juillet 2021, une collaboration journalistique internationale – menée par le Le Monde et la Süddeutsche Zeitung et coordonnée par les ONG The Signals et Tax Justice Network – avait publié l’enquête «LuxLetters».
Essentiellement basée sur des témoignages d’employés de la place financière, l’investigation posait une question potentiellement scandaleuse: Et si l’ACD avait continué d’accorder des deals fiscaux discrets à des multinationales et clients fortunés – malgré l’obligation d’échanger les rulings?
Cette règle, initiée par la directive européenne DAC3 est une conséquence des «Luxleaks» de 2014. Depuis sa transposition en 2016, le nombre de nouveaux rulings au Luxembourg a chuté dramatiquement (de 544 en 2015 à 44 en 2020). Pour se faire une idée de l’envergure quasi industrielle de l’optimisation fiscale avant cette disposition, il suffit de consulter le nombre de rulings échangés sur demande par le Luxembourg avec d’autres pays : 11.500 en tout, dont 10.600 datant d’avant 2016.
«Double-filet» des montages fiscaux
Les sources auxquelles les journalistes avaient accès ont affirmé l’existence d’une pratique discrète d’échanges entre les cabinets d’audit, avocats fiscalistes et l’ACD – malgré la disparition des rulings. Celle-ci se baserait sur des «lettres d’information» ou «lettres de notification». Échangées lors d’entrevues avec l’ACD, elles serviraient à procurer «un certain confort» à la clientèle des cabinets d’audit. Si l’administration ne se manifestait pas suite à l’entretien, cela vaudrait son accord implicite – et le client aurait une sorte d’assurance, sans que les informations sur ses montages soient communicables à d’autres administrations fiscales.
Ces lettres ne sont pas une invention nouvelle, mais ont fait partie intégrante des rulings vieille génération. Elles constituent une sorte de double-filet dans lequel les fiscalistes expliquent les intentions des montages fiscaux aux fonctionnaires de l’ACD. Un document que Reporter.lu a pu consulter et qui date d’avant les révélations «Luxleaks» confirme cette pratique.
Le ministère des Finances a réfuté les allégations dès leur parution et a même acheté le nom de domaine «www.luxletters.lu» pour y publier son communiqué. Néanmoins, Pierre Gramegna (DP) a été l’invité de la commission parlementaire des Finances et du Budget le 9 juillet dernier. Une entrevue qui avait particulièrement frustré la députée Nathalie Oberweis (Déi Lénk). Par manque de temps, le ministre n’avait accordé que quelques minutes aux questions de la parlementaire.
Réticence du ministère des Finances
Nathalie Oberweis a donc voulu poser une question de fond: Combien de fois l’ACD marque-t-elle son désaccord avec les montages fiscaux qui lui sont proposés par les personnes morales? En refusant de donner une réponse à cette question, Pierre Gramegna garde la porte ouverte aux spéculations sur les liens entre cabinets d’audit et son administration.
À la suite de la publication de l’enquête «LuxLetters» la députée européenne Aurore Lalucq (S&D) avait interpellé la Commission européenne pour qu’elle regarde de plus près ce qui se passe au Luxembourg. Selon le ministère des Finances, consulté par Reporter.lu, il serait «en contact régulier avec la Commission y compris sur ce sujet» sans donner plus de détails.
En confirmant que les contribuables, que ce soient des personnes physiques ou morales, peuvent évidemment donner des informations supplémentaires «soit avant, avec ou après sa déclaration d’impôt» Gramegna admet du moins que les échanges entre l’ACD et une certaine clientèle existent. De là à supposer que toute l’industrie des rulings n’aurait pas disparu d’un jour à l’autre et que le pays des «courts chemins» aurait pu trouver une parade à la DAC3, il n’y a qu’un pas.