Flavio Becca est dans l’œil du cyclone. Présenté comme l’un des hommes les plus riches du Luxembourg, le promoteur immobilier est au cœur de contrôles fiscaux musclés dont il a contesté la pertinence. Son litige avec le fisc lève le voile sur des secrets de famille.
Non, tous les promoteurs immobiliers n’échappent pas à l’impôt, surtout pas lorsqu’ils sont rattrapés par l’administration fiscale. La société de gestion de projets immobiliers T-Comalux de la famille de Flavio Becca est aux prises depuis 2017 avec l’Administration des contributions directes (ACD). Le fisc a procédé à des contrôles fiscaux plutôt athlétiques.
Après l’affaire de Wickrange/Livange en 2009 autour d’un projet de construction d’un stade de foot qui ne s’est jamais fait, le fisc s’est intéressé de près aux sociétés du groupe Becca et à leur comptabilité. «Toutes les sociétés ont fait l’objet de vérification par les services spéciaux de l’administration fiscale», confirme à REPORTER Daniel Gillard, administrateur de plusieurs sociétés contrôlées par Flavio Becca.
L’épluchage minutieux des livres comptables a déclenché une enquête du Parquet sur des soupçons d’abus de biens sociaux puis un renvoi de Flavio Becca devant un tribunal correctionnel. L’affaire sera jugée au printemps prochain. Aux ennuis sur le plan pénal se sont ajouté des mauvaises nouvelles sur le plan fiscal.
Litige fiscal
L’entrepreneur Flavio Becca a cherché à payer le moins d’impôts possible et a tenté de faire passer des dépenses personnelles sur des comptes de sociétés. Son groupe s’est fait rattraper par l’ACD, qui lui a demandé de régulariser ses impôts. Il lui est reproché d’avoir fait financer son train de vie, les dépenses de sa famille et sa passion pour le vélo et le ballon rond par une de ses sociétés immobilières.
Le climat était tel que les fonctionnaires se disputaient pour ne pas devoir traiter les ‘dossiers Becca’»Flavio Becca
Le promoteur a contesté le bien fondé des redressements fiscaux, d’abord devant le directeur de l’ACD puis devant le Tribunal administratif. Des recours ont été introduits en mai 2018. Un premier litige a été récemment tranché en première instance dont REPORTER a pris connaissance. Les juges n’ont pas fait droit à la demande.
L’entourage de Becca le dit victime d’un acharnement de la justice qui aurait été manipulée par la politique. Sa réputation de «bad guy» le poursuit. Son profil atypique de self-made man ne sert pas son image.
Flavio Becca aime aussi à se poser en victime de l’establishment. «Il faut voir la régularisation fiscale dans un contexte large qui commence beaucoup plus tôt, après 2010-2011 et qui est le reflet de la volonté de ne rien laisser passer, d’être plus sévère», déclare-t-il dans un entretien à REPORTER. Il décrit sa vie d’entrepreneur comme un parcours de combattant. C’est au prix de la pugnacité et de l’acharnement qu’il dit avoir mené son grand projet immobilier au Ban de Gasperich. «Le climat était tel que les fonctionnaires se disputaient pour ne pas devoir traiter les ‘dossiers Becca’», raconte-t-il.
Avantages indus
Quelle que soit sa ligne de défense, les inspecteurs des impôts ont vérifié dans le moindre détail les déclarations fiscales des multiples sociétés du promoteur. Aux termes du contrôle des exercices 2011 à 2013 de l’une d’elle, T-Comalux, ils ont constaté, entre autres anomalies, que des avantages indus avaient été consentis à Flavio Becca, à son épouse, à sa sœur pour une créance douteuse et même à son gendre pour ses factures de téléphonie mobile.
D’autres avantages sans liens économiques avec l’objet social de T-Comalux ont également été mis en cause, le fisc y ayant vu une distribution cachée de bénéfice. L’ACD a considéré que ces dépenses réduisaient artificiellement les bulletins d’imposition de la société. Plus de 2 millions d’euros d’impôts sont en jeu.
La demande d’arbitrage auprès des juridictions administratives a rendu public l’étalage de secrets d’une famille connue pour sa grande discrétion.
Un palace à loyer modéré
Le loyer et les charges de la résidence familiale de 830 m2 à Leudelange, propriété de T-Comalux, ont été dans la ligne de mire. C’est la principale dépense qui a été recadrée avec l’utilisation des cartes de crédit. Le contrat de bail de 2011 a été exhumé devant la justice administrative. Fixé à 125.000 euros par an, le loyer de sa résidence a été jugé trop bas par rapport à l’investissement qui avait été réalisé, 3,685 millions d’euros fin 2010.
La loi de 2006 sur le bail à loyer prévoit que la location d’un logement à usage d’habitation ne peut pas rapporter au bailleur un revenu dépassant un taux de 5% du capital investi dans le logement. De nombreux propriétaires au Luxembourg sont tentés de dépasser ce plafond légal. Or, dans le rapport que T-Comalux entretient avec son locataire, qui est aussi son principal actionnaire, c’est l’inverse. Les contrôleurs du fisc ont relevé cette inadéquation. Le montant du loyer a été réévalué à 160.200 euros.
Les dépenses de sponsoring avaient été plutôt effectuées pour des raisons privées par Monsieur Flavio Becca, respectivement pour profiter à d’autres sociétés dont ce dernier était associé, respectivement administrateur»Tribunal administratif
De plus, l’ACD a refusé la déductibilité des charges locatives et frais d’entretien (plus de 270.000 euros entre 2011 et 2013) à charge du propriétaire. Ces charges «incombent, dans une relation normale entre bailleur et locataire, au locataire», ont fait valoir les services de révision. Les juges administratifs ne l’ont pas contredit: «T-Comalux, écrivent-ils, se contente de contester l’application du taux de rendement de 5% par rapport au capital investi, mais ne fournit pas d’explication plausible quant à la circonstance que le loyer effectivement payé (…) est de loin inférieur à ce taux de rendement».
6 millions dans un hôtel en Italie
Les avances de près de 6 millions d’euros, sans contrepartie, à une société familiale italienne, Gallano Immobiliare, pour financer un complexe d’hôtellerie de luxe dans la région dont est originaire la famille Becca, n’ont pas non plus été considérées comme dépenses déductibles. Le tribunal n’a pas été convaincu non plus, faute d’avoir pu disposer de documents probants sur les modalités de remboursement des avances et leur remboursement par T-Comalux. «L’affirmation que ceux-ci constitueraient un investissement dans un projet immobilier en Italie susceptible de générer d’importants bénéfices [doivent] être qualifiée de simple allégation», lit-on dans la décision de la juridiction administrative.
Les promesses faites aux contrôleurs fiscaux de produire rapidement la documentation sur l’opération italienne sont restées lettre morte. Comme le signale le rapport de révision de 2017 de l’ACD, la société Promobe (qui fut absorbée par T-Comalux en 2014) avait fait sa première avance à Gallano en 2010 et six ans après, en novembre 2016, la société ne pouvait toujours pas documenter de contrat de prêt.
Les frais de constitution de la société suisse Anonimo qui a permis par la suite à Flavio Becca de s’offrir la célèbre marque d’horlogerie n’ont pas davantage passé la rampe pour être comptabilisés dans les frais déductibles de la société luxembourgeoise.
Sponsoring en dehors des clous
Les dirigeants de T-Comalux voulaient aussi faire passer en frais de société les honoraires d’avocats en lien avec des affaires du club de football F91 de Dudelange (qui appartient à Flavio Becca), de l’affaire Wickrange/Livange et d’une perquisition en septembre 2011 dans le cadre de l’enquête pour abus de biens sociaux. Sans lien économique direct avec la société, la déduction de ces dépenses n’a pas été accordée.
Ni les contrôleurs du fisc ni les juges n’ont vu de justification à la déductibilité de dépenses de sponsoring d’un club de football luxembourgeois (47.000 euros en 2011) ou d’un coureur automobile. Ils n’ont pas fait droit à l’argumentation des dirigeants selon lesquels une présence sur les circuits automobiles est l’occasion de maintenir et nouer des relations professionnelles privilégiées dans l’intérêt du groupe Becca et de T-Comalux. Les juges administratifs ont considéré que «[les] dépenses de sponsoring avaient été plutôt effectuées pour des raisons privées par Monsieur Flavio Becca, respectivement pour profiter à d’autres sociétés dont ce dernier était associé, respectivement administrateur».
Chasse et vols privés
Les dirigeants de T-Comalux n’ont pas pu justifier des factures émises par une société allemande, Flora, prétendument pour entretenir des terrains constructibles au Luxembourg. Or, selon un dirigeant de Flora en litige avec le promoteur, les travaux auraient porté en réalité sur l’entretien d’une chasse privée en Allemagne. Flavio Becca, dans son entretien à REPORTER, a toutefois démenti le caractère privé des dépenses.
Une grande partie des dépenses par carte Visa et Mastercard de Flavio Becca et de son entourage familial (1,7 million d’euros sur trois ans au total), que le promoteur justifiait dans le cadre de «sa position d’homme d’affaires national et international» n’ont pas été acceptées non plus, faute de factures détaillées et de relations économiques directes avec l’objet social T-Comalux.
L’administration fiscale a en outre refusé la déduction de frais de déplacement en avion privé, faute d’avoir eu de lien avec l’activité de T-Comalux, qui opère d’ailleurs principalement au Grand-Duché. «En considérant qu’aucun lien causal n’a été prouvé et que certaines factures mentionnent que les frais sont en relation avec Leopard, Gallano et Bpure, sociétés sans liens directs avec Promobe (fusionnée dans l’intervalle avec T-Comalux, ndlr), l’ensemble des frais de déplacement en avion est refusé», ont fait valoir les services de révision. Un tableau récapitulatif des montants considérés comme distribution cachée de bénéfice renseigne sous l’intitulé «reprise des frais de voyage», un montant de plus de 1,5 million d’euros de frais de voyage.
Fiscaliste chevronné à la rescousse
Le premier recours introduit par T-Comalux devant la juridiction administrative a donc été rejeté sur toute la ligne. Ses dirigeants s’étaient pourtant entourés d’un avocat fiscaliste chevronné, Me Jean Schaffner de l’étude Allen&Overy pour défendre son dossier. Il n’a pas pu convaincre les juges ni su justifier les liens entre l’activité de promotion immobilière de T-Comalux, les actions de sponsoring sportif, les frais de voyage ou les honoraires juridiques (120.000 euros en 2012).
L’avocat a reproché aux autorités fiscales leur ingérence dans la gestion des affaires de T-Comalux. Les juges ne l’ont pas vu sous cet angle.
Les magistrats ont également rejoint l’ACD sur le caractère non approprié du loyer de la maison de Leudelange, au regard du capital investi, de la superficie et du montant du loyer et des charges.
Daniel Gillard, le bras droit de Flavio Becca, a considéré dans son entretien à REPORTER que les juges de première instance, submergés par les recours des demandeurs de protection internationale, auraient été en défaut de faire un traitement «différencié et correct» du dossier T-Comalux. D’où la décision de faire appel du jugement devant la Cour administrative.
D’autres dossiers fiscaux sont encore pendants devant les juridictions administratives. Les bilans 2016 de Promobe, société qui a fusionné avec T-Comalux en 2014, évoquaient d’autres redressements importants sur les exercices 2011 à 2014. Le rapport d’activité notait une provision pour impôts d’un montant de 5,35 millions d’euros pour 2016 et indiquait qu’un échec des recours en justice signifierait une modification du modèle économique de la société.