Le gouvernement avait promis aux inspecteurs de police une revalorisation de leurs carrières. La réforme de 2018 a été une déception pour une grande partie d’entre eux. Plus de 130 policiers ont saisi la justice. Ce sera un des dossiers chauds du gouvernement en 2020.
Le reclassement des carrières des inspecteurs de police devait leur ouvrir de nouvelles perspectives. Il a fermé des portes et a créé de grandes frustrations. Les inspecteurs titulaires du baccalauréat, en particulier les jeunes, estiment être les grands perdants de la réforme.
La loi du 18 juillet 2018 relative à la police grand-ducale a aligné les carrières dans les forces de l’ordre sur celles en vigueur dans la fonction publique. Les fonctionnaires sont actuellement répartis en trois catégories: la carrière inférieure pour ceux qui n’ont pas le bac, la moyenne pour les bacheliers et la supérieure pour les diplômés de l’université.
Cadeau électoral
Intervenue trois mois avant les législatives de l’automne 2018, la réforme a été présentée comme un cadeau du gouvernement sortant aux policiers de base qui avaient peu de perspective d’évolution. C’était aussi une réponse des autorités à la crise des vocations afin de rendre les carrières plus attrayantes dans les forces de l’ordre. C’était enfin un combat vieux de près de 20 ans de leur organisation professionnelle, le Syndicat national de la police grand-ducale (SNPGL).
Dans l’ancien régime, la police ne comptait que des carrières inférieures et supérieures et rien entre les deux. Les brigadiers et les inspecteurs relevaient tous de la carrière inférieure, quels que soient leurs diplômes et leur ancienneté. Le dispositif rendait toute évolution dans la hiérarchie presque impossible.
L’adoption de la réforme a fait naître de grands espoirs d’avancement chez les inspecteurs. Un mécanisme temporaire a été mis en place pour leur ouvrir l’accès à la carrière moyenne (cadre B1, dans le jargon de la fonction publique). Le nombre de places a été limité pour d’évidentes raisons budgétaires. Seuls les policiers ayant plus de 15 ans de service pouvaient profiter d’une promotion automatique dans le cadre B1. Pour les autres, un quota de 20% des effectifs policiers relevant de la carrière inférieure a été prévu. Tous n’ont donc pas pris de galon.
273 exclus
En effet, sur les 628 policiers ayant demandé une promotion dans le cadre B1, seules 355 candidatures ont été retenues. 273 demandes ont été refusées, soit parce que les candidats avaient moins de 15 ans d’ancienneté soit parce qu’ils ne rentraient pas dans les quotas mis en place. Faute de places suffisantes, la sélection des policiers a dû se faire sur la base des années de service, sans tenir compte du niveau d’études. Le diplôme du baccalauréat n’est d’ailleurs pas un préalable pour être inspecteur.
Pour plus d’une centaine d’inspecteurs, les rêves de promotion se sont donc effondrés en début d’année, après qu’ils aient essuyé un refus de promotion. Pour ces exclus, l’accès dans le cadre B1 n’est désormais possible que par le passage d’examens-concours.
Le Syndicat national de la Police grand-ducale soutient les policiers qui ont introduit des recours»Pascal Ricquier, président du SNPGL
Par vagues successives, ce sont quelque 130 recours en annulation qui ont été introduits par des inspecteurs de police au cours des cinq derniers mois pour attaquer les décisions de refus de leur ministre de tutelle. Les affaires seront plaidées en septembre 2020.
Traitement discriminatoire?
Cette «action de groupe» est inédite dans l’histoire des forces de l’ordre luxembourgeoises. Le greffe du Tribunal administratif reconnait d’ailleurs qu’il s’agit de la plus importante action d’une même catégorie de fonctionnaires jamais engagée.
Peu d’informations ont filtré sur le contenu des recours. Contactée par REPORTER, l’étude de Me Pol Urbany, en charge d’une majorité de recours, indique qu’une conférence de presse sera organisée fin novembre. Jusque-là, les avocats ne feront aucune déclaration.
Selon les rares indiscrétions, les arguments des plaignants s’appuient sur un traitement jugé discriminatoire par rapport au reste de la fonction publique. En 2015, le gouvernement a permis un reclassement systématique d’un nombre important de fonctionnaires de la carrière inférieure vers la carrière moyenne. Ces promotions sont intervenues sans limitation ni conditions.
La mesure a permis, entre autres, aux expéditionnaires techniques, aux éducateurs et aux infirmiers d’être reclassés automatiquement grâce à la reconnaissance de leur bac. Les fonctionnaires ayant pu faire valoir des «responsabilités particulières» ont eu droit à ce traitement de faveur.
La loi ne plaira pas à tout le monde» Etienne Schneider, LSAP, ancien ministre de la Sécurité intérieure
Les inspecteurs de police réclament une mesure identique. Ils considèrent avoir, eux aussi, des responsabilités particulières. Il ne comprennent pas pourquoi les faveurs accordées en 2015 à toute une frange de fonctionnaires ne leur seraient pas également octroyées. Ils voient dans cette différence de traitement une violation de l’égalité des citoyens garantie par la Constitution.
Dans une question du député CSV Léon Gloden, François Bausch, Dei Gréng, ministre de la Sécurité intérieure, avait indiqué qu’aucune base légale ne permettait de faire droit aux demandes de reclassement d’office des policiers.
Politiquement parlant, ce sera l’un des dossiers chauds qui attendent le gouvernement en 2020. Nul doute que l’opposition se saisira de l’affaire pour la politiser.
Combatifs et organisés
Les inspecteurs semblent déterminés à faire valoir leurs revendications jusqu’au bout. Début octobre, l’Association du personnel policier détenteurs d’un diplôme de fin d’études secondaires de la Police grand-ducale (ADESP), a vu le jour. Son objet est «la défense des intérêts professionnels moraux et matériels de tous les membres de la police administrative et judiciaire», preuve s’il en est que les laissés-pour-compte de la réforme sont bien organisés, combatifs et prêts à mettre la pression sur le gouvernement.
Leurs actions en justice ont le soutien du principal syndicat policier, le SNPGL. Interrogé par REPORTER, son président Pascal Ricquier ne souhaite pas se prononcer sur les recours. «Nous restons en dehors de l’affaire, jusqu’à ce qu’elle ait abouti», indique-t-il, en précisant que «le SNPGL soutient les policiers qui ont introduit des recours».
Il n’y a pas de base légale pour faire droit aux demandes de reclassement d’office» François Bausch, dei Gréng, ministre de la Sécurité intérieure
François Bausch observe lui aussi le silence radio. «Comme les recours se trouvent devant le Tribunal administratif, nous ne sommes pas en mesure de les commenter. Il appartient justement au Tribunal de se prononcer», a fait savoir son service presse.
L’impact financier d’un éventuel reclassement des policiers en cas de succès de la procédure est la grande inconnue. Les enjeux financiers des reclassements avaient été au cœur de la réforme. Les échanges avaient été musclés entre le SNPGL, la direction de la Police et les ministres socialistes de la Sécurité intérieure (Etienne Schneider) et de la Fonction publique (Dan Kersch) du précédent gouvernement.
Lors des débats, Etienne Schneider avait prévenu que «la loi ne plaira pas à tout le monde» et que les négociations entamées en 2015 avaient été particulièrement «difficiles à mener».
Un an et demi après la réforme, son successeur est confronté à un mouvement de contestation sans précédent.