Combien d’artistes indépendants travaillent au Luxembourg et combien gagnent-ils? Le ministère de la Culture, auquel nous avons posé la question, n’est pas en mesure d’y répondre. Nous avons tenté de décrypter le maquis des statistiques.
En attendant que soient mis en place de nouveaux outils statistiques (une ligne budgétaire de 371.122 euros est prévue pour cela dans le budget 2019), c’est un peu le flou artistique à l’Hôtel des Terres Rouges pour poser les bases d’un écosystème culturel durable qui encourage la création artistique. Le ministère s’appuie actuellement sur les données d’Eurostat pour 2017. À cette date 12.400 personnes, soit 4,6% de la population active dans le pays, avaient un emploi culturel ou travaillaient dans le secteur culturel (la moyenne européenne était de 3,8%).
Il s’agit d’une vision très large puisque ce chiffre inclut par exemple un comptable qui travaille à la Philharmonie mais aussi, au-delà des artistes, les journalistes, les auteurs et les linguistes. Ce chiffre est néanmoins intéressant car l’emploi culturel est dépendant – pas exclusivement, mais pour une bonne part – de la création artistique.
653 professionnels affiliés
Un tour d’horizon des différentes associations professionnelles du secteur artistique offre des données complémentaires. D’après les chiffres affichés en septembre 2018 dans le volume 5 du «Kulturentwicklungsplan», l’association des artistes plasticiens (aapl) compte 188 membres, l’association des acteurs de théâtre et des films (Actors) 102, l’association des techniciens de l’audiovisuel (Alta) 118, l’association des professionnels du spectacle vivant (Aspro) 83, la fédération des auteurs et compositeurs (Flac) 100, l’association des réalisateurs et scénaristes (Lars) 62.
Le chiffre total de 653 professionnels doit être nuancé. L’adhésion à une association n’est pas obligatoire et certains n’ont tout simplement pas les moyens de payer leur cotisation, estime la présidente de l’Aspro. «On en est là!», déplore Peggy Wurth. Ils risquent d’être rayés des listes.
Pour prendre l’exemple des musiciens, la Flac compte une centaine de membres. Pourtant, le gérant de la Sacem Luxembourg, Marc Nickt, indique que 550 professionnels sont actifs en tant qu’auteur et/ou compositeur. En 2018, ils ont encaissé 969.851 euros de droits d’auteur grâce à des tournées de concert ou des passages à la radio ou à la télévision. Cela représente 1763 euros en moyenne par an et par personne active. Même si les compositeurs-interprètes peuvent ajouter à ces droits les cachets des soirées de concert, «la plupart ont une activité secondaire pour vivre», observe le gérant.
Au moins 275 personnes précarisées
Un indicateur de précarité est donné par le nombre d’artistes indépendants ou d’intermittents du spectacle qui bénéficient des mesures sociales prévues par la loi de 2014. Celles-ci permettent à un artiste de compléter son revenu jusqu’au plafond du salaire minimum qualifié. L’année passée, 73 artistes indépendants et 202 intermittents ont bénéficié des mesures d’aide sociale.
Certains artistes ne parviennent pas à remplir les critères pour obtenir les aides et se situent en-dessous de ces seuils de revenus. C’est le cas de nombreux jeunes diplômés qui ne remplissent pas encore les conditions prévues par la loi. C’est le cas aussi des intermittents qui ont travaillé moins de 80 jours durant une année, ou des artistes indépendants qui gagnent en moyenne moins d’un demi-salaire minimum qualifié par mois.
Pour remédier à cette situation, l’Aspro souhaiterait que certaines prestations soient prises en compte en tant que revenu artistique. Il s’agit en particulier de la médiation culturelle (dont l’État a fixé le tarif à 90 euros de l’heure dans le cadre de l’initiative Kulturama, alors qu’un danseur touche 15 euros de l’heure brut pour une répétition de spectacle). Intégrer la formation continue contribuerait aussi à professionnaliser le secteur.
Les intermittents du cinéma fragilisés
Sur le total de 275 bénéficiaires du fonds social, on dénombre 98 intermittents du cinéma et de l’audiovisuel. Un chiffre considérable si on le rapproche des 102 membres de Actors.lu et des 118 de l’association des techniciens audiovisuels. C’est presque une personne sur deux. Ce chiffre ne surprend pas le vice-président de l’Alta, Philippe Kohn. D’après lui, trop de projets sont sous-financés, ce qui touche en bout de chaîne les techniciens et les acteurs. Par ailleurs, la réallocation des financements des films de fiction vers les films d’animation en 2017 a frappé de plein fouet certaines professions comme les techniciens de plateau. «Il y a actuellement deux films de fiction en tournage au Luxembourg. Comment nourrir 118 personnes avec cela?» Il espère que la hausse du budget du Film Fund, qui passe de 33,9 millions en 2018 à 37 millions en 2019, va apporter une bouffée d’oxygène au secteur.
Les autres bénéficiaires des mesures sociales sont le théâtre/Arts de la scène (58 personnes), la musique (31), les arts visuels et plastiques (28), la danse (10), la littérature (1).
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