Comment se fait-t-il que les pensionnaires des résidences pour personnes âgées soient souvent facturés au-delà de 3.000 euros par mois? En comparant les différents établissements, l’envergure devient évidente. Les prix soulèvent des questions, notamment lorsqu’on tient compte des bénéfices réalisés par certains établissements.

Pour être logé dans une des maisons de repos et de soins gérées par le plus grand exploitant du pays, on doit payer un minimum de 2.334 euros par mois. Des chambres avec salle de bain et WC coûtent au moins 2.460 euros chez «Servior» qui gère 15 résidences. Les «Homes pour Personnes Agées» à Mamer sont plus abordables. Une chambre dans cet établissement peut être louée à partir de 2.210 euros. Les prix sont ouverts vers le haut. La chambre la plus économique de la «Fondation Pescatore» coûte 3.108 euros par mois, tandis que l’une des chambres à trois pièces les plus chères peut être louée à 5.989 euros dans l’établissement «Op der Rhum». La résidence Alysea à Crauthem est, elle aussi? connue pour avoir parmi les chambres les plus chères du pays.

Il n’est donc pas surprenant que la question de la situation financière se pose pour les personnes âgées et leurs enfants. Il n’est pas rare que la progéniture doive subvenir aux besoins financiers des parents dépendants pour payer leurs frais de logement. Les montants moyens des retraites au Luxembourg ne suffisent pas forcément pour payer les prix facturés.

«Beaucoup de personnes sont choquées par les prix», confirme Jacqueline Becker, chargée du «Senioren-Telefon» au ministère de la famille. Chaque dixième appel tourne autour de la situation financière des personnes âgées.

Des frais supplémentaires sous-estimés

Aux frais de logement s’ajoutent dans pratiquement toutes les résidences des frais supplémentaires, qui peuvent atteindre jusqu’à plusieurs centaines d’euros. Ainsi, dans certains établissements, seulement deux repas par jour sont inclus. Les boissons, à l’exception de l’eau, sont souvent payantes. La prise en charge et les soins individuels ainsi que la stimulation mentale – des prestations promises lors de l’admission et un facteur décisif dans le choix de l’établissement – ne sont pas toujours gratuits. Même si des activités en groupe sont souvent incluses dans les frais de logement, les soins individuels, tels que l’assistance aux actes essentiels à la vie comme s’habillement ou le soins du corps, constituent souvent un coût supplémentaire. Du moins pour les personnes non reconnues comme dépendantes par l’assurance dépendance.

A titre d’exemple, la «Fondation Pescatore» offre à tous ses pensionnaires 90 minutes de soins gratuits par semaine. Au-delà de ces 90 minutes, les prestations sont facturées à hauteur de 10,54 euros par jour. Les personnes qui désirent prendre leurs repas dans leur chambre plutôt qu’à la cantine doivent payer 11,12 euros par jour.

Sodexo, l’exploitant de plusieurs résidences à Niederanven, Contern, Strassen et Bettembourg, facture 20 euros pour une ligne téléphonique et 17 euros pour le raccord de la télévision. Le nettoyage du linge personnel coûte 80 euros par mois.

 (Les prix des établissements sont des secrets bien gardés. REPORTER a su déterminter les prix d’environ 30 des 52 maisons au Luxembourg. Passez la souris sur les différents établissements pour en connaître les prix.)

De manière générale, les coûts supplémentaires varient selon l’établissement et les besoins personnels. S’y ajoute le paiement d’une somme considérable avant même d’emménager. La caution à payer à l’entrée dépasse vite les 5.000 euros. Certains établissements exigent en plus le paiement d’un «prix d’entrée» qui varie entre 6.000 et 10.000 euros et qui doit être payé lors de la demande d’admission. Ce dernier constitue alors une garantie d’admission. Ceci est le cas, entre autres, à l’Elysis au Kirchberg.

Manque de transparence

Actuellement, le manque de transparence rend difficile toute comparaison des frais de logement et des coûts supplémentaires. Moins de la moitié des 52 établissements donnent une indication des prix sur leur site web. La ministre de la famille Corinne Cahen (DP) explique dans une interview qu’elle souhaite améliorer la transparence des prix et l’offre de services. Ainsi, les critères pour l’obtention de l’agrément ministériel seront modifiés par une réforme de la loi. Actuellement, le ministère de la Famille ne tient pas de liste des prix pour tous les établissements. Explication : les prix changeraient trop souvent.

Une affaire lucrative?

Les concernés expriment une certaine insatisfaction par rapport aux prix et laissent même entrevoir le soupçon que les exploitants s’enrichissent sur les dos de la population âgée. Mais la situation financière de certains établissements révèle que les frais de logement, de loin, ne couvrent pas toutes les dépenses.

Certes chez «Homes pour personnes âgées», qui reproupent six résidences avec un total de 668 chambres, a comptabilisé en 2017 un revenu de 46 millions d’euros et une marge de trois millions d’euros. L’établissement public «Servior», qui loge 1.650 personnes, a atteint un bénéfice de 9 millions d’euros pour la même période.

Mais ce serait une illusion de penser que la gestion de résidences pour personnes âgées soit lucrative pour tous les exploitants. Tandis que «ZithaSenior» a réalisé un bénéfice de trois millions d’euros en 2017, le bilan révèle une dette de 25 millions d’euros. «Alysea Soins» affiche sur les dernières années des pertes de 4,6 millions et une dette de sept millions d’euros.

Aides financières de l’État

En principe, les exploitants ne reçoivent pas de subventions étatiques. Et seuls les établissements qui ont un accord avec la commune en question ou qui sont gérés par celle-ci en tant qu’hospice civil peuvent s’attendre à des aides en cas de pertes. Mais le cas du «Jousefshaus» à Remich montre que cette aide n’est ni inconditionnelle ni illimitée dans le temps. La résidence déficitaire pèse sur le budget de la commune de manière à ce que le bourgmestre a plaidé pour remettre l’hospice aux mains d’un des grands exploitants du secteur des soins.

Cependant les exploitants ne sont pas non plus tenus à couvrir tous les coûts eux-mêmes. L’État investit des sommes considérables dans la construction et l’élargissement des résidences. Pour la construction de l’«Aile Cité» de la Fondation Pescatore, l’État a contribué 9,5 millions d’euros en 2007.

En cas de nouvelles constructions, les aides sont encore plus généreuses. Ainsi le gouvernement a décidé en 2018 que 62,4 millions d’euros seraient investis dans la construction de la maison de repos et de gériatrie que «Servior» ouvrira à Differdange. 64 millions d’euros seront investis dans une maison de soins à Bascharage. L’Etat couvre jusqu’à 70 pour cent du prix de construction. La ministre de la Famille Corinne Cahen a prévu une réforme y relative.

Le financement des maisons de retraite

Comment est-il possible alors que certains exploitants fassent des pertes malgré les prix élevés, les frais supplémentaires et les aides financières de l’État pour la construction des établissements? Le rapport annuel de «Servior» révèle le mode de financement des maisons de retraite. 59,7 pour cent des recettes proviennent des prestations de soins pour les pensionnaires dépendants, couverts par l’assurance dépendance. Cet argent est utilisé pour financer une partie du personnel. Par contre, les frais de logement payés par les pensionnaires ne constituent que 40 pour cent des recettes.

Les frais de personnel représentent la majeure partie des dépenses. A la «Fondation Pescatore», ces frais constituent deux tiers du total des dépenses de l’exploitant. Le profil exigé pour le personnel est déterminé par l’assurance dépendance. Il n’est donc pas possible d’embaucher du personnel soignant au lieu d’infirmiers, sachant que les derniers reviennent plus cher à l’employeur.

«L’assurance dépendance évalue le degré de dépendance des occupants de l’établissement et en fonction de ceci, elle nous accorde une certaine somme d’argent. Mais en retour elle nous impose une dotation de personnel», nous explique Fränk Degraux, directeur des finances de la «Fondation Pescatore». Les établissements n’économisent donc pas en matière de personnel soignant. Plus les occupants sont dépendants, plus la charge de travail est grande et les aides de l’assurance dépendance sont importantes.

Dans certains établissements, il y a pratiquement autant de personnel que d’occupants. La «Fondation Pescatore» emploie 300 personnes pour 350 occupants. «An de Wisen» à Bettembourg compte 200 employés pour 146 occupants. S’y ajoutent les dépenses courantes pour la restauration, le matériel de soins, les charges et les coûts d’entretien qui atteignent une somme non négligeable.

Comment s’expliquent les différences de prix?

La structure des frais de personnel est un des facteurs décisifs expliquant les différences de prix entre les offres. C’est d’ailleurs l’explication principale que nous donne le directeur adjoint des «Homes pour personnes âgées», Claude Erpelding. L’exploitant gère des établissements à Mamer, Redange, Mersch, Grevenmacher, Clervaux et dans la capitale. «Selon le contrat collectif auquel appartient le personnel, les frais varient pour l’exploitant», souligne-t-il. De même, les années de service et le niveau de formation du personnel jouent un rôle.

Le fait que 95 pour cent de son personnel soit embauché sous le contrat collectif SAS, qui revient moins cher à l’employeur, constitue un avantage, dit Erpelding. Le contrat collectif en question fait du secteur des soins un secteur paraétatique, dont l’évolution des salaires est liée à celle du secteur public. Malgré cela, les salaires sont plus bas que ceux qui sont déterminés par le contrat collectif de la «Fédération des hôpitaux» (FHL). Tandis que les premiers travaillent 40 heures par semaines, les seconds ne travaillent que 38 heures par semaine. Les établissements qui ont un nombre plus important d’employés dans le contrat collectif FHL, ont donc des frais de personnel plus importants.

Pour éviter les frais de personnel élevés tels que négociés avec les syndicats, certains exploitants sous-traitent les services de restauration et de nettoyage. L’on arriverait ainsi à offrir des prix plus compétitifs explique à demi-mot le directeur d’une résidence pour personnes âgées.

D’une augmentation à l’autre

En fin de compte, les maisons de retraite n’arrivent pas à éviter des ajustements de prix. Ceci vaut aussi bien pour les structures publiques que pour les exploitants privés. D’un côté les tarifs sont liés à l’index mais de l’autre les augmentations de prix extraordinaires ne sont pas rare.

Ainsi les «Hospices Civils de la Ville de Luxembourg» à Hamm et Pfaffenthal avaient déclenché une polémique en 2016 en augmentant le prix d’une chambre de 30 mètres carrés d’à peine 100 euros. Pour des chambres plus grandes, il s’agissait de 150 euros supplémentaires par mois. Le président du conseil d’administration, Henri Grethen, avait déclaré à l’époque que cette augmentation de prix était inévitable pour faire face à un déficit probable d’un million d’euros.

La «Fondation Pescatore» a vu au courant des sept dernières années cinq augmentations de prix. Trois d’entre elles étaient dues à l’indexation et les deux autres étaient liées à des effets exceptionnels tel que la réorientation de l’assurance dépendance. Les réformes les plus récentes ont réduit les recettes qu’a touchées l’établissement pour les soins des personnes dépendantes, explique Fränk Degraux. Et de l’autre côté, le nouveau contrat collectif SAS a contribué à une augmentation des frais de personnel en 2017. Vu que les dépenses pour les 300 employés ont augmenté, un supplément pour les occupants était inévitable.

Entre luxe et cas sociaux

Durant l’entretien avec le directeur des finances de la «Fondation Pescatore» les mots «emplacement exceptionnelle»  et «luxe» ne sont pas mentionnés pour justifier les prix.  Par contre, lors de l’entretien avec le porte-parole de «Servior», l’établissement «Op der Rhum» est immédiatement qualifié de «haut de gamme» et la situation au cœur de la ville est citée comme justification. Interrogé par REPORTER, il confirme que les prix fonciers de la ville de Luxembourg ne sont pourtant pas un facteur qui contribue aux frais élevés car le terrain appartient à la commune.

De plus le porte-parole de «Servior» argue que dans l’aile construite en 2016, il y a des chambres dont la taille peut atteindre jusqu’à 80 mètres carrés, justifiant ainsi le prix maximal de 5.989 euros (chambre simple). En plus, «Op der Rhum» se situe sur un site classé par l’Unesco.

Le gouvernement est d’avis que chacun devrait être capable de pouvoir s’offrir une chambre dans une maison de retraite, indépendamment du montant de leur retraite. Le fonds national de solidarité offre aux personnes qui n’ont pas les moyens financiers suffisants, de couvrir les frais de jusqu’à un montant de 2.723 euros. Le fait que cela ne suffit pas pour couvrir tous les frais, y compris dans les établissements plus économiques, est connu, même au ministère de la famille. Actuellement on réfléchit à un éventuel ajustement de la somme maximale.

Ecart important encore offre et demande

Il est légitime de s’interroger sur les bénéfices réalisés par les maisons de retraite. Le but des établissements est-il finalement de réaliser le plus grand bénéfice possible? «Notre objectif est l’équilibre financier et non pas le bénéfice», assure pour sa part le directeur des finances de la «Fondation Pescatore»,  Fränk Degraux. Contrairement à des entreprises commerciales, le bénéfice doit contribuer au financement de la fondation et l’argent n’est pas versé à un actionnaire.

Mais ceci ne signifie pas non plus que des associations sans but lucratif puissent diminuer leurs prix par le fait de leur forme juridique. Claude Erpelding de l’ASBL «Homes pour personnes âgées», qui a atteint un bénéfice de trois millions d’euros l’année dernière, s’exprime ainsi: «Contrairement à des sociétés anonymes, notre but n’est pas la maximisation du bénéfice. Mais, bien sûr, nous devons établir des réserves pour des temps plus difficiles et mettre de côté de l’argent pour de futurs projets.» L’exploitant a prévu l’ouverture d’une nouvelle maison de retraite.

Reste l’offre limitée de places dans les établissements. A-t-elle aussi un effet sur les prix? Claude Erpelding pense que non. Mais il concède: «Vu le manque de places disponibles, certaines personnes sont prêtes à accepter un logement cher dans un établissement, qu’ils auraient refusé s’il y avait une autre offre.»

Mais la plupart des personnes âgées n’a pas le choix. Si on réduit la demande de places aux personnes dépendantes de 70 ans et plus, il existe actuellement 6.344 lits pour 9.682 personnes.