Le Grand Est est la région française qui paie un des plus lourds tributs de la crise du COVID-19. L’Agence régionale de Santé a déjà recensé plus de 2.700 hospitalisations et 407 morts. Face à la pandémie, certaines communes ont durci les mesures de confinement et introduit le couvre-feu comme à Nancy.

Hôpitaux saturés, pénurie de matériel, personnel soignant au bout du rouleau et surmortalité dans les maisons de retraite (EHPAD), le Grand Est est la région française qui suscite le plus d’inquiétudes sur ses capacités à faire face à la pandémie.

L’Agence régionale de Santé du Grand Est (ARS), qui fait chaque jour le décompte des victimes dans les hôpitaux publics relevant de sa juridiction (407 morts au 25 mars), s’inquiétait de l’aggravation de la situation, alors que la capacité des lits de réanimation est passée a 900.

Plus de 2.700 personnes étaient hospitalisées dont près de 600 en réanimation, indiquait mardi l’ARS dans un communiqué en rappelant les consignes de confinement, la limitation des déplacements au strict minimum et le respect des mesures barrières.

Non-respect des mesures barrières

Face à l’indiscipline et aux manquements des résidents de sa petite commune mosellane à proximité de Thionville, le maire de Guénange a pris cette semaine un arrêté imposant le couvre-feu entre 22 heures et 5 heures du matin. Il a justifié cette mesure exceptionnelle en raison de «la présence de nombreux promeneurs et propriétaires de chiens rassemblés dans les lieux publics sans respect des mesures barrières » et du «nombre élevé d’infractions relevées après 22 heures de résidents ne respectant pas les motifs de déplacements obligatoires».

Les soins palliatifs sont anticipés. Les personnes âgées paieront un lourd tribut de cette crise. »Un médecin strasbourgeois

D’autres maires de la région Est ont également durci le confinement en restreignant le footing et les promenades de chiens durant des heures. «On n’a pas besoin de s’acheter une baguette tous les jours», a déclaré le maire de Thise, près de Besançon dont la commune déplorait 15 morts dans son EHPAD en début de semaine.

Dans l’agglomération du Grand Nancy, le couvre-feu a également été instauré mercredi.

La France s’attend à 100.000 morts dans ses maisons de retraite à cause du coronavirus. «Il est déjà trop tard pour faire quelque chose dans le Grand Est», indiquait sur France 2 une responsable des maisons de retraite, précisant que le recensement de la surmortalité dans ces structures d’accueil de personnes âgées ne pourra se faire que lorsque l’épidémie sera terminée.

Surmortalité dans les maisons de retraite

Selon la préfecture du Bas-Rhin, il y avait déjà 38 morts dans les maisons de retraite dans ce département le 24 mars. On ne compte plus depuis lors les décès.

Interrogé par REPORTER, un médecin psychiatre strasbourgeois ayant requis l’anonymat, explique que la situation était «explosive» dans les maisons de retraite de la région: «Les soins palliatifs sont anticipés. Les personnes âgées paieront un lourd tribut de cette crise», confesse-t-il.

L’incapacité à fournir des traitements adéquats à des patients en état critique pourrait aggraver le taux de mortalité. »Étude sur les capacités des hôpitaux français

Saturés, en pénurie de respirateurs artificiels et n’ayant plus devant eux que quelques jours de visibilité, certains hôpitaux du Grand Est ont transféré des malades les plus gravement atteints en Suisse, en Allemagne ainsi qu’au Luxembourg.

A Sarreguemines, un appel aux dons a été lancé par le personnel soignant pour l’achat de matériel d’occasion immédiatement disponible, dont des respirateurs.

A Thionville, il restait encore mardi 24 mars des lits de réserve. «La situation est encore relativement fluide, il reste de la place en aval», déclarait sur France 2, le médecin anesthésiste Raphael Pitti qui fait partie de la réserve sanitaire et qui a été appelé en renfort dans le service de réanimation de l’hôpital de Thionville.

Réquisition de personnel soignant pas exclue

Une étude conjointe de chercheurs de la Faculté de médecine de Rennes et du CHU de Rouen, relayée par des médias alsaciens, sur les capacités des 138 hôpitaux français en mesure d’accueillir et de traiter les patients les plus gravement atteints par le COVID-19 a jeté le trouble dans la région du Grand Est. Selon leur analyse, les hôpitaux du Grand Est arriveront en sous-capacités de lits de soins intensifs au plus tard ce week-end.

Le manque alarmant de moyens pourrait peser sur le taux de mortalité des suites de l’épidémie. «L’incapacité à fournir des traitements adéquats à des patients en état critique pourrait aggraver le taux de mortalité», souligne l’étude.

Reste à savoir si, face à la situation critique, la France, qui a déjà fait appel à sa réserve sanitaire, ne va pas passer au stade supérieur de la réquisition de personnel soignant. Un appel dans ce sens a été demandé avec force mercredi 25 mars par Martin Hirsch le directeur général des Hôpitaux de Paris.

Une mesure qui pourrait avoir des conséquences dramatiques pour le système de santé luxembourgeois qui repose en grande partie sur du personnel médical et soignant venant du Grand Est de la France. Le Premier ministre luxembourgeois, Xavier Bettel (DP), avait annoncé la semaine dernière que les plus hauts responsables francais avaient conscience de la répercussion qu’aurait la réquisition pour le Luxembourg. Il a dit qu’il avait obtenu «des garanties», sans préciser lesquelles.

Face à l’urgence sanitaire, la Région Grand Est et l’ARS ont mobilisé les élèves infirmiers et aides-soignants pour venir en soutien du personnel hospitalier à bout de force.