Une décision des élus de Betzdorf de faire valoir le droit de préemption sur des terrains agricoles a été annulée en justice. Le tribunal administratif a mis en cause la précipitation de la procédure, au mépris des droits des administrés à être informés de mesures qui les touchent directement.

Les deux frères voulaient reconstituer le patrimoine foncier qui avait été dans leur famille pendant 250 ans, avant que les successions ne dispersent les terres dans plusieurs mains. Le 14 mai 2020 et pour 120.000 euros, ils ont signé un compromis de vente portant sur 71,80 ares de terres agricoles. Il s’agit de trois parcelles jouxtant le périmètre d’agglomération de Betzdorf, qui à plus ou moins long terme pourraient y être intégrées.

Comme la loi sur le Pacte logement le prévoit, la notaire en charge de l’acte de vente a notifié par courrier du 13 juillet 2020 l’imminence de la transaction au bourgmestre de la commune. L’édile a convoqué quatre jours plus tard, le 17 juillet, un conseil communal pour donner le feu vert au droit de préemption de la commune sur les parcelles au prix convenu par le projet d’acte notarié. La vente a ensuite été formalisée au profit de la petite commune.

Principe du contradictoire bafoué

Ecartés de la transaction à leur grande surprise – ils n’avaient pas été préalablement informés des intentions de préemption de la commune -, les deux frères ont contesté leur exclusion devant le tribunal administratif. Ils ont introduit deux recours, un premier demandant d’urgence le gel de la vente – lequel a été rejeté en septembre 2020 – et un second réclamant l’annulation de la décision du conseil communal du 17 juillet. Cette affaire principale a été tranchée en décembre dernier.

Les juges ont annulé la décision de la commune de Betzdorf, principalement pour violation d’un règlement grand-ducal du 8 juin 1979 qui consacre certains droits aux administrés. Le texte impose notamment des obligations d’information aux autorités avant de révoquer ou de modifier une décision ayant créé ou reconnu des droits à une partie. La communication doit se faire par lettre recommandée dans un délai d’au moins huit jours et la partie concernée doit pouvoir, si elle le demande, être entendue en personne. Ce dispositif ne s’applique pas «s’il y a péril en la demeure». Argument que la commune a mis en avant devant les juges pour justifier la précipitation dans laquelle le droit de préemption fut actionné pour mettre la main sur les parcelles.

Le respect de ces exigences de transparence et de respect du contradictoire est encore d’autant plus important (…) que l’exercice du droit de préemption porte une entorse à la liberté contractuelle et au droit de propriété. »Jugement du tribunal administratif

La commune avait argué dans la procédure à l’inapplicabilité de ce règlement de 1979 permettant aux administrés, dans un souci de respect du contradictoire, de faire valoir leur point de vue, voire faire modifier une décision les concernant.

Les juges ont souligné l’importance que revêtent les garanties inscrites dans ce règlement grand-ducal de 1979 en matière de droit de préemption, car une fois que la décision de préempter a été prise, l’acte authentique de vente doit être pris dans les trois mois. «Le respect de ces exigences de transparence et de respect du contradictoire est encore d’autant plus important (…) que l’exercice du droit de préemption porte une entorse à la liberté contractuelle et au droit de propriété consacré par le Protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés», ont souligné les juges administratifs.

Le tribunal a estimé que les conditions du «péril en la demeure» invoquées par la commune de Betzdorf pour justifier l’absence de concertation des deux frères n’étaient pas réunies.

La commune n’a pas été non plus en mesure de justifier avec une précision suffisante les objectifs poursuivis à travers l’exercice de son droit de préemption. Ces objectifs doivent porter sur des projets d’utilité publique concrets: soit la construction de logements (ce qui était le cas à Betzdorf), soit des travaux de voirie ou soit des équipements publics.

Décision illégale

Or, le procès-verbal du conseil communal du 17 juillet 2020 laisse planer des doutes sur le caractère précis et concret de l’objectif visé par l’achat controversé des trois parcelles. La notification faite au notaire fut elle aussi muette sur le projet de logement que le conseil communal assure poursuivre depuis 2014, dans la future zone d’urbanisation.

Le jugement du 6 décembre est susceptible d’appel.

Contacté par Reporter.lu, le bourgmestre de Betzdorf n’a pas réagi dans les délais impartis. En octobre 2020, à l’issue du référé qui alors penchait en faveur de sa commune, Jean-François Wirtz (LSAP) assurait avoir exercé le droit de préemption «parce qu’il y avait derrière un raisonnement et un projet de logements qui font du sens». Un projet en tout cas insuffisamment concret pour légitimer la démarche du conseil communal de l’été 2020.

Une confirmation par la Cour administrative de la position des premiers juges sur l’illégalité de la décision de préemption pourrait ouvrir la voie aux deux frères à l’engagement de la responsabilité civile de la commune et leur droit à des dommages et intérêts, à défaut de pouvoir revenir sur la vente qui a été définitivement scellée.


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