Les condamnations pour fraude fiscale contre des pharmaciens tombent, mais les autorités restent conciliantes avec les délinquants. Cette indulgence suscite des tensions au ministère de la Santé. Des fonctionnaires dénoncent le manque d’intégrité de certains experts.
La liste des pharmaciens ayant succombé aux sirènes de leur fournisseur pour vendre des médicaments au noir s’allonge. Un huitième dossier de fraude fiscale aggravée s’est terminé fin avril par une condamnation devant un tribunal correctionnel et un neuvième cas devrait connaître une issue imminente.
Ces affaires font suite à des contrôles massifs opérés entre 2016 et 2017 dans les officines luxembourgeoises par l’Administration de l’Enregistrement, des Domaines et de la TVA. Les dossiers ont ensuite été transmis à l’Administration des contributions directes. Passés au crible, les comptabilités et livres de caisse de très nombreuses pharmacies ont révélé un système frauduleux massif qui a fonctionné pendant des années entre le principal grossiste de médicaments et ses clients.
Organisation opaque
Pour gagner des parts de marché, le Comptoir Pharmaceutique luxembourgeois (CPL) a mis en place une organisation horizontale opaque lui ayant permis de prendre pied dans les pharmacies, voire d’en prendre le contrôle dans l’indifférence des autorités de santé. Le fournisseur livrait des médicaments, mais il offrait aussi, à bas coûts, des services de comptabilité avec la fiduciaire Fiduphar, au cœur de la fraude et de pratiques commerciales controversées. La firme est également visée par une enquête judiciaire, mais l’affaire traîne en longueur en raison de l’âge de son fondateur, Antoine Seck, et du décès de son ancien gérant.
Le mécanisme frauduleux s’appuyait sur la livraison de marchandises gratuites aux pharmaciens – et même des échantillons qui auraient dû être offerts aux consommateurs – ainsi que des remises sur les prix des médicaments. Ces remises variaient selon les clients entre 6 et 7%. Pour autant, CPL n’était pas le seul à les pratiquer, d’autres grossistes, selon les témoignages de pharmaciens, consentaient des rabais jusqu’à 9%.
Il ne faut pas perdre de vue que vous êtes pharmacienne, mais que vous êtes aussi commerçante. Vous êtes civilement et pénalement responsable de ce que vous faites. »Juge président
Gratuits ou au rabais, les médicaments étaient toutefois revendus au prix public normal. La marge allait dans la poche des pharmaciens, sans être documentée dans la comptabilité officielle ni être déclarée au fisc. Les traces de ces ventes au noir se perdaient grâce à l’utilisation d’un logiciel de caisse trafiqué, largement utilisé dans les officines luxembourgeoises depuis 2011. «Il y avait dans ce logiciel un module caché qui permettait de réduire le chiffre d’affaires», a témoigné une pharmacienne repentie. Un de ses collègues a raconté pour sa part que CPL lui donnait une liste de factures à annuler et qu’il s’exécutait sans état d’âme …
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