Inquiété par la justice dans le scandale 1MDB, Marc Ambroisien est aussi rattrapé par le fisc. Il doit rembourser des impayés d’impôts en lien avec une société de l’homme d’affaires Khadem Al Qubaisi. L’ex-patron de Rothschild refuse d’endosser la responsabilité à la place de la banque.

L’affaire a été plaidée mercredi après-midi devant la 4e chambre du tribunal administratif. Marc Ambroisien, l’ancien directeur général de la Banque privée Edmond de Rothschild Europe, n’en finit pas d’essuyer les pots cassés du scandale 1MDB, du nom d’un détournement de fonds publics de plus d’un milliard de dollars. Interdit d’exercer pendant dix ans des mandats en lien avec le secteur financier, lâché par son ancien employeur et inquiété par la justice pour son implication supposée dans le dossier, l’ex-banquier est désormais poursuivi par le fisc luxembourgeois.

La justice luxembourgeoise enquête depuis plus de cinq ans sur l’une des affaires financières les plus toxiques de ces dernières années, après le scandale Madoff. La banque Rothschild a été inculpée en mars 2021 dans le cadre de l’instruction pour blanchiment et détournement de fonds publics. Marc Ambroisien a lui-même été entendu à plusieurs reprises par la police judiciaire, mais à ce stade de l’instruction, il n’a pas été inculpé par la juge en charge de l’enquête.

Ingénierie financière haut de gamme

Les enquêteurs luxembourgeois, avec l’aide de leurs homologues américains, ont remonté la piste des flux financiers évaporés du fonds souverain malaisien 1MDB. Sur les 6 milliards de dollars d’actifs en portefeuille, plus d’un milliard aurait été détourné du fonds par ses anciens gestionnaires ainsi que des intermédiaires. 472,5 millions de dollars ont été placés sur des comptes à la banque Rothschild. Une centaine de millions a fait l’objet de saisie par la justice, selon les informations de presse.

L’argent a notamment transité en 2012 par les Îles vierges britanniques (BVI) avant d’être blanchi partiellement au Grand-Duché à la banque Rothschild ainsi que dans des sociétés constituées par cet établissement, notamment pour le compte d’un de ses gros clients émiratis, Khadem Al Qubaisi (KAQ). Ce dernier, qui dirigeait alors le fonds souverain d’Abou Dhabi, International Petroleum Investment Company (IPIC), est visé par l’enquête judiciaire au Luxembourg. Il apparaît comme l’un des principaux protagonistes de l’affaire. Selon l’agence Bloomberg, il a été condamné en janvier 2019 à 15 ans de prison pour corruption et blanchiment.

Marc Ambroisien a fait ce qu’il devait faire et si des virements n’ont pas été executés, ce n’est pas de son chef. »La défense de Marc Ambroisien

Marc Ambroisien, 59 ans, ingénieur en patrimoine et ancien agent du fisc français, fut son interlocuteur privilégié. Ex-numéro 1 de la Banque privée Edmond de Rothschild Europe qu’il a dirigée entre 2012 et 2015 avant d’en être écarté, le banquier a occupé des mandats d’administrateur ou de gérant de sociétés offshores derrière lesquelles KAQ cachait son identité. Ce type de responsabilité pour compte de clients haut de gamme faisait partie de son job. S’il en paie aujourd’hui les conséquences, il en a aussi tiré des avantages du temps ou l’homme d’affaires d’Abou Dhabi était encore en odeur de sainteté dans le monde de la finance.

La journaliste anglaise Clare Rewcastle Brown, à l’origine de nombreuses révélations sur l’affaire 1MDB, affirme dans un rapport public qu’Ambroisien a reçu en échange de ses services des «cadeaux» à hauteur de 500.000 dollars de la part de Khadem Al Qubaisi, notamment une Aston Martin et des séjours dans une villa de Saint-Tropez.

Client exposé, mais très convoité

Pour les besoins de sa défense devant les juges administratifs, Marc Ambroisien a levé le voile sur les dessous de la relation d’affaires nouée par le groupe Rothschild avec KAQ, et pas uniquement pour gérer la fortune personnelle de l’homme d’affaires déchu.

KAQ était aussi à la recherche d’une banque dépositaire pour gérer le fonds IPIC à Abou Dhabi qu’il dirigeait alors. Le choix de l’établissement se fait à l’issue d’un concours de beauté auquel d’autres banques luxembourgeoises ont participé pour s’offrir le client des Emirats, considéré comme une «PPE», personne politiquement exposée. «La banque Edmond de Rothschild a remporté le marché et Monsieur Khadem Al Qubaisi a alors confié des avoirs importants à la banque tout comme il souhaitait ouvrir des comptes bancaires personnels ainsi qu’un compte au nom d’une nouvelle société à constituer pour gérer son patrimoine familial propre», fait valoir la défense d’Ambroisien.

Eagle Advisory est constituée en mai 2015 par deux BVI appartenant à la Banque privée Edmond de Rothschild Europe, qui les cède ensuite à KAQ. La société de type «private family office» loue des bureaux Grand-Rue et recrute un salarié sur site «afin de ne pas être considérée comme une simple société domiciliée et afin de justifier une réelle substance et activité au Luxembourg», explique Me Lionel Spet, l’un des avocats d’Ambroisien.

La banque a exigé que son dirigeant d’alors endosse les fonctions de gérant «afin de contrôler les opérations financières passées par Monsieur KAQ». Ambroisien disposait d’un pouvoir d’accès et de signature sur le compte bancaire.

Dette fiscale symbolique

Les premières accusations de corruption et de blanchiment ont éclaté fin 2015 à l’encontre de KAQ. Les commissions rogatoires internationales sont expédiées au Luxembourg pour geler ses avoirs. Des ordonnances de saisies pénales interviennent en janvier 2016. Ambroisien a démissionné de son mandat social dans la société personnelle de KAQ le 22 février 2016. Il a adressé une copie de sa lettre de démission à son employeur qui venait de le limoger. La banque a toutefois tardé à faire acter cette démission.

Lorsque le scandale 1MDB est révélé fin 2015, les fonds en lien avec KAQ ont été gelés par les banques à la demande de la Cellule de renseignement financier (CRF) du Parquet. Tous les paiements ont ainsi été bloqués, y compris les retenues d’impôts sur les salaires de l’employé. C’est à ce titre que l’Administration des contributions directes (ACD) a lancé en avril 2018 une procédure d’appel en garantie à l’encontre d’Ambroisien. Après la faillite sur assignation d’Eagle Advisory en décembre 2016, le fisc a cherché à engager sa responsabilité personnelle pour défaut de l’accomplissement de ses obligations fiscales.

Les impayés d’impôts, qui s’élèvent à moins de 40.000 euros, se révèlent une broutille par rapport aux enjeux d’un scandale financier qui porte sur des centaines de millions de dollars. L’ex-patron de la Rothschild conteste tout comportement fautif, dénonce l’acharnement du fisc luxembourgeois à son égard et renvoie la responsabilité sur la banque qui livrait clef en main des administrateurs à ses riches clients.

Les avocats d’Ambroisien s’étonnent d’ailleurs que l’ACD ait renoncé en janvier 2019 à poursuivre un autre représentant de la société, après l’avoir initialement considéré comme codébiteur des dettes fiscales.

Juridiquement parlant, pour demander des comptes aux représentants de sociétés faillies et mettre en œuvre leur responsabilité personnelle, l’ACD doit apporter la preuve de l’inexécution fautive de leurs obligations fiscales. Dans le dossier Eagle Advisory, Ambroisien considère avoir été droit dans ses bottes.

Un Etat qui s’autoblanchit?

L’administration a souvent échoué, faute de preuve de ses négligences, à recouvrer les impayés auprès des administrateurs ou gérants de sociétés œuvrant pour compte de leur employeur.

Ambroisien a saisi le tribunal administratif pour faire annuler le bulletin d’appel en garantie. «Au regard des mesures d’investigations pénales et des moyens de conservation des preuves et gels des avoirs ordonnés dans cette affaire pénale internationale, il était impossible pour les dirigeants de fait ou de droit de pouvoir effectuer le moindre virement bancaire du compte Eagle Advisory ouvert à Luxembourg», explique la défense dans son recours en annulation.

«Marc Ambroisien a fait ce qu’il devait faire et si des virements n’ont pas été executés, ce n’est pas de son chef», a souligné  Me Lionel Spet mercredi face aux juges administratifs. «La Banque Edmond de Rothschild, poursuit-il, qui s’est vue notifier des instructions de virement pour les retenues d’impôt sur salaire du mois de janvier 2016 s’est bien gardée de les exécuter au regard des soupçons de blanchiment d’argent, de corruption active et eu égard à la vraisemblable interdiction lui faite par la Cellule de renseignement financier d’exécuter le moindre mouvement ou opération sur tous comptes ouverts directement ou indirectement par KAQ auprès d’elle».

Pour Steve Collart, le représentant de l’ACD, Ambroisien n’a apporté aucune preuve de sa bonne foi: «On essaie de nous duper, les saisies pénales sont postérieures à 2016 et ont été ordonnées en 2017», a-t-il assuré. Comment le savoir puisque l’enquête est couverte par le secret de l’instruction? Me Lionel Spet a suggéré aux juges de s’en enquérir auprès du Parquet avant de rendre leur décision.

Il y a un paradoxe dans la demarche des autorités luxembourgeoises à vouloir récupérer des fonds qui sentent, in fine, le soufre. Car l’Etat, en encaissant des fonds soupçonnés de blanchiment, ne risque-t-il pas de s’autoblanchir lui-même? La question n’a pas été posée mercredi.


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