Le tribunal correctionnel de Diekirch a condamné une société qui n’avait pas renseigné les données requises au registre des bénéficiaires effectifs. Le verdict est symbolique, mais le jugement pose des questions sur les obligations de transparence.

Le tribunal correctionnel de Diekirch a rendu, le 16 juillet dernier, veille des vacances judiciaires, une décision inédite à plus d’un titre. C’est la première fois qu’une juridiction se prononce sur une infraction à la loi du 13 janvier 2019 instituant un registre des bénéficiaires effectifs (RBE). La loi a transposé une directive de 2015 du Parlement européen et du Conseil sur l’utilisation du système financier à des fins de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme. Le texte oblige les sociétés et associations enregistrées au Luxembourg à fournir des informations sur leurs actionnaires et à les actualiser régulièrement.

Précisons qu’il s’agit d’un jugement sur accord ayant fait suite à une négociation entre le Parquet et la société de patrimoine familial (SPF) Numi, par l’intermédiaire de son avocat, Me Daniel Cravatte. L’accord a mis les parties au diapason sur la peine à appliquer, en l’occurrence une amende de 2.500 euros, ce qui correspond au double de la peine minimum prévue, les peines d’amendes s’échelonnant entre 1.250 euros et 1,25 million d’euros.

La modestie relative de la peine tient compte des «efforts de régularisation» de la part des dirigeants de Numi.

L’affaire pénale trouve son point de départ dans la dénonciation que le groupement d’intérêt économique Luxembourg Business Registers (LBR), gérant le registre de commerce ainsi que le RBE, fait au Parquet de Luxembourg le 2 septembre 2019 à l’encontre de la SPF. Numi est alors en défaut de s’être inscrite au RBE en communiquant les noms, prénoms, nationalité, date et lieu de naissance, pays de résidence et adresses privées ou professionnelles de son ou ses bénéficiaires économiques.

Plus de six mois de retard sur la loi

La loi du 13 janvier 2019 est entrée en vigueur le 1er mars 2019. Un délai de six mois a été donné aux sociétés et entités immatriculées pour s’inscrire au RBE. Face au peu d’empressement de nombreux opérateurs à se mettre en conformité, l’administration avait d’ailleurs fourni trois mois de plus aux retardataires et aux récalcitrants. Sur le plan pénal, cette faveur de l’administration a toutefois été inopérante dans le dossier Numi, ce qui ne manque pas d’interpeller des juristes qui ont pris connaissance de la décision du 16 juillet.

Selon cette décision, «tous ceux qui ont fait leur inscription dans les trois mois supplémentaires accordés par l’administration ont potentiellement commis une infraction pénale», commente l’avocate pénaliste Marie Marty, contactée par REPORTER.

Numi relevant de la juridiction du Nord du pays, le Parquet de Diekirch a ouvert une enquête préliminaire le 13 novembre 2019. L’enquête révèle que la société constituée en 2008 a déposé son dernier bilan en 2010 et qu’elle n’a plus de siège social depuis décembre 2013. Aussi, le Parquet requiert-il la liquidation. La procédure pousse les actionnaires à vouloir régulariser la situation. Toutefois en mars 2020, le gestionnaire du RBE certifie ne pas avoir enregistré d’inscription. Ce n’est que le 16 avril 2020 que les comptes sociaux de 2011 à 2019 sont déposés. L’inscription au RBE intervient deux semaines plus tôt, le 1er avril, soit plus de six mois après le délai légal.

Il est intéressant de constater que le Parquet considère la non-publication de bénéficiaire économique dans le RBE comme étant plus grave que la non-publication de bilan.»André Lutgen, avocat

Jean-François Boulot, le procureur d’Etat adjoint de Diekirch (il a aussi longtemps dirigé la cellule de renseignement financier du Parquet de Luxembourg), en charge du dossier en fait une affaire de principe.

«En tenant compte à la fois de la gravité de l’infraction, vu les peines élevées prévues par la loi et vu la durée de l’état infractionnel qui a duré plus de six mois, mais également de la régularisation qui est finalement intervenue le 1er avril 2020, il y a lieu de condamner la société (…) à une amende de 2.500 euros», indique le jugement sur accord que REPORTER a consulté.

«Il est intéressant de constater que le Parquet considère la non-publication de bénéficiaire économique dans le RBE comme étant plus grave que la non-publication de bilan», commente l’avocat André Lutgen dont l’étude traite de nombreuses procédures administratives de sociétés prises en défaut d’inscriptions au RBE.

Yves Gonner, directeur du LBR, avait indiqué début août dans une interview à la radio 100.7 que sur les 130.000 sociétés et associations enregistrées, 80% étaient en conformité avec la loi sur le RBE et 18.000 entités avaient été radiées pour avoir manqué à leurs obligations de gouvernance. Le RBE a traité 1.800 demandes de dérogations de sociétés afin que les noms de leurs bénéficiaires économiques n’apparaissent pas au grand public, parce que leur publication comporterait des risques disproportionnés de fraude, d’enlèvement, de chantage, de harcèlement, de violence et d’intimidation.