RTL Group va opérer des coupes claires dans les effectifs du Corporate Center et délocaliser des services à Cologne. Dictée par un changement de stratégie, cette restructuration pose des questions au regard de sa conformité avec le contrat de concession qui lie le groupe à l’Etat luxembourgeois.
Sous pression des syndicats et de l’opposition, Xavier Bettel (DP) a fini par lever une partie du voile sur le volet resté «secret» de l’accord de concession liant l’Etat luxembourgeois au géant audiovisuel européen. Ce dispositif porte, entre autres, sur l’ancrage luxembourgeois.
D’après une annexe du «Protocole d’accord», signé le 31 mars 2017, RTL Group et CLT-UFA, les deux vaisseaux amiraux de l’entreprise média, doivent maintenir une «majorité» d’employés au Luxembourg et y prendre leurs décisions. Des obligations qui valent pendant toute la durée de la concession, jusqu’en 2030, comme l’a révélé le Premier ministre dans sa réponse à une question parlementaire.
Le dossier est politiquement sensible pour le gouvernement qui est attendu sur sa capacité à stopper le mouvement d’hémorragie qui pourrait faire à plus ou moins long terme de RTL Group une société boîte-aux-lettres. Pour autant, la marge de manœuvre des autorités luxembourgeoises est réduite.
Relâchement des liens
Le chef du gouvernement a beau jeu de répéter que RTL est une firme privée dans la gestion de laquelle il n’a pas à interférer. Il n’en reste pas moins que l’entreprise exploite des richesses – les fréquences – relevant de la souveraineté nationale en échange de la prestation d’activités TV et radio au Luxembourg, lesquelles survivent grâce au soutien financier public. Avec la perte de valeur des fréquences télévisuelles et la normalisation de la surveillance du secteur, il est clair que le Luxembourg n’a plus les mêmes atouts à faire valoir que dans le passé.
La donne a changé. Le gouvernement ne peut, ni ne veut se montrer contrariant. L’obligation de service public audiovisuel vaut jusqu’en 2023. Personne ne veut se hasarder sur le scénario de l’après-2023. Personne ne perd de vue non plus que l’accord gouvernemental 2018-2023 prévoit de donner une petite sœur télévisuelle à la Radio 100,7. Ce qui, de facto, pourrait relativiser davantage l’attachement de RTL Group avec le pays qui l’a vu naître en 1931.
Le contrat de concession et le protocole d’accord avec le paragraphe sur l’ancrage est un document à des fins de commercialisation et comprend une clause de confidentialité. »Porte-parole du ministère d’Etat
Il y a des signes de relâchement des liens du vieux couple, Etat luxembourgeois et RTL Group, qui ne trompent pas. Et qui inquiètent dans les rangs de RTL City. Le fait que l’opération immobilière de location-achat du nouveau siège au Kirchberg ne se fasse pas, alors qu’elle était prévue lors de la réalisation des immeubles en zone blanche (mais reclassée) par le promoteur Giorgetti, ne rassure pas.
Le Premier ministre et ministre des Communications a choisi son moment pour tenter de calmer le jeu. Son annonce a coïncidé avec l’ouverture, mardi 15 octobre, des négociations du plan social de la maison-mère. Ses dirigeants prévoient une réduction drastique de la voilure du centre administratif du groupe.
Les effectifs de RTL Group à Luxembourg passeront de 112 à 18 personnes. Une partie du personnel, 44 selon le décompte annoncé cet été à la délégation du personnel, basculera sur une nouvelle entité à Cologne, RTL Group Deutschland GmbH. Les autres feront les frais du plan social.
Les syndicats font profil bas
Un piquet de protestation avait été organisé mardi 15 octobre aux portes de RTL City. Les messages délivrés par les représentants syndicaux et du personnel étaient à la modération. Pour l’heure, ils entendent rester discrets sur le contenu des discussions. La pression, ils pourront toujours la mettre à un stade ultérieur des négociations. Le code du travail leur donne 15 jours pour boucler un plan social, soit jusqu’à fin octobre. Dans l’hypothèse d’un échec de ce premier round, une prolongation du tour de table est possible jusqu’au 19 novembre.
L’arrivée de Thomas Rabe avec la double casquette de CEO de RTL Group et de Bertelsmann marque un changement radical de stratégie vers plus de décentralisation des filiales européennes. Une orientation qui vaut particulièrement pour les activités en Allemagne, marché phare. Il y a derrière cette émancipation la volonté de rapprocher RTL Group de la maison-mère à Gütersloh, siège de l’actionnaire majoritaire Bertelsmann. La mise en place de Ad Alliance, la plateforme commune de publicité, témoigne de cette volonté de rapprochement. Toujours est-il que le coût de cette stratégie se paiera cher en terme social.
Nous nous efforcerons de trouver des solutions équitables et appropriées pour le plus grand nombre possible. »Thomas Rabe, CEO de RTL Group
«Nous reconnaissons que la potion est amère pour beaucoup de nos collègues», a reconnu Thomas Rabe, lors de l’annonce du plan de restructuration. «Nous nous efforcerons, précisait-il, de trouver des solutions équitables et appropriées pour le plus grand nombre possible d’entre eux, à l’intérieur et à l’extérieur du Luxembourg».
Le gouvernement luxembourgeois a appelé les dirigeants à mettre en œuvre le plan social «de la manière la plus socialement acceptable possible», en respectant la «législation en vigueur», a fait savoir Xavier Bettel au parlament. Le personnel s’attend à ce que la direction se montre «généreuse» et qu’elle fasse des offres allant au-delà de ce que la loi prévoit, dans la tradition de ce que RTL a toujours pratiqué dans le passé lorsque des dégraissages de mammouth sont intervenus.
Bettel veut dédramatiser
Xavier Bettel se veut pourtant rassurant sur la pérennité du groupe à Luxembourg. Il cherche surtout à dédramatiser la violence d’un plan social jusque-là inédit et à banaliser la portée symbolique de ce qui n’est rien d’autre qu’une décapitation de RTL Group au Grand-Duché.

Ses propos tranchent avec le ton décontracté que son camarade de parti, Eugène Berger, chef de la fraction DP à la Chambre des députés et membre du conseil d’administration de CLT-Ufa, avait adopté lors de l’annonce du plan de restructuration. En comparant dans le «Land» la restructuration de RTL Group aux dégraissages massifs que le secteur bancaire luxembourgeois a dû opérer pour survivre à la fin du secret bancaire, le député a choqué les employés qui risquent dans quelques semaines d’aller pointer à l’Adem.
Dans ce climat électrique, le Premier ministre prend bien soin de ne froisser aucune sensibilité. Et de ne pas en dire trop, de peur d’un dérapage verbal. Dans une réponse parlementaire à Sven Clement (Parti pirate), il balaie les craintes de voir la substance du groupe dans son berceau grand-ducal se réduire à une peau de chagrin et se déporter vers l’Allemagne. Il table même, à moyen terme, sur une évolution à la hausse des effectifs et le développement de nouvelles activités au Kirchberg.
Si on considère les effectifs des deux sociétés RTL Group et CLT-Ufa dans leur ensemble, la majorité est donnée. Sinon, on a un problème. »Serge Pauly, délégué du personnel
Spécialisée dans la «gestion de l’expérience client» et le marketing digital, l’entreprise Majorel a installé son holding en septembre 2018 au Kirchberg et emploie désormais une quinzaine de personnes. L’implantation d’une centrale d’achat des droits audiovisuels pour l’ensemble du groupe est également dans les cartons.
La restructuration ne concerne pas les employés de CLT-Ufa (qui est l’exploitant des différentes chaînes de TV et de radio) où travaillent 80 personnes. Xavier Bettel assure que cette structure ne sera pas touchée par des coupes dans les effectifs, ni par des délocalisations, à tout le moins jusqu’à la fin de la concession en 2030. L’horizon du Premier ministre ne va pas au-delà de cette date. Pour l’heure, 600 personnes au total travaillent à RTL City.
«Effets secondaires»
Le message de Xavier Bettel ne convainc qu’à moitié. «Il y aura forcément des effets secondaires», s’inquiète Serge Pauly, président de la délégation du personnel à Luxembourg. A ses yeux, le départ d’une centaine d’employés du corporate center se répercutera sur le volume d’activité de CLT-Ufa.
Reste à savoir si le développement de nouvelles activités, notamment dans l’industrie digitale, se traduira par des activités substantielles et des jobs valorisants au Grand-Duché. A voir aussi si l’arrivée des nouvelles entités contribuera à compenser la perte d’une centaine d’emplois luxembourgeois dans un contexte qui est à la réduction des coûts, à l’érosion des recettes publicitaires et à la concurrence de nouveaux acteurs.
Les dirigeants de RTL Group cherchent, eux aussi, à minimiser la portée de la restructuration en faisant habilement parler les chiffres. Mais derrière ce «marketing des chiffres» et les discours officiels lénifiants, c’est le quartier général du groupe au Luxembourg, sa «tête pensante», qui est affaiblie en passant sous giron allemand.
Clause de confidentialité
Le maintien d’une «majorité d’employés» au Luxembourg est une question de perspective. «Si on considère les effectifs des deux sociétés RTL Group et CLT-Ufa dans leur ensemble (98 personnes après le plan social, Ndlr), la majorité est donnée, sinon, on a un problème», explique Serge Pauly. Le décompte serait en effet problématique dans l’optique de la seule prise en compte de la maison-mère (18 personnes travaillant à Luxembourg contre 44 en Allemagne).
La publication dans son intégralité de l’annexe du protocole d’accord éviterait les erreurs d’interprétation. L’OGBL a réclamé au gouvernement de mettre carte sur table en rendant le document public. «Le contrat de concession et le protocole d’accord avec le paragraphe sur l’ancrage est un document à des fins de commercialisation et comprend une clause de confidentialité», indique-t-on au ministère d’Etat, contacté par REPORTER, pour justifier le refus de faire tomber l’entièreté des contrats dans le domaine public.
Reste à savoir si le débat politique, sur un dossier impliquant des subventions publiques et le monnayage des fréquences relevant de la souveraineté nationale, va se contenter des informations partielles fournies par Xavier Bettel. Le Premier ministre a fait un premier geste, mais son opposition va peut-être exiger un strip-tease intégral.