La Loi générale des impôts du 22 mai 1931, ou Abgabenordnung, reste le cadre de référence du droit fiscal luxembourgeois. Les gouvernements successifs n’ont jamais pris la peine d’adapter le texte ni de le réécrire. L’Abgabenordnung est-il soluble dans la modernité luxembourgeoise? Analyse.

Les recours introduits par une poignée d’avocats d’affaires devant le tribunal administratif pour tenter de «recadrer» les pouvoirs jugés «abusifs» de la directrice de l’Administration des contributions directes (ACD) ont une nouvelle fois réouvert les débats sur l’opportunité d’une réécriture de la Loi générale des impôts.

Alors que la loi fiscale allemande dont il est issu a été réformée de fonds en comble après la 2eme Guerre mondiale, au Luxembourg l’Abgabenordnung continue d’être un casse-tête pour les juristes et pour les fiscalistes.

Car il y a une incompatibilité fondamentale entre ces deux mondes d’inspiration très différente: français, ou à tout le moins francophone pour l’un, et allemand pour le second. Les deux univers se sont souvent mal compris, car l’un est difficilement soluble dans l’autre. D’ailleurs, la matière est si ingrate que pendant longtemps les avocats fiscalistes se sont comptés sur les doigts d’une main au Luxembourg. Le plus célèbre d’entre eux ayant été Me Alain Steichen qui prodiguait ses conseils dans un contexte de quasi monopole de fait.

Dans un Etat moderne, la coexistence est compliquée entre l’antique loi fiscale allemande et les textes européens. »

Dans les années 1990, lorsque la notion d’escroquerie fiscale fut introduite dans le droit luxembourgeois, des livres entiers ont été noircis par les juristes et les consultants de la Place pour mettre en exergue les contradictions, voire les incompatibilités, entre l’AO et les dispositions de la nouvelle loi sanctionnant l’escroquerie fiscale.

Le durcissement de la lutte contre l’évasion fiscale au niveau européen et international complique encore davantage la coexistence pacifique, dans un Etat qui se veut moderne, entre l’AO et les directives européennes.

Entre paresse et opportunisme

Les gouvernements qui se sont succédé depuis la fin de la 2e Guerre Mondiale n’ont jamais trouvé le temps d’effectuer une révision en profondeur du dispositif de 1931. Il faut y voir à la fois de la paresse devant la complexité de la tâche, mais sans doute aussi beaucoup d’opportunisme. Car, les autorités ont toujours pris ce qui les arrangeait dans le texte du siècle dernier.

Aujourd’hui, la directrice de l’ACD remet au goût du jour les paragraphes 175 et 201 de l’AO qui lui permettent de pousser très loin, à tout le moins en théorie, les contrôles fiscaux auprès des intermédiaires. En s’attaquant aux avocats d’affaires, Pascale Toussing a déclenché les hostilités avec l’ensemble de la profession qui lui reproche de piétiner la sacro-sainte législation de 1991 sur le secret de l’avocat. Le litige les a conduits devant le tribunal administratif, mais il n’est pas certain que les juges aient les compétences pour l’arbitrer.

Comme l’a signalé Me Philippe Hoss, l’avocat du Barreau de Luxembourg, dans ses plaidoiries devant le tribunal administratif, il y avait depuis la Libération du Grand-Duché, un consensus implicite entre l’administration fiscale et les avocats pour que la première ne fasse aucune intrusion dans les affaires des seconds.

Ce consensus a explosé avec les révélations des Panama Papers au printemps 2016 et sous la pression que les partenaires européens ont exercée sur les autorités luxembourgeoises pour assainir la Place financière qui avait longtemps fait de la fraude et l’optimisation fiscale son fonds de commerce.

Quoi qu’il en soit et malgré le renforcement de ses effectifs depuis l’arrivée du gouvernement Bettel en 2013, l’ACD reste un tigre de papier. Ses moyens d’investigations ne sont pas seulement controversés, ils demeurent également inadaptés à l’envergure du centre financier. Le secret fiscal auquel l’administration est tenue et qui limite son champ d’action, n’est pas de nature à améliorer sa puissance de feu.