L’ex-président de «Hitec» a négocié un accord avec la justice pour échapper à un procès public. Nicolas Comes a reconnu sa participation à un système de fraude fiscale. Pendant des années, le dirigeant a fait financer sa vie de jet-setter par la société de haute technologie.  

Nicolas Comes a donné le «C» de son patronyme à «Hitec», Pierre Hirtt le «H» et Marco Trauffler le «T». Les fondateurs d’une des pépites de l’industrie spatiale et satellitaire luxembourgeoise ont été rattrapés en 2019 par la justice, après une longue et laborieuse enquête sur un système d’évitement fiscal et d’abus de biens sociaux qu’ils avaient mis en place. Les manœuvres frauduleuses ont permis à Hitec d’éluder près de 700.000 euros d’impôts pendant une décennie.

Les trois hommes ne sont pas les seuls à être confrontés à la procédure pénale. Yves Elsen n’a pas mis son initiale dans le nom de la société qu’il dirige et dont il est désormais le principal actionnaire. Pour autant son nom figure, avec celui de Georges Wiazmitinoff, parmi les cinq inculpés de l’affaire d’escroquerie fiscale, de faux et usage de faux et d’abus de biens sociaux.

Tsunami sur les notables

Le cas «Hitec Luxembourg S.A.» a fait l’effet d’un tsunami dans les cercles d’affaires luxembourgeois. Des magistrats luxembourgeois se sont attaqués non seulement à une entreprise iconique, mais aussi à de très influents notables, jusque-là peu habitués à rendre des comptes à la société, et encore moins à la justice.

Ces agissements avaient permis à Hitec de faire échapper une partie considérable des revenus imposables à l’imposition au Grand-Duché de Luxembourg. »Jugement du 19 mai 2022

L’affaire a connu un nouvel épisode le 19 mai dernier devant la 16e chambre du tribunal correctionnel de Luxembourg. Aux termes d’une transaction pénale entre le procureur d’Etat et son avocat, signée le 6 janvier 2022, Nicolas Comes, longtemps président du conseil d’administration d’Hitec, a échappé à un procès public. En échange de ses aveux de culpabilité, le carrossier a accepté le principe d’une amende de 80.000 euros. L’amende sanctionne une fraude portant sur un montant total de 694.638,48 euros.

L’enquête de la police judiciaire a documenté que Comes a tiré directement un avantage personnel de plus de 112.000 euros. Ce montant ne représenterait «qu’une fraction du produit des infractions découvertes», note le jugement sur accord que Reporter.lu a consulté. «Le prévenu a spolié l’Etat luxembourgeois de fonds qui auraient pu être utilisés dans l’intérêt et pour le bien de la collectivité», signalent encore les juges correctionnels.

Le dossier répressif montre qu’entre 2007 et 2009, la société luxembourgeoise a affiché une imposition sur le revenu des collectivités, sur les capitaux et sur l’impôt commercial communal de zéro ou d’un montant presque insignifiant, soit un taux d’impôts éludé entre 97 et 100%.

Nicolas Comes est le second – et sans doute aussi le principal – protagoniste de l’affaire Hitec à négocier une procédure de plaider-coupable avec le parquet. Le 1er juillet 2021, Pierre Hirtt, sorti du capital de la société et brouillé avec ses anciens partenaires depuis 2019, a ouvert le bal des négociations avec la justice. La 16e chambre l’a condamné à une amende correctionnelle de 80.000 euros. Comme son ex-associé Nicolas Comes, les magistrats ont tenu compte de son casier judiciaire vierge et de son repentir pour lui épargner une peine de prison.

Caviar à Saint-Tropez

Important actionnaire (28,33% des parts) jusqu’en avril 2020 et longtemps président du conseil d’administration de Hitec, Nicolas Comes est passé lui aussi aux aveux devant les policiers, puis le juge d’instruction qui l’a convoqué deux fois dans son cabinet en décembre 2018 et en juin 2019 avant de l’inculper de faux et usage de faux, faux bilans, abus de biens sociaux, fraude fiscale intentionnelle et escroquerie fiscale. L’enquête a démarré en 2013 par une lettre anonyme avec de nombreux documents à l’appui dénonçant au fisc luxembourgeois les irrégularités de la société.

Le corbeau révèle ainsi l’existence d’une entité en Suisse «CH-Tech» par laquelle passent des fausses factures et des prestations de conseil et d’assistance fictives opérées par Hitec à Luxembourg dans le but de réduire son imposition. La société suisse n’a aucune activité économique réelle ni d’employés. Elle sert uniquement de courroie de transmission de liquidités avec le Luxembourg.

Les documents détaillent aussi des dépenses de près d’un million d’euros que Nicolas Comes a fait passer dans les frais généraux mais qui sont pour l’essentiel des dépenses privées difficilement justifiables. L’hebdomadaire « Lëtzebuerger Land », qui a eu accès à la liste, évoque des «dépenses fastueuses aux quatre coins de la planète», avec une carte de crédit bien chauffée: achat de vin pour 7.500 euros, shopping dans les boutiques de luxe à Berlin, frais de bouche et d’hébergement à Saint-Tropez, Saint-Moritz et Courchevel, vacances aux Seychelles.

L’Administration des contributions directes (ACD) ouvre une enquête et s’intéresse aux recettes non-déclarées et aux frais et dépenses d’exploitation de la firme entre 2002 et 2010: «Ces agissements avaient permis à Hitec de faire échapper une partie considérable des revenus imposables à l’imposition au Grand-Duché de Luxembourg», soulignent les juges.

Des lenteurs injustifiées

Fin février 2013, un inspecteur du bureau 2 des sociétés de l’ACD, dont Hitec dépend, saisit le procureur et lui relaie le dossier. Huit mois plus tard, une information judiciaire est ouverte à l’encontre des dirigeants, mais pas de la société, car à l’époque des faits litigieux la responsabilité pénale des personnes morales n’est pas encore entrée dans le droit luxembourgeois – la loi datant de mars 2010. Les faits ne vont pas non plus relever du nouveau régime de lutte contre la fraude fiscale introduit par la réforme de 2017. Ces faits vont donc être qualifiés d’escroquerie fiscale, équivalent actuel de la fraude fiscale aggravée, pouvant valoir à leurs auteurs jusqu’à 5 ans de prison.

Les enquêteurs entendent l’inspecteur du fisc en août 2014. Une commission rogatoire est envoyée dans le Jura suisse en mai 2016 pour effectuer une perquisition au siège de CH-Tech. Le procureur helvétique envoie les résultats de ses investigations au juge d’instruction luxembourgeois en juin 2017.

L’enquête connaît un premier vide de presque 13 mois, «sans que le dossier ne connaisse la moindre évolution procédurale», remarquent les juges qui recensent d’autres pauses injustifiées. Deux ans s’écoulent entre la clôture de l’instruction et sa transmission au parquet (septembre 2019) et le projet de transaction judiciaire entre le procureur d’Etat et l’avocat de Nicolas Comes (septembre 2021). «Le comportement des autorités nationales compétentes, la chronologie démontrent que l’instruction a connu des pauses et des ralentissements qui ne sont pas justifiés par la nature du dossier, à savoir un total de 51 mois d’inactivité (…) des autorités judiciaires et policières. Ce temps écoulé ne trouve pas de justification objective de sorte que le délai raisonnable au sens de l’article 6 de la CEDH (Cour européenne des droits de l’homme, ndlr) doit être considéré comme dépassé», déplore le tribunal.

Impact négligeable

Cette indolence, couplée à l’ancienneté des faits, vaut à l’industriel la clémence de la justice. «Il y a lieu de ne pas prononcer une peine d’emprisonnement», estiment les magistrats qui saluent notamment la collaboration et «le repentir sincère» du prévenu qui a remboursé ses dépenses indues de jet-setter.

La condamnation de Nicolas Comes ne signe pas pour autant l’épilogue d’une affaire judiciaire qui a donné un éclairage peu glorieux sur les pratiques et la gouvernance d’une société qui doit son développement principalement à l’Etat luxembourgeois, à ses subventions et à ses juteux marchés publics, notamment pour l’industrie spatiale et satellitaire (Luxeosys et emergency.lu) et le contrôle du trafic autoroutier (CITA).

Les déboires judiciaires des principaux dirigeants d’Hitec n’ont pas fait ombrage à leur carrière ni à leurs affaires. Yves Elsen (inculpé en juin 2019) est toujours le président du conseil de gouvernance de l’Université de Luxembourg. Il a toutefois renoncé en décembre 2019 pour «raisons personnelles» à la présidence du conseil de surveillance du céramiste allemand «Villeroy&Boch». Reste à savoir s’il choisira la transaction pénale ou le procès public pour solder ses comptes avec la justice.

Nicolas Comes reste consul honoraire de Malaisie, selon la consultation du site internet de l’ambassade de ce pays à Bruxelles.


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