La 16e chambre correctionnelle du tribunal de Luxembourg a condamné Pierre Hirtt, un des fondateurs de la firme d’ingénierie Hitec, pour fraude fiscale et abus de biens sociaux. Hitec est une entreprise partenaire de l’Etat. Toutefois, la procédure a été expédiée sans déballage public.

Ingénieur, fondateur il y a 35 ans de la société d’ingénierie et de conseil Hitec, Pierre Hirtt a voulu en finir avec une affaire qui le poursuit, ainsi que d’autres dirigeants, depuis 8 ans. Le septuagénaire a négocié avec le Parquet un accord au terme duquel il reconnaît sa culpabilité de fraude fiscale et d’abus de biens sociaux. En échange de quoi, le prévenu échappe à un procès public devant le tribunal correctionnel.

Pierre Hirtt a accepté le principe d’une amende correctionnelle de 80.000 euros. La 16e chambre du tribunal de Luxembourg a validé – il faudrait plutôt dire homologué – le 1er juillet la sanction via un jugement sur accord, sorte de plaider coupable à la luxembourgeoise.

Pour autant, cette procédure ne met pas fin aux poursuites pénales engagées contre d’autres dirigeants et anciens dirigeants de Hitec pour des faits à peu près identiques. Selon le jugement du 1er juillet que Reporter.lu a pu consulter, cinq personnes ont été inculpées entre décembre 2018 et juillet 2019. Pierre Hirtt s’est vu signifier son inculpation le 11 juin 2019. Il a quitté l’entreprise et vendu sa participation en 2015, deux ans après le début de l’enquête juduciaire.

Lettre anonyme

Selon les informations de Reporter.lu, Nicolas Comes, qui fut longtemps administrateur et président de l’entreprise, et Yves Elsen, son actuel CEO, sont aussi au cœur d’une enquête pénale qui a démarré à l’automne 2012 par un contrôle fiscal puis en février 2013 par une dénonciation de l’Administration des contributions directes.

Il faut attendre près de huit mois pour que le Parquet ouvre une information judiciaire du chef de faux, usage de faux, abus de biens sociaux, fraude fiscale intentionnelle et escroquerie fiscale. Une première perquisition au siège de Hitec intervient le 23 octobre 2013, suivie des saisies des déclarations fiscales de Hitec auprès de l’Administration des contributions directes (ACD) et de documents internes archivés chez Streff. Une commission rogatoire internationale est lancée en Suisse en 2016 où de l’argent noir a prétendument été mis à l’abri.

Des actes d’abus de biens sociaux ont été systématiquement commis au profit de la société suisse (…) pour contourner le fisc luxembourgeois. »Jugement du 1er juillet

Les déboires judiciaires de Hitec, entreprise partenaire de l’Etat dans des programmes spatiaux (notamment le très polémique projet de satellite Luxeosys) ont leur origine dans une lettre anonyme qui parvient à l’administration fiscale au courant de l’année 2013. Il est question d’irrégularités dans la gestion de la société qui se vante d’avoir un capital 100% luxembourgeois. Pierre Hirtt, qui en est administrateur délégué depuis 1991 et le restera jusqu’en juillet 2015, détient alors une participation de 28,33%.

Les allégations, documents à l’appui, évoquent la fabrication et la livraison en 2002 et 2006 par Hitec d’appareils dont les recettes sont encaissées par une société suisse ainsi que sur des comptes suisses de l’entreprise luxembourgeoise. Une quinzaine de factures y auraient transité pour un montant de 344.000 euros. L’accusateur anonyme évoque aussi des prestations facturées par la société suisse mais réalisées par Hitec.

Argent noir en Suisse

Le fisc s’intéresse alors aux déclarations d’impôts de Hitec et découvre que la société a fait passer non seulement des frais déductibles et des dépenses d’exploitation de façon irrégulière entre 2002 et 2010, mais qu’elle a également encaissé de l’argent au noir. «Ces agissements avaient permis à la société Hitec de faire échapper une partie considérable des revenus imposables à l’imposition au Grand-Duché de Luxembourg», signale le jugement du 1er juillet.

«Des actes d’abus de biens sociaux ont été systématiquement commis au profit de la société suisse (…) pour contourner le fisc luxembourgeois (…) et des factures falsifiées ont été utilisées régulièrement depuis au moins l’année 2006 afin de considérablement réduire l’assiette imposable de la société Hitec», précise le Parquet. «Nous nous trouvons en présence d’un emploi systématique de manœuvres frauduleuses tendant à dissimuler des faits pertinents à l’autorité ou à la persuader de faits inexacts», détaille encore le procureur d’Etat.

Pierre Hirtt reconnaît en être le co-auteur et prend ses responsabilités. L’enquête judiciaire montre que Hitec s’est acquittée de 181.851 euros d’impôts totaux (IRC, ICC et retenue sur les revenus du capital) entre 2002 et 2010 alors qu’elle aurait dû en payer 876.489 euros. 694.638 euros ont donc été éludés, soit un taux entre 63% et 100% selon les années. La peine prévue pour ces fraudes peut aller jusqu’à cinq ans d’emprisonnement. L’amende peut atteindre le décuple du montant éludé, soit 6,946 millions d’euros.

Négociation de jugement

Compte tenu des lenteurs de l’enquête judiciaire et des pauses injustifiées que les policiers et les autorités judiciaires ont observées (50 mois d’inactivité, note le jugement), le prévenu a bénéficié de l’indulgence du Parquet dans la négociation de son jugement. «Eu égard aux circonstances atténuantes tenant à l’absence d’antécédents judiciaires, au paiement des impôts éludés, à son repentir sincère et au fait qu’il a collaboré avec l’administration fiscale, Pierre Hirtt ne semble pas indigne d’une certaine clémence», précise le document.

Le 10 mai dernier, le procureur d’Etat et l’avocat du prévenu se mettent d’accord sur une amende correctionnelle de 80.000 euros, à payer dans les 800 jours. Les deux parties ont entériné l’accord le 17 juin et deux semaines plus tard, la 16e chambre a homologué le deal.