Cofondateur de la firme Arendt&Medernach, Me Paul Mousel vient d’être condamné pour malversation et prise illégale d’intérêt. Sa condamnation, dont il a fait appel, est intervenue dans la discrétion. L’affaire commence à faire des remous dans les cercles d’avocats.
Un certain Jean-Paul Jules Mousel fut appelé jeudi 14 novembre 2019 à comparaître devant la 18e chambre correctionnelle pour une prévention que les cours et tribunaux ne traitent pas tous les jours: une malversation du curateur de faillite. Peu habituelle fut aussi la présence à l’audience de Jean-Paul Frising, le procureur d’Etat en personne, qui se chargea du réquisitoire contre l’inculpé.
Il est assez rare qu’un procureur se déplace en audience. Le traitement est en principe réservé aux prévenus VIP ou aux affaires d’une certaine envergure. L’affaire fut toutefois plaidée dans la plus grande discrétion, sans journalistes.
Il a fallu attendre le jugement, tombé le 5 décembre dernier, et les remous que cette décision a suscités au sein du Palais de justice, pour rattacher l’affaire «Jean-Paul Jules Mousel» au nom d’un des avocats d’affaires les plus célèbres du Barreau de Luxembourg, Me Paul Mousel, cofondateur de la non moins célèbre firme d’avocats Arendt&Medernach.
Revers de fortune pour une icône du Barreau
Désigné en décembre 2016 par le magazine Paperjam avec son associé Guy Harles, comme la deuxième personnalité la plus influente du Grand-Duché après l’entrepreneur Marc Giorgetti, Paul Mousel fait figure d’icône sur la place financière. Son nom est associé à l’ingénierie patrimoniale qui a repoussé loin les limites de la sophistication financière et de l’optimisation fiscale. Il s’est également fait un nom en matière de liquidations judiciaires et de faillites réputées complexes. Son parcours impeccable vient pourtant de connaître un sévère revers.
Il faut remonter à 1993 pour comprendre l’origine de ce revers de fortune. Me Paul Mousel fut nommé cette année-là curateur des faillites de deux sociétés de réassurances du nom d’Ardenia et Ardenia Underwriting Management. C’est le point de départ des ennuis judiciaires de l’avocat. L’affaire est partie d’une plainte du juge-commissaire Jean-Paul Hoffmann en charge du contrôle des deux faillites, près de 20 ans après le prononcé des faillites.
Le curateur (…) reste en défaut de me donner des explications sur le travail de Madame G dans l’intérêt de la faillite de même que sur la pratique très inhabituelle de domiciliation d’une société faillie».Jean-Paul Hoffmann, juge-commissaire
Dans une lettre adressée au procureur d’Etat en octobre 2012, le magistrat s’est plaint des «hésitations» de Paul Mousel à s’expliquer sur le rôle d’une ex-employée d’Ardenia, recrutée à mi-temps par le curateur après la faillite. Le juge soupçonne l’avocat de faire effectuer son travail de curateur par Madame G, employée subalterne. L’avocat avait recruté deux personnes pour les besoins de la liquidation, la première a travaillé plus de 8 années après la faillite et la seconde, Madame G., plus de 19 ans.
Reproche de prise illégale d’intérêt
Le juge a aussi émis des doutes que Madame G travaillait «dans l’intérêt de la faillite». De plus, il s’interrogait «sur la pratique très inhabituelle de domiciliation d’une société faillie». Les reproches à l’encontre de Me Mousel portent principalement sur un contrat de domiciliation des sociétés en faillite qu’il a conclu avec la société Mercuria Services dont il était co-actionnaire (10% des parts) avec d’autres associés d’Arendt&Medernach. L’avocat siégeait également au conseil d’administration de Mercuria.
Conclu en janvier 2002, ce contrat de domiciliation a pris fin en avril 2008, année où les avocats de la firme ont mis fin à l’activité de domiciliation et ont vendu Mercuria à des tiers. Les sièges des sociétés Ardenia furent alors rapatriés à l’étude.
Les contrats de domiciliation ont donné lieu au paiement d’un montant total de 42.692 euros. Ces contrats n’ont pas fait l’objet d’une autorisation par le juge-commissaire de la faillite, lit-on dans le jugement. Pour se défendre, Paul Mousel a affirmé que les juges-commissaires avaient été informés de la domiciliation des sociétés. Le Tribunal a toutefois considéré qu’une information ne valait pas autorisation.
Contacté par REPORTER, le service communication d’Arendt&Medernach a fait savoir que «les relations entre les sociétés en faillite et Mercuria Services étaient dûment documentées et publiées. Tous les frais engagés par le curateur ont été visés par le juge commissaire en vue de la clôture de la faillite».
«L’inaction» du curateur
Les relations entre le curateur et les deux magistrats en charge de la supervision de cette faillite étaient tendues bien avant le déclenchement des poursuites judiciaires. Les juges reprochaient au liquidateur, Me Mousel, de faire traîner la faillite en longueur et d’engager davantage de frais qu’il ne récupérait d’argent pour dédommager les victimes.
Le curateur a tiré, pour le moins indirectement, un enrichissement personnel des domiciliations litigieuses»Jugement du 5 décembre 2019
En 2008 et 2009, la juge-commissaire Odette Pauly déplorait «l’inaction» de l’avocat. Le juge Hoffmann, lui ayant succédé, pressait Me Mousel de lui fournir les montants des actifs récupérés et le détail des frais de la faillite. La réponse tomba fin 2012: les frais d’administration de la faillite prélevés par Paul Mousel s’élevaient à plus d’un million d’euros. Aucune indication n’est donnée dans le jugement de décembre sur le montant que le liquidateur a pu recouvrir pour le restituer aux créanciers de la compagnie de réassurance.
Trois mois après la dénonciation du juge Hoffmann, une enquête préliminaire a été lancée pour «d’éventuels faits de malversation» dans la gestion des faillites Ardenia. Le Parquet a considéré ensuite les éléments suffisants pour transmettre le dossier à un juge d’instruction. En 2016, Me Mousel est officiellement inculpé de «malversation».
40.000 euros d’amende correctionnelle
Les juges du tribunal correctionnel ont considéré que les deux sociétés en faillite ayant cessé leur activité, une domiciliation n’était ni requise par la loi, ni justifiée. Les magistrats ont estimé que les prélèvements sans autorisation des frais de domiciliation se sont faits au préjudice de la masse des créanciers. Paul Mousel, en tant qu’actionnaire de Mercuria, «a tiré, pour le moins indirectement, un enrichissement personnel des domiciliations litigieuses», souligne le jugement du 5 décembre dont REPORTER a pris connaissance.
Le tribunal a également considéré que les agissements de l’avocat tombaient sous la qualification de prise illégale d’intérêts. Les magistrats ont ainsi rappelé le curateur à ses devoirs de «mandataire de justice».
Car avant d’être un business plus ou moins lucratif, une faillite relève avant tout d’une mission de service public, ont indiqué en substance les magistrats. «Il (Paul Mousel, Ndlr) a méconnu l’interdiction totale pour quiconque ayant accepté une mission de service public, de mettre son intérêt privé en contact avec l’intérêt public qu’il est appelé à administrer», note le jugement. Aucune intention frauduleuse n’est requise et il ne faut pas qu’il y ait préjudice, ont précisé les juges.
Paul Mousel, «eu égard à la gravité des faits», a été condamné à une amende correctionnelle de 40.000 euros. Il a fait appel du jugement.
Conseil de l’ordre aux abonnés absents
Pour le défendre, le cofondateur d’Arendt&Medernach avait mandaté son confrère Rosario Grasso. Ce dernier était bâtonnier entre 2014 et 2016, soit au moment où le juge d’instruction a délivré le mandat de comparution pour Paul Mousel et l’a inculpé.
Il a ensuite fallu attendre trois ans pour que le procès se tienne. Le Conseil de l’ordre des avocats n’était pas partie civile de ce procès, alors qu’il a demandé un euro symbolique de dommage et intérêt dans le procès d’un petit avocat prévenu de violation de ses obligations professionnelles en matière de blanchiment.
Ni l’inculpé, ni son avocat, Me Rosario Grasso, ni le Parquet n’ont informé le Conseil de l’ordre»François Prum, bâtonnier sortant
Pour l’heure, le Barreau n’a pas engagé de poursuites disciplinaires à l’encontre de Me Mousel. L’avocat n’a pas informé le bâtonnier François Kremer, qui appartient également à l’étude Arendt&Medernach, ni des poursuites dont il fait l’objet depuis 2013, ni de sa condamnation du 5 décembre dernier. Le règlement d’ordre intérieur du Barreau impose aux avocats poursuivis d’en avertir «immédiatement le bâtonnier».
Le bâtonnier sortant, Me François Prum, a affirmé dans un entretien à REPORTER que le Conseil de l’ordre avait pris connaissance de la condamnation de Me Paul Mousel seulement à la suite des sollicitations de notre rédaction. «Ni l’inculpé, ni son avocat, Me Rosario Grasso, ni le Parquet n’ont informé le Conseil de l’ordre», a déclaré Me Prum.
Quid de la procédure disciplinaire?
François Prum s’est toutefois défendu de réserver un traitement de faveur à la star du Barreau. «Il n’y a pas de traitement différent», a-t-il indiqué. «Suite à l’appel qu’il a interjeté contre le jugement, Me Mousel jouit de la présomption d’innocence. Si sa condamnation était confirmée, il est évident que le Conseil de l’ordre ouvrira une procédure disciplinaire», a ajouté le bâtonnier sortant.
«Paul Mousel, représenté par Me Rosario Grasso, a fait appel du jugement de première instance», indique le service presse d’Arendt&Medernach. Le cabinet en fait une affaire de principe. «Nous devons analyser les enseignements de ce jugement qui tendrait à remettre en cause les pratiques existantes quant à l’exercice de missions de service public par les avocats. Depuis toujours, Arendt&Medernach a encouragé ses associés et collaborateurs à s’engager dans des missions servant l’intérêt général. Si désormais cette pratique comporte des risques pénaux pour nos collègues, nous serons amenés à les considérer avec prudence. Nous regrettons cette évolution», précise le cabinet vis-à-vis de REPORTER.
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