La prise en charge des enfants atteints de cancer s’est améliorée au Luxembourg ces dernières années, mais de nombreuses insuffisances subsistent au Service National d’Onco-hématologie Pédiatrique (SNOHP) de la Kannerklinik. Cela explique pourquoi beaucoup d’enfants doivent encore être traités à l’étranger.
«Environ 80% des patients qui arrivent chez nous ne peuvent pas être pris en charge de manière complète. L’objectif pour les prochaines années est d’inverser la tendance. Il faut juste nous en donner les moyens!». Le constat est clair pour la pédiatre Isabelle Kieffer en poste au Service National d’Onco-Hématologie Pédiatrique (SNOHP) de la Kannerklinik.
Si l’on soigne les enfants atteints d’un cancer depuis plus de 20 ans au Luxembourg, la création d’un véritable service leur étant dédié n’est que très récente. En effet, le SNOHP a été mis en route fin 2016, dans le cadre du Premier Plan National Cancer. «Depuis, une dynamique s’est enclenchée et les choses vont dans le bon sens, mais il reste encore beaucoup à faire. L’idéal serait de permettre aux enfants, soit de suivre leur traitement en totalité au Luxembourg, en fonction de leurs pathologies, soit de les faire revenir plus tôt au Luxembourg s’ils sont dans des protocoles de recherche en centre de référence à l’étranger», ajoute la spécialiste.
Chaque année, on recense au Grand-Duché entre 15 et 20 nouveaux cas de cancers pédiatriques, la grande majorité étant des leucémies, des tumeurs cérébrales ou des lymphomes (cancers du système lymphatique). En décembre 2019, le SNOHP comptait 268 patients, dont 115 atteints d’un cancer, 146 d’hématologie bénigne et 7 de maladies rares.
Les tumeurs de l’enfant se développent très vite et les complications qui vont avec aussi. Cela veut donc dire que nous devons être tout le temps disponibles. »Dr Isabelle Kieffer, pédiatre au SNOHP de la Kannerklinik
Si les compétences sont bien là, c’est avant tout le manque d’infrastructures qui freine la prise en charge des jeunes malades. Le SNOHP partage 30 lits médico-chirurgicaux avec les autres surspécialités de la clinique pédiatrique et ne dispose souvent que d’une seule chambre en hospitalisation et d’une chambre à SAS qui lui est exclusivement dédiée. «Une telle chambre permet de mettre l’enfant en isolement et d’éviter toute contamination par de l’air extérieur. Il y en a quatre de ce type au sein de la Kannerklinik et une en réanimation. Il nous en faudrait au moins quatre de plus exlusivement pour le service», explique la docteure Kieffer.
«La Kannerklinik est officiellement considérée comme la clinique de référence pour les enfants malades, mais les infrastructures actuelles ne nous permettent pas de remplir notre mission. Nous sommes clairement à l’étroit. Il faudrait avoir un espace à la hauteur de notre mission.» Un réaménagement de toute la partie ambulatoire a déjà permis d’avoir un espace propre au service, mais cela reste insuffisant.
Réduire les séjours à l’étranger
«La majorité des enfants continuent d’être soignés en partie ou en totalité à Paris, Nancy, Bruxelles, Hombourg ou dans d’autres centres à l’étranger. Ce qui est en partie logique car nous sommes dans un petit pays et qu’il existe une soixantaine de cancers pédiatriques différents. Il serait donc impossible de tous les prendre en charge à 100%», précise Anne Goeres, présidente de la Fondation Kriibskrank Kanner. C’est le cas notamment pour les cancers plus rares.
«A l’âge de 3 mois et demi, notre fille a commencé à avoir une joue qui devenait plus grosse que l’autre. Les médecins de la Kannerklinik nous ont annoncé une tumeur bénigne très rare au niveau de la bouche», raconte la maman de la petite Ines. La famille est donc immédiatement redirigée vers un centre de référence sur Paris, seul habilité à intervenir sur la tumeur. Une série d’allers-retours entre la capitale française et le Luxembourg commence alors pour la petite fille et sa famille. «Elle devait se faire opérer début février. Nous y sommes donc allés, mais juste avant l’intervention, le spécialiste a jugé l’opération trop agressive et a préféré que l’on essaye une cure de chimiothérapie près de chez nous pour voir si la tumeur pouvait se résorber».
Retour donc au Grand-Duché où le traitement s’avère malheureusement inefficace. «Nous sommes donc retournés de nouveau sur Paris en avril et elle s’est fait opérer début mai. Tout s’est bien passé. Nous devrons encore y retourner pour un contrôle», explique la mère de famille.
Nous ne pourrons jamais être un centre de référence européen capable de traiter toutes les pathologies oncologiques. »Dr Isabelle Kieffer, pédiatre au SNOHP de la Kannerklinik
En plus de l’angoisse à gérer et d’une grande fatigue psychologique, les familles doivent faire face à un véritable bouleversement de leur quotidien souvent ponctué de longs déplacements. «Notre objectif est de réduire les séjours à l’étranger au maximum pour nos patients et leurs familles, toujours dans le respect de l’intérêt premier de l’enfant. Mais nous ne pourrons jamais être un centre de référence européen capable de traiter toutes les pathologies oncologiques», souligne la docteure Kieffer.
Actuellement, le SNOHP est capable de prendre en charge en totalité les néphroblastomes (tumeur du rein), les gliomes des voies optiques et du système nerveux central, le traitement dit d’entretien chez les enfants atteints de leucémie aigüe lymphoblastique, et tous les protocoles de chimiothérapie qui peuvent se faire en ambulatoire, c’est-à-dire en hôpital de jour, comme ce fut le cas pour la petite Ines.
A l’arrivée de l’oncologue pédiatrique Sophie Huybrechts en juin 2018, les médecins ont même pu réaliser une première au Luxembourg. «Nous avons pris en charge complètement un enfant atteint d’un ostéosarcome (tumeur osseuse). Mais suite à la crise du coronavirus et à l’augmentation de l’activité au sein de la Kannerklinik, il n’est pas certain que nous pourrons reproposer une telle prise en charge sans locaux ni moyens supplémentaires», indique la docteure Kieffer. Et le manque de place n’est pas le seul problème.
Un manque de personnel
Le service emploie actuellement quatre infirmières, qui ne sont pas toutes à temps plein, une psychologue à mi-temps, une secrétaire et deux médecins, l’oncologue pédiatrique Sophie Huybrechts et la pédiatre Isabelle Kieffer, spécialisée en oncologie et hématologie. «Ma collègue et moi travaillons à 80%, ce qui n’est clairement pas suffisant pour envisager une vraie prise en charge de nos patients, qui ont besoin d’une disponibilité 24 heures sur 24, 365 jours par an». Si l’arrivée de l’oncologue attitrée et de nouvelles infirmières il y a deux ans ont largement fait évoluer le SNOHP, le manque de personnel l’empêche de remplir à 100% sa mission.
«Il nous faudrait au moins deux temps pleins pour pouvoir faire une liste d’astreintes, être présents la nuit, le week-end et les jours fériés. Le Deuxième Plan National Cancer prévoit d’augmenter la capacité du personnel et on espère vraiment que cela sera fait». La pédiatre confie également devoir officier en dehors de ses heures de travail, sans quoi, des décisions urgentes ne pourraient pas être prises et mettre en danger la vie de ses patients. «Les tumeurs de l’enfant se développent très vite et les complications qui vont avec aussi. Cela veut donc dire que nous devons être tout le temps disponibles».
Lorsque l’hôpital atteint ses propres limites
En l’espace de 30 ans, le taux de guérison des cancers pédiatriques est passé de 30 à 80% dans les pays occidentaux. Un chiffre exceptionnel rendu possible grâce aux progrès réalisés dans la détection des maladies et à la formation de médecins toujours plus compétents. Le Luxembourg doit donc en recruter suffisamment.
Au manque d’infrastructures et de personnel s’ajoute un dernier point tout aussi important, la mise en réseau des différentes compétences, qui reste insuffisante. C’est notamment le cas pour les soins palliatifs pédiatriques, incluant la fin de vie et les soins pour les maladies qu’on ne peut pas guérir, qui doivent être développés pour permettre un meilleur accompagnement à domicile.
Publié en décembre 2019, le Deuxième Plan National Cancer prévoit de «réaliser un état des lieux, afin d’identifier les besoins, les infrastructures et les ressources nécessaires au développement du SNOHP» et un projet d’agrandissement de la Kannerklinik serait déjà en route. Reste à savoir quelle place sera dédiée au service d’oncologie. Contacté par REPORTER, le CHL confirme le projet en cours, mais ne souhaite pas communiquer davantage sur le sujet «étant au stade des premières réflexions».
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