Sixième femme à accéder au bâtonnat, Valérie Dupong entend mettre son mandat sous le signe du social. Elle fait de «la protection, du respect et du service» sa devise à l’heure où, sous l’effet de la crise sanitaire, de plus en plus de jeunes avocats ont du mal à boucler les fins de mois.

Valérie Dupong veut donner un peu plus d’humanité et de proximité au Barreau. C’est sa réponse à la crise du Covid-19 qui affecte la profession d’avocat. Elle a posé les marques de son programme d’action mardi lors d’une conférence de presse à la Maison de l’avocat. La nouvelle bâtonnière, mandat qu’elle va occuper deux ans, a bien sûr parlé chiffres, protection du secret professionnel de l’avocat, mais aussi et surtout des vulnérabilités qui frappent une profession qui n’est pas faite que d’épaules larges, pour paraphraser l’expression du Vice-Premier ministre socialiste Dan Kersch.

Le bilan de l’année judiciaire 2019/2020, à mettre sur le compte de son prédécesseur François Kremer, fait ressortir que 3.011 avocats sont inscrits au Barreau, dont 1.452 femmes, que 142 réclamations contre des honoraires surfaits ont été traitées ainsi que 153 affaires disciplinaires contre les brebis égarées de la profession. 23 contrôles «confraternels» du respect des règles anti-blanchiment (AML) ont été réalisés. «Confraternel ne veut pas dire gentil», a d’ailleurs fait remarquer non sans humour le bâtonnier sortant.

Le rythme des contrôles AML s’est accéléré depuis mars, après l’adoption d’une loi qui a octroyé au Conseil de l’ordre des avocats des pouvoirs de régulation comparables à ceux que détient la CSSF pour le secteur financier. Depuis la rentrée, le barreau a accompli deux contrôles par semaine auprès des confrères. Des contrôles ciblés qui devraient apporter la démonstration que les avocats prennent l’autorégulation au sérieux, alors que la mission d’experts internationaux du Groupe d’action financière contre le blanchiment et le financement du terrorisme (Gafi) fera sa tournée du Barreau et de certaines études au printemps prochain.

Les avocats en difficulté inquiètent

On retiendra surtout de la première conférence de presse de Valérie Dupong, formatée au droit de la famille, en particulier la protection des enfants et des personnes vulnérables, ses propos sur les avocats en difficulté. C’est pour la bâtonnière un vrai sujet d’inquiétude.

Certains avocats sont en grande détresse financière mais aussi psychologique. On a même connu des suicides. »Valérie Dupong, Bâtonnière

La crise sanitaire et la fermeture des tribunaux a mis en lumière la vulnérabilité des jeunes avocats et des petites structures qui ont du mal à faire face au manque à gagner et aux frais d’exploitation liés aux contraintes réglementaires en hausse. «On s’attend à des insolvabilités, surtout à la fin des moratoires des administrations fiscales et de sécurité sociale», a-t-elle indiqué.

Les aides gouvernementales sont venues au secours des avocats les plus vulnérables, mais le coup de pouce s’est avéré insuffisant pour garder la tête hors de l’eau. «Certains avocats sont en grande détresse financière mais aussi psychologique», a fait valoir Me Dupong. «On a même connu des suicides», poursuit-elle.

Réforme de l’aide judiciaire

La bâtonnière entend donner au barreau des moyens pour intervenir  auprès des confrères et consoeurs en difficulté «bien en amont pour éviter les catastrophes financières et les burn-out». Faute de grands moyens, il s’agira dans une première étape «d’entendre et surtout orienter» ceux qui en feront la demande.

Le Barreau luxembourgeois n’a pas, pour l’heure, l’ambition de mettre en œuvre pour ses membres les plus fragiles un écosystème d’aide sociale comparable à ceux qui existent par exemple en France où des assistantes sociales ont été recrutées. Valérie Dupong fera avec les moyens du bord. «On est plus humbles dans notre projet. Des passerelles seront créées avec des services de surendettement et des équipes de soutien psychologique», a-t-elle souligné.

On est d’accord sur le fait qu’il faut décemment payer un avocat, mais pas de là à dire qu’il faut un SMIC au moins. »François Kremer, Bâtonnier sortant

Sur le même registre, le Barreau travaille actuellement, de concert avec les services du ministère de la Justice, sur une modification de la loi cadre sur la profession d’avocat en cas de faillite d’une étude ou de défaillance d’un avocat. Le dispositif qui est déjà prévu pour les commerçants pourrait s’appliquer aux professions libérales, pas uniquement les avocats. La réflexion ne semble pas très avancée.

Deux autres chantiers sur le métier pourraient contribuer à améliorer le sort des jeunes avocats ou des avocats sans le sou. Il s’agit en premier lieu de la réforme de l’aide judiciaire. Un sujet qui est un peu comme l’Arlésienne: on en discute depuis longtemps sans jamais l’avoir vue. L’aide pourrait être octroyée sous forme de palier de revenus.

Le second chantier porte sur les rémunérations des avocats stagiaires. Certains touchent à peine le salaire social minimum. Le règlement d’ordre intérieur du Barreau prévoit une «rémunération équitable», sans pour autant la définir. «On est d’accord sur le fait qu’il faut décemment payer un avocat, mais pas de là à dire qu’il faut un SMIC au moins», a fait savoir Me François Kremer, associé de l’étude Arendt&Medernach. «Je n’ai pas eu de plainte de jeunes avocats qui auraient été mal payés», at-il d’ailleurs assuré.


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