Les vacances 2020 de la Toussaint sont déjà compromises pour certains. C’est la semaine qu’ont choisie les experts du Gafi pour faire leur tournée d’évaluation du dispositif anti-blanchiment au Luxembourg. Une mission de reconnaissance était à Luxembourg du 24 au 26 octobre.
Ils sont la hantise des autorités luxembourgeoises. La date précise de leur mission d’inspection est désormais connue: les experts du Groupe d’action financière contre le blanchiment et le financement du terrorisme (Gafi), émanation de l’OCDE, vont gâcher les vacances de la Toussaint des responsables de la lutte anti-blanchiment. La tournée du Grand-Duché, qui s’inscrit dans le cadre du 4e cycle d’évaluation, se tiendra du 26 octobre au 11 novembre 2020.
Si l’on sait quand ils viennent, la composition de la délégation qui effectuera sa revue du dispositif luxembourgeois reste encore une inconnue. Il s’agit d’un examen entre pairs. On croise les doigts pour que les membres du Gafi en charge de cette inspection soient issus de pays de l’OCDE compréhensifs, voire compatissants.
Tous mobilisés
Les experts du Gafi ne viendront pas juger la législation anti-blanchiment qui a été mise en place depuis dix ans. Ils se pencheront principalement sur les capacités du Luxembourg à en faire un usage efficace dans la pratique de tous les jours. Et c’est bien ce qui suscite des sueurs froides.
Une mission de reconnaissance du secrétariat du Gafi (FATF country training) a eu lieu pendant trois jours, du 24 au 26 octobre à Luxembourg. Ses trois membres ont été clairs sur les attentes. Il s’agissait d’un tour de chauffe dans lequel ont été délivrés des conseils et informations sur le déroulement de la mission d’évaluation à l’automne 2020.
Certains textes sont trop récents. C’est ce qui peut faire peur. »Catherine Bourin, ABBL
Malgré l’activisme qui anime les administrations depuis la fin 2018, toutes les lois ne sont pas encore en place ou ne le seront pas depuis suffisamment longtemps pour éprouver la solidité des mécanismes nationaux de prévention et de répression de l’argent sale.
«Certains textes sont trop récents. C’est ce qui peut faire peur», explique Catherine Bourin, membre du comité de direction de l’ABBL.
L’exemple islandais qui effraie
La dirigeante cite l’exemple malheureux de l’Islande qui a été blacklistée le 18 octobre dernier par le Gafi parce que ses lois étaient trop récentes pour démontrer leur efficacité dans la lutte contre la grande criminalité financière.
Au Luxembourg, la 5e directive anti-blanchiment de 2018, à transposer avant le 20 janvier 2020, est dans les starting-blocks depuis le mois d’août, mais il reste encore un volet sensible de la 4e directive de 2015 à mettre en œuvre au plus vite, celui du registre des bénéficiaires de trusts.
Voulue par le Parlement européen, la réforme impose de nouvelles obligations de transparence au secteur financier. Elle prévoit notamment la création des registres centraux qui vont permettre la recherche électronique de données d’identification des détenteurs de comptes bancaires et de coffres-forts. Ce volet n’a d’ailleurs pas été intégré dans le projet de loi déposé cet été par le gouvernement. Comme à son habitude, le gouvernement transpose les directives sensibles avec des ciseaux. Le découpage n’est pas toujours une réussite!
«Nous sommes vraiment tous mobilisés», assure l’avocat Thierry Pouliquen qui siège dans le comité de coordination de la lutte anti-blanchiment. «Pour autant, ajoute-il, la bonne volonté ne suffira pas».
Jurisprudence dentifrice
Les plus de 55.000 déclarations de soupçons de blanchiment entrées en 2018 à la Cellule de renseignement financier (CRF), chiffre record, ne vont probablement pas impressionner les experts du Gafi. Pas plus que les chiffres renseignant de l’activité débordante des magistrats et des policiers luxembourgeois qui passent beaucoup de temps à échanger des informations avec leurs collègues étrangers, mais moins à diligenter des enquêtes nationales sur la grande criminalité financière.
Cette activité d’échanges de renseignements à l’international, importante pour faire avancer les enquêtes sur la criminalité financière qui dépasse les frontières, ne peut pas légitimer les défaillances de la justice luxembourgeoise à traiter ses affaires nationales.
Nous devons montrer que nous parlons d’une seule et même voix, pas comme en 2010. »Thierry Pouliquen, avocat
Il y a, en effet, une carence avérée d’enquêtes nationales d’envergure en lien avec des infractions de blanchiment et en adéquation avec la taille de la Place financière. Le peu d’affaires nationales ayant débouché sur des condamnations ne font pas illusion. La plupart des décisions judiciaires sur le tableau de chasse luxembourgeois portent sur des condamnations de blanchiment détention touchant surtout la petite délinquance.
Les mauvaises langues parlent d’une «jurisprudence dentifrice», parce qu’un des premiers condamnés pour blanchiment détention a été un petit voleur qui avait rempli ses poches de produits cosmétiques, dont du dentifrice, sans passer à la caisse.
La traumatisme de 2010
Ces cas font peut-être monter les statistiques nationales sur le blanchiment mais ne témoignent pas sérieusement de la capacité du pays à prévenir et traiter la véritable criminalité financière. Malgré le renforcement du cabinet d’instruction (14 magistrats depuis la rentrée judiciaire), une seule juge travaille spécifiquement sur les affaires de criminalité financière depuis le départ d’un de ses collègues passé à la présidence d’une chambre du tribunal correctionnel.
La Commission de surveillance du secteur financier soumet presque chaque année une trentaine d’affaires au Parquet. Pour combien d’enquêtes? Combien de condamnations?
Ce sont les informations que les experts du Gafi vont consigner dans leur rapport, avec à la clef la possibilité pour le Luxembourg d’être blacklisté.
Les enjeux sont importants: à l’humiliation d’être placé sur une liste grise des juridictions peu efficaces dans la lutte contre le blanchiment s’ajoutent les risques de perdre son triple A par les agences internationales de notation et son accès aux financements internationaux.
Le «traumatisme» de 2010 avec l’inscription du Luxembourg sur liste grise du Gafi pendant 4 ans – il en est sorti le jour de la saint Valentin 2014 – est encore dans toutes les mémoires. L’heure est désormais au mieux-disant réglementaire et au consensus, parfois jusqu’à l’excès. «Nous devons montrer que nous parlons d’une seule et même voix, pas comme en 2010», souligne Thierry Pouliquen.
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