La précarité des avocats a occupé pratiquement tout l’espace de la conférence de presse annuelle du Barreau. Les questions sur le blanchiment ont été survolées, comme si ce n’était plus le sujet chaud de l’automne – à quelques jours de la tournée grand-ducale du GAFI.
Valérie Dupong a achevé son mandat de bâtonnière sur un bilan social sans égal. L’avocate en a fait l’inventaire mardi lors d’une conférence de presse à la Maison de l’Avocat, aux côtés du nouveau bâtonnier Pit Reckinger et du futur patron du Barreau Albert Moro.
La mise en place d’une «cellule d’écoute» au sein du Barreau, qui compte davantage d’avocats d’affaires que de pénalistes ou de spécialistes du droit de la famille, a été le projet «phare» qu’elle a soutenu pendant deux ans. Il y avait «mille raisons pour créer le ‘barreau social’», fait valoir l’avocate. La crise sanitaire du Covid-19 et la mise au ralenti de l’activité des palais de justice a poussé le barreau à se préoccuper du sort de ses membres, souvent les plus jeunes et les étrangers, tombés dans la précarité.
Des chiffres affligeants
L’urgence d’agir s’est surtout manifestée à la suite d’une enquête sur le bien-être des avocats à laquelle 1.100 membres du barreau ont répondu, soit un tiers des inscrits (3.437 membres recensés, retraités compris). Lancé en octobre 2021, le questionnaire a cherché à identifier les problèmes rencontrés par les avocats dans leur vie professionnelle et privée et leurs difficultés de concilier ces deux sphères. Les résultats témoignent de la volonté de 35% des avocats de quitter leur profession pour des raisons financières, de stress et de manque de disponibilité pour gérer leur vie privée.
25% des personnes interrogées assurent être victimes de discrimination en fonction de leur genre et de leurs origines. Un quart d’entre elles, majoritairement des femmes, disent avoir subi des faits de harcèlement moral. Rares sont les victimes à avoir fait des signalements, soit à leurs études ou à leur employeur, soit au Conseil de l’ordre. «Cela traduit un manque de confiance à l’égard des études et du barreau», admet Valérie Dupong.
La bâtonnière sortante reconnaît que ces chiffres sont «affligeants», tout en précisant qu’ils sont alignés sur l’état moral des troupes dans les barreaux étrangers, notamment en Suisse et à Paris. L’étude montre en outre que 3 à 5% des avocats interrogés ont des revenus sous le salaire social des employés qualifiés.
Appel aux dons du bâtonnier
Lancée fin 2021, placée sous l’égide du Conseil de l’ordre qui lui a fait une dotation initiale de 83.000 euros, la cellule d’écoute fonctionne avec une dizaine d’avocats volontaires. Le financement de la cellule sera assuré par un fonds de solidarité des avocats du barreau de Luxembourg. Pit Reckinger, le nouveau bâtonnier, a d’ailleurs lancé un appel aux dons à ses confrères pour alimenter le fonds et en assurer le fonctionnement ainsi que l’efficacité.
Le bilan de la bâtonnière sortante n’est pas que social, mais il est moins consensuel. Valérie Dupong s’est ainsi montrée intraitable avec les «moutons noirs» de la profession. Pendant son mandat qui s’est étendu de septembre 2020 à septembre 2022, elle a ouvert 39 procédures disciplinaires, dont 34, rien qu’entre 2021 et 2022, en lien avec les obligations de lutte anti-blanchiment qui incombent aux avocats.
La plupart des procédures disciplinaires ont été initiées après des contrôles sur place au sein des études pour vérifier le respect des règles de lutte anti-blanchiment. Lorsqu’elles ne sont pas traitées à l’amiable, les affaires sont déférées devant le conseil disciplinaire et administratif (CDA). Les procédures ont concerné 19 avocats. Le CDA a infligé cinq amendes entre 1.000 et 10.000 euros (500 euros étant le minimum et 1 million d’euros le maximum) et procédé à trois avertissements.
Contrôles et lutte anti-blanchiment
En instance d’appel, le conseil disciplinaire a jugé en juin dernier deux associés d’une même étude qui avaient été épinglés après un contrôle des règles de lutte anti-blanchiment sur place le 1er septembre 2020 (sous le mandat du bâtonnier François Kremer, prédécesseur de Valérie Dupong). Le contrôle avait notamment montré des défaillances dans le respect de l’identification des clients et de l’origine de l’argent.
Les deux avocats, actifs dans la domiciliation de sociétés, n’avaient pas identifié les bénéficiaires économiques d’une société cliente, ayant acquis et immatriculé des avions financés par l’Etat cubain. Selon les informations de Reporter.lu, ces avions étaient utilisés par les officiels cubains pour effectuer des déplacements privés entre La Havane, le Brésil et les Etats-Unis.
Les deux décisions ont été publiées sur le site Internet du Barreau, ce qui est inédit dans les annales du barreau luxembourgeois. Toutefois, les noms des deux associés, condamnés à une amende de 5.000 euros chacun – le Conseil de l’ordre réclamait 40.000 euros – ont été caviardés. Parallèlement à cette affaire administrative, désormais coulée en force de chose jugée, une plainte au procureur d’Etat a été déposée mi-juillet 2022 contre les deux avocats pour blanchiment et non-respect de leurs obligations professionnelles.
La présentation du rapport annuel sur la lutte anti-blanchement de l’ordre des avocats du barreau de Luxembourg intervient deux semaines avant la venue de la mission du Groupe d’action financière (GAFI) qui va passer trois semaines au Luxembourg pour vérifier l’efficacité de son dispositif de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme. Selon les informations de Reporter.lu, le GAFI a mis en place une revue de presse sur le Grand-Duché pour traquer toutes les informations et la littérature documentant la vie de la place financière.
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