Arrêt des recettes de billetterie, fuite des sponsors, des joueurs impayés pendant des mois: à l’instar de leurs homologues européens, les clubs de football de Division Nationale ont subi de plein fouet les conséquences de la crise sanitaire. Reporter.lu a mené l’enquête.

Le rideau est tombé, dimanche 30 mai, sur une saison 2020-2021 de BGL Ligue encore perturbée par la crise. Le Fola Esch a fêté le huitième titre de son histoire. Le retour progressif du public lors des trois dernières journées a rendu à la Division Nationale un semblant de normalité. Quelques motifs d’espoir et des raisons de retrouver le sourire, après des mois difficiles pour tous les clubs, sans exception.

La crise du Covid-19 n’a épargné personne. Pas même le microcosme de la première division du football luxembourgeois. Dans un rapport détaillé de 112 pages publié au mois de mai, l’UEFA, l’instance dirigeante du football européen, évaluait à près de 8,7 milliards d’euros le manque à gagner cumulé au sein de ses 55 championnats en Europe, pour les deux dernières saisons. Les conséquences financières mesurées pour l’instant à l’échelle du football luxembourgeois sont certes plus modestes, mais elles sont bien réelles.

Résultats financiers en baisse

Sous le statut juridique d’association sans but lucratif, les clubs de BGL Ligue fonctionnent comme des entreprises où les contrats de travail sont de plus en plus courants. Depuis 2018, le règlement UEFA sur l’octroi de licences aux clubs et sur le fair-play financier impose aux clubs de BGL Ligue de publier annuellement leur bilan financier. Si les clubs planifient leurs budgets d’une saison sportive à l’autre, les informations contenues dans les bilans comptables établis sur l’année civile restent très évocatrices. Notamment lorsqu’il s’agit d’estimer les dégâts d’une année 2020 inédite.

En comparant les deux derniers exercices (2019 et 2020), on observe que la quasi-totalité des clubs de l’élite ont enregistré une diminution de leur chiffre d’affaires, des résultats net en baisse quand il ne s’agissait pas de pertes, et une réduction de leur masse salariale. Rien de surprenant, quand on sait que la saison 2019-2020 a été stoppée au mois de mars après 17 journées et que les matches de la saison 2020-2021 se sont disputés à huis clos de novembre 2020 à mai 2021. Une partie des petits clubs, qui avait déjà largement souffert du premier arrêt du championnat en mars 2020, militait pour que la saison 2020-2021, momentanément arrêtée en novembre, n’aille pas à son terme. La FLF avait finalement statué pour une reprise des compétitions en février, au grand dam de certains clubs.

Ces derniers se sont heurtés à trois principales difficultés. L’arrêt des recettes de matches (billetterie et buvette), l’incapacité de certains sponsors à tenir ou renouveler leurs engagements et l’impossibilité d’organiser des événements et des tournois de jeunes. Les trois principales sources de revenus d’une majorité de clubs au modèle de fonctionnement traditionnel, qui ne peuvent pas s’appuyer sur le soutien financier de mécènes.

Appel à la solidarité en vain

À quelques journées de la fin de la saison, ces mêmes clubs avaient lancé un appel à la solidarité aux clubs d’un top 3 déjà figé depuis quelques semaines. Ils avaient demandé au Fola, au Swift Hesperange et au F91 Dudelange, déjà assurés de participer aux compétitions européennes, de reverser jusqu’à 10% de leur prime de qualification dans un pot commun qui aurait été redistribué aux autres clubs. Le sujet était né d’une discussion informelle entre les clubs en début d’année.

Ce sont les petits clubs, plus dépendants de leur fan base, qui payent un lourd tribut. J’ai peur que la différence entre les gros et les petits ne se creuse. »Le dirigeant d’un club de la BGL Ligue

Les deux clubs encore en course pour la quatrième place qualificative pour l’Europe, le Racing et le Progrès Niederkorn, avaient accepté le principe de cette démarche. Les trois premiers cités ayant fait la sourde oreille, les clubs demandeurs avaient protesté lors de l’avant-dernière journée, en décalant le coup d’envoi des matches de dix minutes. Lors de la dernière journée, le 30 mai, les joueurs de ces mêmes clubs portaient tous un brassard flanqué ironiquement du message «solidarité?».

Semblant de normalité au stade « Op der Grenz »: Lors de la dernière journée de BGL Ligue fin mai, les spectateurs ont pu assister au derby entre la Jeunesse Esch et le Fola. (Photo: Christian Peckels)

«Il y a des clubs pour qui le nombre de spectateurs importe peu. Qu’il y ait 80 ou 500 personnes au stade, ça ne change rien. C’est pareil pour eux, parce que leurs engagements sont assurés par une personne qui injecte de l’argent. Ce sont les petits clubs, plus dépendants de leur fan base, qui payent un lourd tribut. J’ai peur que la différence entre les gros et les petits ne se creuse, surtout s’ils ne veulent pas être solidaires», s’insurge un dirigeant sous condition d’anonymat.

Ce cri du coeur de certains petits clubs s’explique par une forte baisse des recettes liées à la billetterie. Ces clubs dont l’apport de la fan base est primordial ont beaucoup souffert. À titre d’exemple, le club de Wiltz évoque des pertes situées entre 70.000 et 80.000 euros cette saison. L’US Hostert évalue quant à lui son manque à gagner à près de 100.000 euros. Sur les 14 derniers mois, l’US Mondorf parle de pertes estimées entre 150.000 et 180.000 euros.

L’épineuse question des salaires

La masse salariale représente dans la majorité des clubs le poste de dépenses le plus important en valeur absolue et dans le milieu, les noms des meilleurs payeurs sont des secrets de polichinelle. Hesperange, qui s’appuie depuis peu sur le mécénat de l’homme d’affaires Flavio Becca, et Dudelange, qui jouit encore des réserves exceptionnelles emmagasinées lors de ses deux campagnes européennes, affichaient respectivement en 2020 des masses salariales proches des deux millions d’euros. C’est presque dix fois plus que des clubs comme Hostert et Wiltz sur le même exercice.

Aujourd’hui, les joueurs connaissent la situation à Dudelange et ils savent qu’ils gagneront plus ailleurs. Ce n’est plus comme avant et ça ne le sera plus. »Romain Brenner, vice-président du F91 Dudelange

Si le Swift est un «nouveau riche» du championnat, le F91 Dudelange, qui avait déjà divisé par deux sa masse salariale depuis le départ de Flavio Becca, a modifié considérablement son modèle économique et dans son budget prévisionnel de la saison 2021/2022, devrait encore la faire baisser de moitié. «Aujourd’hui, les joueurs connaissent la situation à Dudelange et ils savent qu’ils gagneront plus ailleurs. Ce n’est plus comme avant et ça ne le sera plus», sourit Romain Brenner, le responsable des finances au club et membre historique du comité directeur.

La réduction des salaires des joueurs et des équipes techniques était donc un enjeu important pour tous les clubs. Selon nos informations, la quasi-totalité des joueurs à qui il a été proposé de faire un effort de solidarité a accepté de le faire. Au plus fort de la crise, en mars 2020, les joueurs du F91 Dudelange sous contrat de louage d’ouvrage ont été payés à 100%. En avril, alors que le championnat était définitivement arrêté, ils ont perçu 70% de leur salaire et 50% lors des mois de mai et juin. Cette saison, les joueurs du club de la Forge du Sud ont accepté une baisse de salaire de 10% au mois de décembre.

Le F91 Dudelange estimait un manque à gagner de près de 300.000 euros cette saison, soit près d’un cinquième de son budget. La Jeunesse Esch, qui a vu cet été arriver un investisseur grec, a communiqué sur des réductions de salaire allant de 20 à 25% pour la saison 2020-2021. Au Progrès Niederkorn également, les joueurs ont joué le jeu dès le mois de mars 2020. Plus d’un tiers de l’effectif sous contrat de travail a pu bénéficier du chômage partiel. L’autre partie de l’effectif et du staff ont consenti une réduction de salaire allant jusqu’à 50%.

Niederkorn, le club du président Fabio Marocchi est celui qui affichait la saison dernière le meilleur taux de remplissage de son stade Jos Haupert. En s’appuyant sur une fan base fidèle et en développant son marketing, il avait fait de ses matches à domicile d’importantes sources de revenus. Le club organisait également des événements, au même titre que de nombreux clubs. Après avoir perdu près d’un quart de ses sponsors, pour cause de faillite ou de difficultés financières, le club évalue son manque à gagner à 250.000 euros. Pour faire face, il a tenté de se diversifier via le digital et développer l’e-commerce. Il a également réduit la taille de son effectif.

Des joueurs impayés pendant des mois

À l’image de l’US Mondorf, qui a aussi ajusté son effectif, se séparant de ses joueurs aux plus gros émoluments, mais en proposant également aux joueurs un nouveau système de rémunération. Les joueurs, en concertation, se sont accordés pour proposer à leur direction un pourcentage commun de réduction de salaire. De son côté, le club est venu avec une proposition de primes spécifiques, pour inciter les joueurs à donner le meilleur d’eux-mêmes, dans une saison où il était déjà acté qu’il n’y aurait aucune relégation. Le club de la cité thermale, dont aucun joueur n’est sous contrat de travail, peut se prévaloir d’avoir limité les dégâts, et conserve une santé correcte, en raison notamment de la bonne gestion des années précédentes, ayant permis au club de se constituer des réserves de trésorerie lui permettant d’affronter la situation.

«Solidarité?» : Les petits clubs pour lesquels les recettes de billetterie sont primordiales ont beaucoup souffert de la crise sanitaire. (Photo: Christian Peckels)

Mais pour certains clubs, la crise fait peser un risque existentiel. Le cas de Hamm Benfica est très préoccupant. On a appris au mois d’avril dans les colonnes de nos confrères du Quotidien que certains joueurs n’avaient pas été payés pendant des mois, le club étant en proie à de graves difficultés financières, la faute à une supposée promesse non tenue par un groupe d’investisseurs italiens. Le président du club, Paul Lopes, avait annoncé au début du mois de mai que les retards des mois précédents avaient été comblés. Faisant ainsi naître des rumeurs d’un coup de main financier en provenance du Racing, alors que des bruits au sujet d’une éventuelle fusion entre les deux clubs de la capitale circulent depuis plusieurs semaines.

Une fusion, qui pourrait sauver la vie du club du quartier de Hamm, mais qui se heurte à un point du règlement UEFA, qui stipule qu’un club issu d’une fusion ne peut pas disputer de compétitions européenne pendant trois ans. Or, le Racing, quatrième, a obtenu lors de la dernière journée son ticket pour l’Europa Conference League, et son équipe féminine, championne, disputera le tour préliminaire de la Women’s Champions League. Les deux clubs, en discussion, ont demandé une dérogation spéciale à l’UEFA, mais il est peu probable qu’en cas de refus, le club de la capitale renonce à ces primes de participation vitales.

La FLF a injecté 2 millions dans le football

Cela irait à l’encontre des nouvelles ambitions du club présidé par Karine Reuter, qui a amené ses fonds propres. Le Racing, qui affiche une dette de près de deux millions d’euros, dont au moins un tiers, selon le club, remonte à l’ancienne présidence de Daniel Masoni, a tout de même réalisé un résultat de près de 500.000 euros en 2020. Avec le Swift Hesperange, il est le seul club à avoir augmenté sa masse salariale sur l’année. Les indemnités des joueurs sont passées d’environ 688.000 euros à 800.000 euros. En contre-partie, les joueurs ne sont pas partis en stage à l’étranger et près de 70% de l’effectif sous contrat de travail, a pu bénéficier des aides de l’Etat. «On ne dirait pas qu’on s’en est bien sorti, mais on a limité la casse. Des petits sponsors sont partis, mais les plus gros ont joué le jeu. La qualification européenne va nous aider», confirme un dirigeant.

Preuve donc, que malgré la crise, tous n’ont pas eu les mêmes difficultés et que tous les clubs ne combattent pas avec les mêmes armes. Il faudrait plus de recul pour mesurer avec plus de précision les conséquences réelles sur les clubs, mais les 15 derniers mois tendent à creuser les inégalités entre les gros et les petits. Pour faire face, il n’y a pas eu de recettes miracles. Tous ou presque, ont dû se serrer la ceinture. Optimiser les dépenses, réduire les coûts humains, puiser dans les réserves et demander de l’aide à certains sponsors encore debout ou aux communes. La Fédération Luxembourgeoise de Football a injecté deux millions d’euros en un an, dont environ un tiers a été consacré aux clubs de BGL Ligue selon son président Paul Philipp. Mais beaucoup s’accordent sur une chose: tous ne pourront pas survivre à une deuxième année comme celle-ci.