La construction d’une résidence senior au cœur de Diekirch a été invalidée par le tribunal administratif. Le projet controversé d’un promoteur immobilier privé – et révélé par Reporter.lu – contrevient au PAG. Le bourgmestre Claude Haagen, qui a délivré une autorisation de bâtir, doit revoir sa copie.
Contrairement aux arguments qu’avaient fait valoir la commune de Diekirch et le promoteur immobilier privé, le projet «Seniorenresidenz Nordstad» tient plus d’une résidence avec «conciergerie optimisée» que d’un «centre intégré pour personnes âgées» (CIPA). Le promoteur avait prévu à Diekirch la construction de 37 logements privatifs réservés à des occupants de plus de 60 ans avec parking souterrain, restaurant ouvert au public et locaux commerciaux. Après un recours de voisins directs du futur immeuble, le projet immobilier de la société «Seniorenresidenz Diekirch» a été recalé par le tribunal administratif.
Les plaignants considéraient que l’immeuble à construire ferait un écran visuel et ombrageant important et compromettrait leur intimité. La construction, argumentaient-ils encore, avait été autorisée par le député-maire de Diekirch, Claude Haagen (LSAP) au mépris d’une disposition du Plan d’aménagement général (PAG), dans une zone réservée aux constructions et aménagements d’utilité publique (zone BEP), et donc destinés à satisfaire les besoins de la collectivité.
Logements encadrés dans le flou
En principe, les logements ne sont autorisés en zone BEP que par dérogation. Le PAG de Diekirch (article 5) les limite à des logements de service, logements dans des structures médicales ou paramédicales, maisons de retraite, internats, logements pour étudiants, logements collectifs sociaux et logements pour les demandeurs de protection internationale. Volontairement flou, le PAG ne fournit pas de définition des maisons de retraite.
La procédure devant la juridiction administrative a permis de clarifier le concept de logements encadrés pour les personnes âgées et de déterminer s’ils répondaient ou non à des besoins collectifs à but d’utilité publique.
Le 14 juin 2019, Claude Haagen avait délivré au promoteur une autorisation de construire un immeuble de 37 appartements d’une à deux chambres à coucher avec balcon – entre 62 et 124 m2 – dans une zone BEP. Le bourgmestre avait jugé le projet admissible en zone BEP, s’agissant à ses yeux de «logements dans une structure paramédicale». Pour faire passer le projet et délivrer le permis de construire, Claude Haagen s’était également fait une définition très large d’une maison de retraite, cette notion regroupant selon lui indistinctement les CIPA (centres intégrés pour personnes âgées), les maisons de soin et les logements encadrés.
Le promoteur immobilier avait dans certaines annonces publicitaires commercialisé la résidence comme «logement encadré», alors qu’il ne disposait pas de l’agrément y relatif que délivre le ministère de la Famille.
Un projet immobilier offrant avant toute chose 37 appartements privatifs comportant un service de conciergerie optimisé pour personnes âgées (…) ne saurait s’analyser comme des logements situés dans une structure paramédicale. »Tribunal administratif
Les logements de la sàrl Seniorenresidenz Diekirch ont été offerts à la vente en état futur d’achèvement aux prix d’environ 900.000 euros pour deux chambres à coucher, selon la brochure de présentation.
L’achat a été ouvert aux investisseurs sans critère d’âge, toutefois les futurs occupants des appartements devront avoir plus de 60 ans ou être des personnes à mobilité réduite, qu’ils soient propriétaires ou locataires. La résidence leur offrira un encadrement de vie, notamment la présence entre 6.00 heures du matin et 22.00 heures d’un soignant et d’un aide-soignant la nuit, le tout via un contrat de services avec un prestataire de soins tiers. Un service, non obligatoire, facturé 400 euros par mois aux occupants de la résidence.
Outre les parties privatives, deux salles à manger communes de 60 m2 au total doivent compléter le complexe présenté comme des logements encadrés pour personnes âgées, relevant de ce fait, selon son promoteur, de l’utilité publique.
Artifices douteux
Le projet s’inscrirait d’ailleurs dans un concept intergénérationnel, mélangeant sur un même site la résidence senior avec une maison relais.
Or, selon les voisins à l’origine du recours devant la juridiction administrative, «la réalité du terrain ne refléterait pas un tel concept intergénérationnel, (…) le seul point commun entre les deux projets (étant) qu’ils sont initiés par le même promoteur». Ils reprochaient à ce dernier d’avoir usé «d’artifices douteux pour assimiler sa résidence à une maison de retraite» et permettre ainsi de contourner les exigences posées par le PAG dans la zone BEP. «Dans le projet résidentiel, le restaurant, les locaux commerciaux pour professions libérales s’opposent à l’assimilation du projet résidentiel à une maison de retraite, structure d’utilité publique à besoin collectif», a fait valoir leur avocat.
Les juges administratifs ont conforté cette vue: «Un projet immobilier offrant avant toute chose 37 appartements privatifs comportant un service de conciergerie optimisé pour personnes âgées et/ou à mobilité réduite, tout en prévoyant notamment la présence d’un aide-soignant et la possibilité pour les occupants d’avoir recours à des prestations de soin et d’assistance (…) ne saurait s’analyser comme des logements situés dans une structure paramédicale», lit-on dans le jugement du 19 mai que Reporter.lu a consulté.
«L’immeuble n’offre pas d’infrastructures notables réservées aux seuls habitants», note encore le tribunal. «Un immeuble résidentiel bâti ou à bâtir divisé par lots comprenant chacun une partie privative et une quote-part de parties communes, administré sous le régime de la copropriété ne pourra jamais que répondre tout au plus au besoin privé d’un nombre restreint de personnes, en l’occurrence celui des 37 propriétaires ou locataires des appartements de la copropriété en question, mais non pas à un besoin collectif, de sorte de ne pas pouvoir être assimilé à une maison de retraite», ont tranché les juges.
«C’est à tort que le bourgmestre a délivré l’autorisation de construire qui est, en conséquence, à annuler», ont-ils ajouté.
Contacté par Reporter.lu, Claude Haagen indique que la décision d’un appel du jugement du 19 mai sera prise vers le 4 juin prochain.
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