Née au 18e siècle, la franc-maçonnerie luxembourgeoise n’est pas «une». Elle recouvre différents courants idéologiques qui témoignent de plusieurs influences culturelles. La Grande Loge croit au «Grand architecte de l’Univers», tandis que le Grand Orient revendique sa filiation à l’esprit des Lumières.
La Grande Loge de Luxembourg est une des loges de la franc-maçonnerie qui en compte trois autres au Grand-Duché, le Grand Orient, la Grande Loge féminine et la loge mixte du «Droit humain».
La GLL compte quelque 300 membres, exclusivement des hommes. La confrérie se réclame de la franc-maçonnerie «régulière» et se rattache à des rites initiatiques traditionnels et à des symboles bibliques. Les plus connus sont l’équerre, le compas posés sur «le volume de la Loi sacrée», c’est-à-dire la bible.
Le but de la franc-maçonnerie est l’amélioration de l’homme pour qu’il parvienne à se connaître lui-mêmeJean Schiltz, grand maître de la Grande Loge de Luxembourg
Dans une interview au Quotidien pour les 300 ans du mouvement franc-maçon, Jean Schiltz, grand maître de la GLL, explique que le but de la franc-maçonnerie, quelle que soit son obédience, est l’amélioration de l’homme «pour qu’il parvienne à se connaître lui-même», selon l’adage, «connais-toi toi-même et tu connaîtras l’univers et les dieux».
Gloire à GADLU
La GLL n’est pas une organisation secrète et encore moins un club d’hommes à la recherche de contacts professionnels comme l’est le Rotary. La Grande Loge n’a ni idéologie ni religion. Elle s’interdit toute immixtion dans les controverses politiques ou confessionnelles.
Dans ses statuts, publiés dans la revue Forum en 2007, la Grande Loge assure toutefois travailler «à la Gloire du Grand Architecte de l’Univers», ou GADLU, pour les initiés. Cette référence à l’être suprême a été à l’origine d’un schisme entre les francs-maçons, cette croyance se heurtant aux convictions libérales et à l’athéisme revendiqué de certains frères. Ces derniers se sont alors tournés vers le Grand Orient, un courant anticlérical qui fait des incursions «politisantes» que s’interdisent les frères dits «réguliers».
De nombreuses loges en Europe ont abandonné la référence à GADLU ou à Dieu et se reconnaissent plutôt dans la devise: liberté, égalité, fraternité.
Tiraillée entre différentes influences, latines, germaniques et anglo-saxonnes, la Grande Loge de Luxembourg n’a pas toujours présenté cette dimension spiritualiste ni revendiqué son appartenance à la franc-maçonnerie «régulière» et sa foi en GADLU. Ce n’est d’ailleurs qu’en 1953 que sont réapparus officiellement dans ses rites et ses pratiques les symboles traditionnels dont la bible et la référence au grand architecte de l’univers.
Cette réorientation a d’ailleurs été à l’origine d’une séparation irréconciliable avec le Grand Orient.
L’histoire de la franc-maçonnerie luxembourgeoise se confond avec celle d’un pays resté longtemps sous occupation étrangère jusqu’à son indépendance en 1839.
Née en 1717 à Londres, la franc-maçonnerie est arrivée au Grand-Duché dans la seconde moitié du 18e siècle, lorsque le Grand-Duché faisait partie des Pays-Bas méridionaux autrichiens, expliquait en 2007 à Forum Paul Geisen, grand maître de la GLL.
L’influence militaire
Mi-militaire, mi-civile, la première loge est née de la fréquentation de la population autochtone, essentiellement des membres de la petite noblesse et de la bourgeoisie, avec les régiments autrichiens de passage.
La loge disparait sous l’empereur Joseph II pour réapparaître, encore une fois grâce aux militaires, lors de l’annexion du duché par la République française, qui en fait son département des forêts. La franc-maçonnerie passe alors sous l’influence du Grand Orient de France.
L’attribution du Grand-Duché au roi des Pays-Bas, marque une rupture avec le Grand Orient de France et un rapprochement avec la Grande Loge d’administration des «provinces méridionales» néerlandaises.
Après l’indépendance du pays en 1839, la franc-maçonnerie prend sa liberté et se constitue en Loge centrale. Pour autant, les liens avec les «frères» de l’étranger, en particulier en Belgique et en France, ne seront jamais coupés, contribuant à «l’internationalisme de la franc-maçonnerie luxembourgeoise» (Paul Geisen).
En 1926, la Grande Loge se sécularise et se politise à l’instar des Grands Orients de France et de Belgique».Paul Geisen, ancien grand maître
En 1926, les francs-maçons luxembourgeois constituent la Grande Loge. C’est l’époque de la «guerre de religion» avec la toute puissante église catholique qui impose ses règles et ses rites (notamment funéraires). D’où la constitution de la Sacec pour construire un crématoire au Luxembourg et l’acquisition d’un funérarium à Strasbourg pour y entreposer les cendres des membres de la loge.
La bible revient dans les rites
En réaction aux attaques des courants conservateurs et intégristes catholiques, la Grande Loge «se sécularise et se politise à l’instar des Grands Orients de France et de Belgique».
En 1942, sous l’occupation allemande, l’ordre est dissout. Il réapparait en 1946, revient à la «régularité» et à sa «dimension symbolique et spiritualiste» et se rapproche de la franc-maçonnerie anglo-saxonne dont elle emprunte les rites (écossais) et les traditions séculaires.
La bible réapparaît dans les cérémonies, ce qui va provoquer des effets disruptifs et le schisme avec le Grand Orient.
En 1969, écrit Paul Geisen, la GLL est reconnue par l’United Grand Lodge of England «de sorte que la Grande Loge de Luxembourg constitue actuellement un maillon solide et accepté de la chaîne d’union universelle de la franc-maçonnerie traditionnelle et régulière».