Dans le quartier de Gasperich à Luxembourg, le retour des enfants à l’école ne fait pas l’unanimité et les restaurants n’envisagent pas un retour rapide à la vie d’avant. Mais le Covid-19 aura aussi écrit de belles histoires.

Avec la réouverture des grilles de l’École fondamentale, rue de Gasperich, le coeur du quartier s’est remis à battre. Le rythme n’a pas la régularité des jours ordinaires et il faudra du temps pour retrouver le tempo. Mais une étape clé du déconfinement est franchie. Dans la foulée, le Football Club Tricolore Gasperich Jeunes reprend lui aussi du service. Le groupe des scouts et guides Georges Everling devra attendre septembre pour les retrouvailles au Home de la rue Jean-Pierre Kemer. La Maison des Jeunes, qui encadre une trentaine d’ados rue Tony Bourg, reste fermée jusqu’à nouvel ordre.

Dans le ciel, une alternance de nuages et d’éclaircies reflète l’humeur de Mauro, dix ans, lorsque je le retrouve à la sortie de l’école où 392 jeunes sont inscrits. Cet enfant unique est content d’avoir retrouvé ses copains. Un peu moins d’avoir déjà dû faire des exercices de maths et de français. La journée s’est terminée à 12h45. Dès jeudi, il restera à la maison avant d’enchaîner sur une semaine de vacances. Quelque part, cela le rassure.

Depuis le 16 mars, le gamin a passé ses journées entre sa maison de la rue Christophe Colomb et le restaurant-pizzeria de ses parents. «C’est vrai qu’on a été strict avec lui pendant le Lockdown. Il n’est pas du tout sorti», dit Karin Roth, la gérante de la pizzeria Bei der Auer. «Ma femme a de l’asthme. Et moi, si je tombe malade, on est foutus!», explique Soccorso Ceravolo, le papa, en fumant une cigarette sur le pas de porte du restaurant. C’est lui qui fait les pizzas. Ils ont signé la pétition déposée à la Chambre des députés contre le retour des enfants en classe avant le mois de septembre. En vain.

«On a reçu un document pour expliquer comment la rentrée des classes allait se passer. Les règles de sécurité dans les couloirs, dans la cour, le port des buffs… Mais ça va pas être évident pour les enfants de s’y tenir. Enfin, on a prévenu Mauro. Pas de contact! Et lui, il met un masque, pas un buff. Ça protège mieux».

Depuis dix semaines, les seules interactions de Mauro avec ses amis passaient par la plate-forme de vidéo-conférence de l’école ou Roblox, un jeu vidéo multi-joueurs qui fait fureur chez les enfants et ados. On peut y jouer en ligne avec des partenaires du monde entier. Mauro s’y est initié à l’anglais. Du coup, sa maman ne râle pas trop. «Pour ça, il est motivé!»

Affaires de famille

La Pizzeria Bei der Auer a rouvert fin mars, après deux semaines d’arrêt complet. Ils sont quatre à y travailler. Le take-away marche bien. Karin et Soccorso ont veillé à être référencés sur les plates-formes internet de livraison à domicile pour toucher une plus large clientèle. Mais ils affichent quand même environ 15% de chiffre d’affaires en moins. Les aides de l’État sont tombées à point. Deux fois 5000 euros. Ils ne sont pas propriétaires de ce fonds de commerce qu’ils louent depuis 2012. À l’époque, on y vendait du tabac, de la papeterie et des bonbons dont les revenus ne compensaient pas les pertes sur la vente de journaux. Le lieu s’est transformé en restaurant.

Le couple italo-luxembourgeois est parvenu à donner une ambiance de trattoria à cette adresse où on sert aussi des soupes aux Mettwurst, lard et Wiener pour 5 euros. Elle peut accueillir en temps normal 28 couverts à l’intérieur et une quarantaine en terrasse. On est loin des 100 à 200 repas quotidiens servis par son vis-à-vis, le Quadro Delizioso. Enfin, c’était les chiffres avant le Covid-19. Désormais, les comparaisons ne tiennent pas. «On est tous solidaires», dit Soccorso.

Les Italiens ont été les premiers à se relever du choc du Lockdown et à se lancer dans le take-away à la fin du mois de mars. Le Quadro Delizioso a quand même dû mettre la moitié de ses effectifs en chômage partiel. «Comme ça, on s’en sort», dit le gérant entre deux prises de commandes par téléphone. Les voitures stationnées devant le restaurant, rue de Gasperich, assurent les livraisons.

Cette année va être dure. Mais comme on est travailleurs, on va tenir. »Ramesh Chander Sati

Les mois d’avril et mai ont vu le retour des asiatiques et des orientaux. «Deux semaines après la reprise de l’activité dans le bâtiment, on s’est dit qu’on allait essayer de fonctionner en take-away», dit Ramesh Chander Sati, le patron du New Dehli, rue Mühlenweg. Cet Indien est arrivé au Luxembourg en 1995, à l’âge de 25 ans. Il a lancé sa propre affaire à Gasperich en 2006 avant d’ouvrir un deuxième restaurant à Bonnevoie, le Biryani Corner, en 2017.

«Pendant 27 ans, je n’ai fait que travailler, du matin au soir. Je n’étais jamais resté chez moi pendant six semaines sans rien faire, comme au début du confinement. Cette année va être dure. Mais comme on est travailleurs, on va tenir. Pour ma famille et pour celles de mes employés», dit le père de trois enfants qui ont grandi dans le quartier. Deux d’entre eux sont étudiants en économie aux Pays-Bas et sont rentrés se confiner à Gasperich.

La réouverture des salles avant le week-end de la Pentecôte s’annonce compliquée. Le protocole sanitaire est draconien. Bei der Auer pourrait s’en sortir en saison estivale avec sa terrasse. Mais pour le New Delhi, le calcul est vite fait:  «C’est 18 couverts au lieu de 36». Le Quadro Delizioso s’y prépare «mais c’est sûrement plus rentable pour nous de continuer à fonctionner en take-away avec une partie de l’équipe en chômage partiel», observe le gérant. Tous s’interrogent: la clientèle reviendra-t-elle?

Premiers pas

Béatrice, de son côté, sait que ses petits clients l’attendent. Cette jeune maman travaille dans l’une des six crèches de Gasperich, un secteur d’activité boosté par la proximité du quartier d’affaires de la Cloche d’Or. «Tout est prêt pour limiter les risques de contamination», dit-elle. Avec un collègue, elle s’occupera désormais de cinq enfants, et non quinze.

Quitter Alessandro, âgé de 17 mois, pour s’occuper des gamins des autres, n’est pas évident: «J’aimerais travailler moins pour avoir plus de temps avec lui. Mais avec ce que je gagne, ce n’est pas possible». Elle vit rue Marie de Zorn chez ses parents italiens avec son mari portugais, ouvrier dans une entreprise de bâtiment. C’est lui qui va prendre le relais pour s’occuper de l’enfant. Marco est en congé parental jusqu’au mois de septembre.

Le confinement leur a permis une parenthèse imprévue dans un rythme de vie intense. «Au début, Alessandro faisait à peine quelques pas. Maintenant, il marche très bien. C’était chouette d’assister à tous ses progrès», dit Béatrice qui va aligner cette semaine des journées de 10h à 19h. Le papa, de son côté, a négocié le passage de la poussette à une voiturette électrique. Le petit y trône comme un prince dans son carrosse lorsqu’on le promène. L’enfant sort sans masque et irradie la rue de son sourire. Contre toute attente, le Covid-19 aura marqué de belle manière ses premiers pas sur le chemin de la vie.


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Avec ses 7.700 habitants de 111 nationalités, le quartier de Gasperich au Luxembourg est au carrefour du monde globalisé dans lequel nous vivons, tout en ayant l’échelle et l’organisation d’un village. Comme le reste du monde, il vit désormais à l’heure du coronavirus.